Fady Dagher aime bien citer l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf, qui compte parmi ses préférés: «Je ne suis pas de ceux qui observent l’obscurité. Je suis de ceux qui allument des bougies.»
Né à Abidjan en Côte d’Ivoire de parents libanais avant de s’installer au Québec à l’âge de 17 ans, le chef du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPL) apparaît moins comme un redresseur de torts qu’un défenseur de nouvelles approches. Car depuis le début de sa carrière, celui qui a longtemps œuvré au sein du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) poursuit un rêve que certains jugent toujours irréaliste – et ne se privent pas de lui mettre des bâtons dans les roues. Car l’homme ne manque pas d’ambition en espérant que les forces de l’ordre deviennent une force de transformations sociales. Bref, passer de la culture du «combattant du crime» à celle de la «police de concertation». Car pour lui, le constat est clair depuis qu’il parcourait les quartiers défavorisés de la métropole: quand le seul crime est la détresse humaine, la mission du policier devrait être d’accompagner bien plus que de pénaliser.
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Résistance: la police face au mur
Le réalisateur Charles Gervais a récemment consacré un documentaire (Résistance: la police face au mur) à votre combat pour un corps policier renouvelé. Il affirme que «vous voulez transformer quelque chose qui ne veut pas être transformé». Définition juste?
Il y a une part de vérité, mais je reviens sans cesse à une phrase du révolutionnaire Che Guevara: «Soyons réalistes, exigeons l’impossible.» Bref, ne vivons pas dans la demi-mesure. Mais je ne dirais pas qu’il s’agit d’un combat, car ça signifierait qu’il y a une fin. Pour moi, c’est d’abord une cause, quelque chose qui traverse les générations, les partis politiques, et reste imprimé.
Heureusement, le progrès fait des miracles: ces affaires criminelles ont finalement pu être résolues grâce à la police scientifique.
Sortir des sentiers battus
Bien avant votre projet Immersion au SPL, où des policiers en civil et non armés découvrent pendant quelques semaines diverses réalités sociales, culturelles et religieuses, vous le faisiez déjà sur une base individuelle au SPVM en jouant par exemple au soccer avec de petits trafiquants de drogue.
Dès les années 1990, je soulignais déjà l’importance de faire les choses différemment, de sortir des sentiers battus, preuve que la cohérence a toujours été là! Je jouais avec eux pendant mon heure de lunch, et lorsque je me déplaçais pour des affaires criminelles, ils me reconnaissaient par mon nom et comme joueur. Le soccer me donnait plus de respect que l’uniforme.
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La police stigmatisée
Dans votre vie, avec ou sans uniforme, vous avez été plus d’une fois victime de profilage racial, surtout après le 11 septembre 2001. Ces expériences ont guidé votre philosophie?
Même avant cela, comme si j’avais anticipé ces événements et intériorisé cette discrimination. J’ai eu mes trois enfants avant 2001, et avec ma conjointe d’origine italienne, nous avons choisi de leur donner des prénoms européens pour qu’ils aient un emploi, un appartement, une vie adéquate. Après le 11 septembre, pour les gens d’origine arabe, vous ne pouvez pas imaginer ce que l’on a vécu comme stigmatisation. Et lorsque je travaillais au SPVM, j’ai monté peu à peu dans la hiérarchie, j’ai subi de la discrimination, mais ceux qui me l’ont fait subir ont tous fini par travailler pour moi.
Black Lives Matter
Vous comprenez mieux que d’autres les revendications des militants de Black Lives Matter de même que l’impact de la vidéo de la mort atroce de George Floyd. Mais dans vos rangs, fait-on la même lecture des événements?
J’ai dit à mes policiers: la population croit que vous êtes tous comme celui qui a tué George Floyd. Vous savez maintenant comment on se sent quand on se retrouve en situation minoritaire, alors faites attention. Mais ils se sentent blessés, et ils ont raison. Je peux comprendre le fameux «Définançons la police» si on investit toujours de la même façon. Je crois plutôt qu’il faut réinvestir dans quelque chose de complètement différent. En ce moment, il y a 300 patrouilleurs [au SPL]. Dans 10 ans, j’aimerais en avoir 150, et les autres seraient dans les communautés, auprès des familles vulnérables, en lien avec les psychologues, les travailleurs de rue, les travailleurs sociaux, les psychiatres. Bref, aider avant que la crise n’éclate. Sinon, quand il y a une fusillade, on ajoute des escouades pour contrer les gangs de rue et la mafia. Mais ça fait combien d’années qu’on fait ça? J’ai demandé 1,4 million de dollars pour instaurer la police de concertation, et c’est toujours silence radio…
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Police et politique
Plusieurs de vos confrères policiers se sont lancés en politique: Jacques Duchesneau, Guy Ouellette, Ian Lafrenière, Bill Blair. À quand votre tour?
Beaucoup de gens ont dit me voir en politique, mais je n’ai jamais été approché de manière sérieuse. D’autres me voient à la tête de l’École nationale de police du Québec, à Nicolet, pour que je puisse tous les «contaminer», mais je ne suis pas prêt. Ce qui m’importe, c’est d’avoir un rôle décisionnel avec les deux mains sur le volant, et grandement significatif sur la fonction policière au Québec. Longueuil est un merveilleux laboratoire en ce moment. J’y fais des recherches, j’y trouve des recettes, des solutions, et j’aimerais les étendre à toute la province. Mais je n’ai jamais eu la flamme politique.
L’art de la persuasion
Mais la politique, n’est-ce pas l’art de la persuasion grâce en partie à la maîtrise des médias? À cela vous êtes doué!
Alors si c’est ça, oui, je fais beaucoup de politique!
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