Réjean Hébert: La force tranquille des aînés
Ne pourrait-on pas vieillir dans la dignité et l’autonomie? C’est le souhait le plus cher de Réjean Hébert.
Gériatre, chercheur, professeur associé à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, ancien ministre de la Santé et responsable des aînés dans le gouvernement de Pauline Marois (2012-2014), Réjean Hébert parle d’autorité lorsqu’il est question des impacts du vieillissement.
C’est aussi un homme d’action qui aurait voulu en faire plus en 2020 alors que le Québec pleurait les victimes de la COVID-19 foudroyées par la mort, particulièrement les personnes âgées. À son grand étonnement, l’appel de l’État québécois à mettre l’épaule à la roue n’est jamais venu, mais pas question de se croiser les bras. Déjà un habitué des tribunes d’opinions dans les médias, Réjean Hébert fut prolifique au cours de cette période. Dans Soigner les vieux. Chroniques d’un médecin engagé (Les éditions La Presse), il rassemble des textes qui non seulement analysent les enjeux de la crise sanitaire, insistent sur l’importance des soins à domicile pour maintenir les gens dans leur milieu de vie, mais décortiquent aussi la complexité du système de santé.
Comment expliquez-vous qu’au début de la pandémie, alors que les décès tragiques s’accumulaient dans les CHSLD, le gouvernement Legault n’ait pas fait appel à vous?
J’ai encore du mal à comprendre cette mise à l’écart. J’ai su que mon nom a souvent été invoqué comme expert, mais il y avait des réticences importantes. On me connaît pour ma franchise, à la fois verbale et non verbale! Quand j’étais ministre, ma directrice de cabinet me disait toujours: «Tu n’as pas besoin d’ouvrir la bouche, on sait à quoi tu penses!» Ou est-ce justement parce que les gens savent ce que je pense et ne sentaient pas le besoin de me le demander? Pour quelqu’un comme moi qui a passé toute sa carrière à améliorer la qualité des services aux personnes âgées, c’est dur de constater que nous avons été les tristes champions internationaux en termes de décès dans les établissements d’hébergement.
Faut-il repenser complètement les soins aux personnes âgées?
Cette situation tragique a mis en lumière le rapport de la société québécoise face au vieillissement. Comme si cette réalité n’était finalement pas si importante.
Je crois qu’il y a au Québec une forme de déni par rapport au vieillissement; nous sommes pourtant une société qui vieillit plus vite que les autres provinces canadiennes et les États-Unis. Notre image des personnes âgées est très stéréotypée, jugées vulnérables. Elles ne sont pas vulnérables, du moins pas toutes.
Même chose en ce qui concerne la pauvreté. Je suis allé chercher ma carte de transport gratuit à Montréal pour les 65 ans et plus, mais j’ai un malaise: beaucoup de personnes âgées ne sont pas pauvres, surtout les baby-boomers dont le patrimoine est beaucoup plus important que celui des générations précédentes. Et nous ne faisons pas d’efforts pour que les personnes âgées soient bien intégrées à la société québécoise. Je suis allé au Japon, je vais régulièrement en France: on les voit partout. Promenez-vous à Montréal, elles ne sont pas là, mais en autarcie dans leur résidence pour ainés (RPA).
Vous avez d’ailleurs souvent répété, chiffres à l’appui, que les Québécois favorisent nettement l’hébergement en RPA: 5,2 % de la population aînée y habite contre 2,9% dans le reste du Canada. Comment expliquez-vous ce phénomène?
Les baby-boomers ont voulu que leurs parents soient en sécurité, reçoivent des services et des soins, ce qui leur enlevait cette responsabilité de leurs épaules. Disons-le: c’est une forme d’âgisme bienveillant. Or, je revendique le droit au risque chez les personnes âgées. Le droit à l’autonomie, c’est aussi le droit de prendre des décisions qui semblent insensées d’un point de vue extérieur. Nos enfants aussi ont pris des décisions avec lesquelles nous n’étions pas d’accord, et nous les avons laissés faire! Le risque zéro n’existe pas, sauf au cimetière; il fait partie de la vie, et il faut apprendre à le gérer, le mesurer, pas l’abolir à tout prix.
Monique Jérôme-Forget, ancienne ministre dans le gouvernement de Jean Charest, parlait du «syndrome de la pépine»: cette obsession de la construction à tout prix chez les politiciens. Croyez-vous que le gouvernement de François Legault cède au même travers avec le projet de Maisons des aînés?
C’est beaucoup plus rentable politiquement d’annoncer un bâtiment, parce la même annonce est répétée quatre fois: au moment où le projet est inscrit au budget, lors de l’appel d’offres, quand la pépine arrive sur le terrain, et lors de l’inauguration. Ce qui frappe l’imaginaire des Québécois avec les Maisons des aînés, c’est cette impression que l’État fait quelque chose pour que les vieux soient bien. Annoncer un investissement de quelques millions de dollars en soins à domicile? Le bénéfice politique ne dure que quelques heures. Je pense toutefois que les gouvernements commencent à se rendre compte que ces Maisons sont intenables sur le plan financier.
On dit parfois: cordonnier mal chaussé. Est-ce que le gériatre a peur de vieillir?
Non, parce que je possède les ressources nécessaires pour faire face à différents problèmes liés au vieillissement, et je suis bien entouré. Mais comme tous les baby-boomers, j’ai une pudeur à faire appel aux membres de ma famille, dont mes enfants, pour qu’ils deviennent des proches aidants. Je vais essayer de trouver des services pour pallier ma perte d’autonomie. Pour le moment, ma retraite commence… et j’en veux une vraie! C’est pourquoi je me dégage de plus en plus de mes responsabilités de chercheur. J’ai le goût de faire autre chose, mais si le gouvernement, peu importe lequel, avait besoin de moi, je répondrai «présent».
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