À la Maison de soins palliatifs pédiatriques André-Gratton
La petite lanterne qui brille près du poste de garde des infirmières est de mauvais augure: un enfant va mourir à la Maison de soins palliatifs pédiatriques André-Gratton de Montréal. Dans la pénombre d’une chambre située tout près, une maman berce et cajole sa petite fille de 6 ans endormie avec des médicaments prescrits par son médecin pour éviter qu’elle souffre. «Je voulais que Maélie meure dans cette maison, qui est notre seconde demeure, plutôt qu’à l’hôpital», se souvient avec émotion Karine Beaurivage.
Atteinte d’une mutation génétique très rare provoquant de nombreuses crises d’épilepsie, Maélie a eu besoin depuis la naissance des soins constants de ses parents. Un fardeau écrasant que la Maison André-Gratton a allégé en leur offrant pendant cinq ans une semaine de répit chaque mois. «Médecins, infirmières et bénévoles connaissaient Maélie et en prenaient soin comme de leur enfant», confie Karine.
Après son décès, le matin du 13 novembre 2019, Karine a pu continuer à bercer son enfant pendant neuf heures parce qu’elle tenait à ce que tout le personnel de jour et de soir soit réuni pour former une haie d’honneur au passage du petit corps transporté vers la sortie par les employés d’une maison funéraire. Elle suivait le cortège en pleurant et en les remerciant d’avoir pris soin de Maélie. «Je leur dois énormément», raconte la maman de deux autres jeunes enfants.
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À l’origine du projet
C’est une femme simple et généreuse, Michèle Viau Chagnon, qui a eu l’idée de créer ce havre de paix. Au milieu des années 90, elle est éducatrice à l’Hôpital de Montréal pour enfants et travaille auprès de jeunes qui reçoivent des soins palliatifs et des soins intensifs. Un jour, son cœur de mère est bouleversé par un petit garçon de 4 ans qui doit continuellement faire des allers-retours entre la maison et l’hôpital à cause de graves problèmes cardiaques nécessitant un respirateur.
«Sa mère était épuisée et réclamait du répit, mais il n’y en avait pas. J’étais aussi tourmentée par un autre enfant qui venait de mourir après avoir passé les deux seules années de sa vie aux soins intensifs», se rappelle la septuagénaire, parce que sa famille n’avait aucune aide à domicile. C’est à ce moment qu’elle fait la connaissance d’un étudiant en droit de la santé de l’Université de Montréal, Adam Mongodin, qui entame une thèse de doctorat sur les soins palliatifs. «En visitant les hôpitaux pédiatriques, j’étais moi aussi bouleversé d’entendre des parents d’enfants atteints de cancer et de maladies incurables crier à l’aide!»
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Le Phare Enfants et Familles et la Maison André-Gratton
Ils unissent leurs efforts pour fonder en 1999 l’organisme sans but lucratif Le Phare Enfants et Familles, et sensibilisent gouvernements et philanthropes aux besoins criants de parents qui vivent des situations tragiques. «J’étais seule pour prendre soin à domicile de ma fille de 8 ans atteinte d’un cancer du cerveau», déplore Hélène Tousignant, de Trois-Rivières. Elle craignait de commettre une erreur en lui administrant ses puissantes doses de médicaments. «À son décès en octobre 1997, j’étais totalement épuisée!»
En 2001, la fondation privée McConnell vient finalement à leur rescousse en leur accordant près d’un million de dollars, qui vont permettre à 10 bénévoles de se rendre dans une cinquantaine de familles de Montréal et de la Montérégie pour leur offrir 4 heures de répit hebdomadaire. Mais ce qu’ils veulent, c’est créer une maison de soins palliatifs pour les enfants, à l’image de Helen House, la première maison de ce type inaugurée en Angleterre en 1982. Et tandis qu’Adam Mongodin amorce une carrière de gestionnaire dans les hôpitaux, le destin place sur la route de Michèle Viau Chagnon une démographe de l’Université de Montréal, Nicole Marcil-Gratton.
«Son petit-fils avait été opéré à un pied et elle avait été confrontée pour la première fois au désarroi de plusieurs parents d’enfants très malades à l’hôpital », explique Michèle Viau Chagnon, qui ne tarit pas d’éloges sur son amie, prématurément disparue en 2018, à l’âge de 75 ans. Avec son mari, Robert Gratton, dirigeant de Power Corporation, elle mène une campagne de collecte de fonds qui, présidée par Paul Desmarais fils, leur permet d’amasser 3,5 millions de dollars. Un terrain est trouvé dans le quartier Rosemont et Investissement Québec leur accorde 2,5 millions de dollars. La Maison André-Gratton, en l’honneur du frère de Robert Gratton, décédé de la leucémie à l’âge de 3 ans, devient ainsi réalité en 2007.
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Le premier enfant
«J’ai accueilli le premier enfant de 7 mois, raconte Michèle Viau Chagnon. J’ai ouvert la porte à ses parents et je suis allée chercher de la nourriture pour bébé à l’épicerie, car nous n’avions pas encore de cuisinier.»
Tout le personnel a été marqué par le premier décès en septembre 2007. Xavier Rott Tremblay avait seulement 9 ans lorsqu’il a été emporté par la leucémie. «Le Phare avait été une bouée de sauvetage en me donnant du répit pendant deux ans à la maison», se console sa mère, Carolina Rott, encore émue aujourd’hui par le courage et la résilience de son fils, qui ne se plaignait jamais.
«Tout s’est passé en douceur», se souvient l’infirmière Nadyne Richard, qui affectionnait particulièrement Xavier, aussi atteint de trisomie 21. «Je l’ai mis dans les bras de son père et il s’est endormi à tout jamais», dit-elle, un trémolo dans la voix.
«C’est un 5 étoiles rempli d’amour», s’exclame Marie-Josée Audet pour décrire ces lieux qu’elle fréquente gratuitement depuis 12 ans. «Ils m’ont sauvé la vie!» s’exclame celle qui n’en pouvait plus et a toujours refusé de placer Mathias en centre d’hébergement. Le garçon, qui avait à la naissance une espérance de vie de quelques semaines, est le plus vieux pensionnaire. «Chaque nouvelle journée est un cadeau du ciel», se réjouit la résidente de l’Estrie, admirative du travail des 150 bénévoles qui, comme Pierre Duceppe, fils du comédien Jean Duceppe et frère du politicien Gilles Duceppe, se dévouent corps et âme.
Un travail difficile, mais gratifiant
Travailler avec des enfants qui ont ce sourire dans les yeux, «cela vaut tous les prix, c’est extraordinaire!» s’exclame le sexagénaire qui a pourtant scénarisé plusieurs films et documentaires à succès durant sa carrière. «Ces enfants nous font oublier nos petits tracas!» Quelques heures par semaine, il les fait manger, chanter, bricoler. C’est Loïc, un garçon de 7 ans qui adorait les avions, qui l’a convaincu de consacrer le reste de son existence aux jeunes malades. «Après les traitements de chimiothérapie, il devenait agressif, puis il s’excusait et me demandait de jouer avec lui, dit-il, la larme à l’œil. J’ai ressenti un vide immense lorsqu’il est mort, une semaine après avoir réalisé son rêve de voir les F-18 en vol à la base militaire de Bagotville.»
Un mur de la Maison André-Gratton est tapissé de photos d’enfants comme lui, accompagnées de remerciements. «Depuis le début, nous avons aidé plus de 800 familles et une soixantaine d’enfants sont décédés ici», précise Lyne St-Martin, directrice générale du Phare depuis août 2019.
«Je pleure parfois en revenant chez moi et je serre ma fille de deux ans dans mes bras en savourant la chance qu’elle soit en santé!» confie l’infirmière-chef Karine Morissette. À son arrivée il y a neuf ans, elle a été confrontée à l’agonie d’un bébé de quatre mois souffrant d’une malformation pulmonaire et aux hurlements de douleur de ses parents quand elle a succombé. «S’il n’y avait que la mort, je ne sais pas si je serais capable de vivre ça au quotidien. Mais 90% des enfants sont admis pour du répit. On évite que leurs parents s’épuisent. Je me sens utile!»
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Des soins palliatifs sur plusieurs années
L’équipe, formée d’une vingtaine d’infirmières et de sept médecins, partage ce sentiment. «On mesure la valeur d’une société à la façon dont elle traite les plus vulnérables.
Or il n’y a personne de plus fragile qu’un enfant malade!» affirme la Dre Caroline Bissonnette Roy, 28 ans, le plus jeune médecin du groupe. Après avoir été bénévole à la Maison André-Gratton à 16 ans, elle a été la première résidente en médecine à y faire un stage, traçant la voie à plus de 160 professionnels de la santé qui y poursuivent leur apprentissage chaque année.
«Les soins palliatifs pour adultes durent habituellement quelques semaines alors qu’en pédiatrie, ils peuvent s’étaler sur des années, explique le Dr Jacques Ramsay, directeur médical du Phare. Pour être admis, les enfants doivent avoir un problème de santé incurable.» Avec ses cheveux gris, sa barbe en broussaille et sa voix calme, le quinquagénaire inspire la confiance d’un grand-papa. «On fait tout pour que les enfants ne souffrent pas et on s’occupe énormément des parents. Nous pratiquons l’art respectueux de la médecine!»
Groupes de deuil
Il peut compter sur la travailleuse sociale Marion Onno qui accompagne les parents en tout temps. «Détresse psychologique, isolement social, vie de couple bouleversée, ils se demandent pourquoi la vie leur arrache leur enfant.» La femme de 35 ans était au chevet d’adultes atteints de VIH, de tuberculose ou de maladies tropicales dans un hôpital parisien lorsqu’elle a choisi, il y a six ans, de faire une maîtrise en travail social au Québec pour ensuite travailler au Phare. Elle a mis sur pied des groupes de deuil auxquels participent une cinquantaine de parents comme Maritza Veliz Villatoro, qui a perdu coup sur coup sa fillette de 7 ans, Arly, décédée en août 2013 d’une forme rare de dystrophie, puis son fils de 10 ans de la même maladie, six ans plus tard. «Melvin est mort si vite que je n’ai pas eu le temps de me rendre à la Maison André-Gratton comme je l’avais fait pour Arly, constate Maritza. Du coup, j’ai beaucoup plus de difficulté à vivre ce second deuil.»
Geneviève Ducharme, mère de Victor, décédé en 2019 à l’âge de 2 ans des suites d’une tumeur au cerveau, la comprend très bien. «Sans la Maison André-Gratton, je ne sais pas dans quel état nous serions ma famille et moi, avoue-t-elle. Si mes deux autres enfants conservent des souvenirs positifs malgré le grand vide laissé par la mort de leur frère, c’est parce que les bénévoles ont pris soin d’eux. Et puis, ça me fait beaucoup de bien de partager les souvenirs de Victor dans un groupe de deuil. Il reste vivant!»
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Avouer aux enfants
Une question tourmente tous ces parents lorsque la fin de vie approche: doivent-ils avouer à leur enfant qu’il va mourir? Et si oui, comment le faire? «La vérité est essentielle parce que cela lui permettra de réaliser ses derniers souhaits et de faire ses adieux», répond Marion Onno, qui se rappelle avoir prodigué ce conseil aux parents de Marie-Ange, le premier enfant qu’elle a accompagné jusqu’à sa mort.
En novembre 2015, les parents de la fillette de 10 ans sont anéantis en apprenant qu’elle souffre d’un gliome diffus du tronc cérébral. Il n’y a aucune chance de guérison.
Après la radiothérapie, elle réalise son rêve d’aller nager avec les dauphins aux Bahamas. Mais ce regain d’énergie est éphémère et son état de santé décline rapidement. Elle souffre physiquement et psychologiquement.
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Les derniers instants
Son père n’oubliera jamais une de leurs dernières conversations. «Je lui ai demandé si elle savait quand elle allait mourir.» Elle croyait qu’elle vivrait aussi longtemps que sa grand-mère. Il la regarde alors dans les yeux et lui avoue qu’il lui reste quelques semaines à vivre. «Elle m’a répondu que c’est ce qu’elle voulait et m’a fait promettre que ce n’était pas une blague.»
Marie-Ange est admise à la Maison André-Gratton deux semaines avant son décès, en août 2016. Elle s’y comporte comme si elle était dans un camp de vacances tellement elle est joyeuse de nager dans la piscine avec sa sœur cadette Rosalie tout en partageant des souvenirs. La famille dort dans une chambre adjacente à la sienne. «Elle rit en me demandant si elle verra des dinosaures ou Jules César au paradis.» Soulagée par la médication, elle s’endort 48 heures puis ouvre à nouveau les yeux. «On lui a dit une dernière fois combien on l’aimait.» Quelques jours avant son départ, elle comparait les fleurs qu’elle voyait par la fenêtre aux humains. «Elles se fanent, mais laissent de beaux souvenirs, me disait-elle. Il ne faut jamais que tu m’oublies papa quand je ne serai plus là.»
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