Redresseuse de torts
Alors étudiante en droit à l’UQAM, Lida Sara Nouraie assiste un jour à une conférence qui non seulement va modifier radicalement la trajectoire de sa carrière, mais aussi changer sa vie.
En 2001 à Toronto, curieuse d’en savoir plus sur l’impact des erreurs judiciaires, elle découvre une initiative déjà bien implantée aux États-Unis et au Canada anglais: le Projet Innocence. Rien de tel n’existait encore au Québec, et l’organisation canadienne était à la recherche d’avocats francophones pour soutenir les demandes de personnes qui se sentaient lésées par le système judiciaire, et pour qui cette organisation représente l’ultime et dernier recours.
Il n’en fallait pas plus à Lida Sara Nouraie pour convaincre les responsables de sa faculté, d’autres étudiants de même qu’une avocate de l’aide juridique de jeter les bases, dès 2002, de ce qui deviendra Projet Innocence Québec (PIQ). Avec une même ferveur et une patience infinie, avocats et étudiants en droit œuvrent tous bénévolement (ou pro bono, comme le veut l’expression consacrée dans le domaine juridique) à redonner un peu de dignité aux personnes qui considèrent que les tribunaux n’ont pas tenu leur rôle : celui d’offrir, comme à chaque citoyen dans une société démocratique digne de ce nom, un procès juste et équitable.
Lauréate de plusieurs prix prestigieux, l’avocate coordonne cette mission aux allures kafkaïennes avec son partenaire de cabinet, Nicholas St-Jacques, dont elle partage aussi la vie – ils sont les heureux parents de trois enfants. Entre le bénévolat, la pratique privée, les charges de cours à l’UQAM, les lunchs et les leçons, rien ne semble arrêter Me Lida Sara Nouraie.
Qu’est-ce qui vous motive à consacrer autant d’énergie et de temps au PIQ, et ce, depuis deux décennies?
Devenir avocate, c’était une façon de démontrer mon affection pour le système judiciaire et de prouver qu’il est en bonne santé ; lorsqu’il commet une erreur, il est capable de la réparer. C’était aussi une façon de défendre les plus vulnérables. Les personnes qui réclament l’aide du PIQ ont tout perdu, et on ne croit plus du tout en eux. Finalement, il y a un aspect enquête passionnant, parce qu’on doit tout relire, tout analyser; c’est le cas dans ma pratique générale, mais ce n’est jamais aussi intense qu’avec le PIQ.
Ceux que vous défendez dans le cadre du PIQ le disent eux-mêmes: ce ne sont pas des enfants de chœur. Croyez-vous que cette image contribue à l’incompréhension du public à l’égard de votre engagement?
Plusieurs ne comprennent pas la mission du PIQ ni celle d’avocat de la défense. Parfois, j’entends des commentaires du genre: «S’il n’a pas commis ce crime, il en a commis un autre, alors aussi bien qu’il reste en prison.» Or, il ne faut jamais oublier que des erreurs judiciaires, ça peut arriver à tout le monde: votre père, votre frère, votre conjoint. La présomption d’innocence, un procès juste et équitable, ce sont des principes que nous protégeons, et les personnes que nous défendons sont souvent stigmatisées. Quand je pense à Daniel Jolivet [derrière les barreaux après avoir été reconnu coupable d’un quadruple meurtre commis en 1992 et clamant depuis son innocence], que j’ai accompagné ces 20 dernières années, je vois toutes ses cicatrices physiques et émotionnelles. La dernière fois que je lui ai rendu visite au pénitencier de Port-Cartier en décembre 2021, il me disait avoir de l’espoir parce que je me bats encore pour lui, mais il est très amer face au système de justice, et complètement détruit.
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Vous travaillez pour lui depuis très longtemps, et rien n’a vraiment bougé. Cette lenteur administrative n’est-elle pas la preuve que quelque chose cloche dans l’organisation de la justice au Québec?
Je suis totalement d’accord avec vous: le système est lent, et sur deux aspects. C’est extrêmement long de constituer des dossiers d’erreurs judiciaires, et c’est très long avant de recevoir les boîtes de documents pour monter ces dossiers. Tu ne peux pas écrire à la Couronne et demander: donnez-moi toute la divulgation de la preuve! Il faut passer par la Commission d’accès à l’information, qui ne fonctionne pas du tout avec les mêmes règles. Et les dossiers de certains détenus ne sont plus disponibles. Ce seul aspect peut prendre des années. Mais je fonde beaucoup d’espoir sur le rapport de la Commission indépendante chargée d’examiner les demandes de révision relatives à une erreur judiciaire, déposé en novembre 2021. On recommande d’établir une commission permanente pour aider les demandeurs à constituer leur dossier parce que c’est un problème criant.
Votre conjoint et associé, Nicholas St-Jacques, qualifie votre vie familiale de «bordel» ! Est-ce vraiment le bon qualificatif?
Oui! Lorsque j’ai eu ma première fille, j’avais toujours l’impression de n’être ni une bonne mère ni une bonne avocate parce que je me donne à 100% dans tout ce que je fais et là, je faisais les choses à moitié. Avec Nicholas, nous avons bâti une équipe, une structure, pour que je puisse garder ma pratique privée et continuer mon bénévolat; il faut travailler ensemble pour accomplir ça. Aujourd’hui, si je demande à mes filles ce qu’elles veulent faire dans la vie, elles me répondent: avocate! Ça me touche parce que si elles sentaient que je n’étais pas présente, elles n’aimeraient pas cette profession. Elles voient des parents qui travaillent fort, mais qui ne sont pas blasés. Le droit, c’est ma passion, une partie intégrante de ce que je suis, et si je n’étais pas impliquée à ce point dans le PIQ, je ne serais pas aussi épanouie.
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