Régine Laurent: prendre soin des gens
Régine Laurent n’a jamais eu peur de relever des défis, aussi vertigineux soient-ils. Elle pourrait encore nous surprendre.
«Qui se fait plat comme un ver de terre ne doit pas se surprendre qu’on lui marche dessus.» Ce précepte de sa mère, Régine Laurent l’a plus d’une fois répété depuis le début de sa carrière en 1980. Il faut dire que la trajectoire de celle qui fut longtemps infirmière, chef syndicaliste, et tout récemment présidente de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse a été jalonnée de défis, de combats et d’avancées importantes pour le personnel soignant, mais aussi pour les femmes.
Celle qui s’est d’abord intéressée au syndicalisme un peu par hasard – à son hôpital en 1983, on lui avait retiré sans préavis les vacances estivales auxquelles elle avait droit – s’est vite rendu compte qu’il fallait mettre la main à la pâte pour changer les choses. Grimpant un à un les échelons, cette mère de deux garçons a fini par atteindre les plus hauts sommets, devenant la première femme noire à diriger un grand syndicat. À la tête de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) de 2009 à 2017, elle en a vu défiler des ministres de la Santé, ne craignant pas de brasser la cage tout en prenant soin de son monde.
Après deux années chargées d’émotions à écouter les acteurs impliqués auprès des jeunes en difficulté, cette nouvelle grand-mère compte bien savourer son nouveau rôle, mais n’a pas l’intention de se retirer des débats!
Vos deux parents étaient enseignants, mais vous avez choisi, jeune et rapidement, le métier d’infirmière. Qu’est-ce qui vous a donné… la piqûre?
Dans mon entourage familial, certains étaient soit médecins, soit infirmières, et cela me fascinait chaque fois qu’ils en parlaient, de même que le sarrau blanc! Il ne faisait aucun doute dans mon esprit que j’exercerais cette profession. Par contre, j’étais une adolescente timide, pas très sûre d’elle; personne n’aurait cru dans mon entourage que je me dirigerais un jour vers l’action syndicale.
Mes parents m’ont inculqué des valeurs importantes, dont l’amour du territoire – avec eux, nous avons sillonné en voiture une bonne partie du Québec – et le plaisir des longues discussions le dimanche autour d’un bon repas que mon père cuisinait – même si en bons adolescents, mon frère et moi rêvions souvent d’être ailleurs.
L’enfance de vos garçons n’a pas ressemblé à la vôtre, vous qui avez quitté Haïti à l’âge de 11 ans pour vous installer avec vos parents au Québec. Sans compter que les exigences du syndicalisme vous ont détournée du métier d’infirmière.
Lorsque j’ai pris ma retraite de la FIQ, on a souligné mon départ devant les délégués et j’ai eu la surprise de voir un de mes fils prononcer un discours. Il a commencé en disant: «Merci à la FIQ pour les absences de ma mère quand j’étais ado!» Oh là là! Malgré cela, ils ont su en tirer du positif. C’est vrai que pendant longtemps, je voulais tout, j’avais soif de tout, et je n’avais surtout pas envie de choisir. Cela a forcément eu un impact sur mes garçons, que j’ai forcés à être autonomes et à prendre certaines responsabilités dans la maison. Mais je leur expliquais toujours ce que je faisais, et pourquoi je le faisais. Étant poussés à la lecture, ils ont aussi développé un esprit critique.
L’esprit critique et l’art d’argumenter ont sûrement bien servi les trois grands axes de votre vie: infirmière, syndicaliste et mère.
Mes parents m’ont appris l’importance de bien m’exprimer. Adolescente, j’ai demandé une permission, et ils m’ont demandé pourquoi ils devraient me l’accorder. Je n’ai pas été capable de bien défendre mon point de vue, ils me l’ont refusée, et j’ai passé la semaine à bouder. C’est là qu’ils m’ont dit que si j’avais bien expliqué pourquoi je la méritais, ils me l’auraient accordée. J’ai retenu la leçon! Et j’ai appris à aimer les débats. Ça ne signifie pas s’engueuler, mais apporter des points de vue différents, nous conduire vers des chemins que l’on n’aurait pas fréquentés. L’art de débattre, d’amener des arguments, on devrait l’apprendre très tôt aux enfants à l’école; on en ferait des adultes qui ne vont pas sur les réseaux sociaux envoyer promener les gens parce que leur opinion est différente!
Croyez-vous que les infirmières, profession encore largement féminine, auraient fait plus de gains, et plus vite, si les hommes y étaient majoritaires?
On ne peut pas refaire l’Histoire, seulement travailler à améliorer les choses. Sous le couvert de la vocation, on a longtemps tardé à reconnaître le professionnalisme et l’expertise des infirmières, mais quand je compare le moment où j’ai terminé mon cours en 1979 à ce qui se passe maintenant, je vois qu’elles ont gagné en autonomie, en prise de parole, en respect. Et on ne peut pas dissocier la lutte des infirmières de celle de toutes les femmes.
Si vous aviez 18 ans aujourd’hui, choisiriez-vous le métier d’infirmière?
Oui, aucun doute là-dessus! Infirmière, je suis tombée dedans… et j’étais bien dedans. Mais si j’étais plus jeune, j’aurais bifurqué pour étudier en droit de la santé afin d’être mieux outillée pour défendre les soignants. C’est la seule chose que j’aurais changée.
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