La qualité du français est-elle à la baisse ?
Et si on décrispait notre rapport au français ? Avec Le niveau baisse!, Benoît Melançon s’attaque avec humour et légèreté aux idées reçues qui nous collent à la langue.
Pourquoi ce livre aujourd’hui ?
Il existe une quantité phénoménale de livres sur la langue au Québec. Généralement, ce sont des jérémiades : « tout va mal » ! J’ai voulu proposer une nuance, dire qu’il y a aussi des choses qui vont très bien.
Quelle est la pire idée reçue en matière de langue au Québec ?
« Le niveau baisse », qui a inspiré le titre du livre. C’est la plus fausse, la plus répétée et la plus nuisible ! Cette idée qu’on maîtrisait mieux la langue « avant », que la neige était plus blanche, l’herbe plus verte, ça n’a aucun sens. Mais on répète ça continuellement. C’est un réflexe humain qui est pire en matière de langue, et encore pire chez les francophones.
Pourquoi ?
Parce que nous souffrons de cette maladie que mon collègue belge Jean-Marie Klinkenberg appelle avec dérision l’«hypertrophie de la glande grammaticale » ! Hormis les Français, tous les francophones ont un rapport difficile à la langue et passent leur temps à se poser des questions sur leur façon de parler.
À quoi doit-on cela ?
C’est une langue qui résiste beaucoup à l’inventivité, à la différence de l’anglais par exemple. Si vous inventez un mot en anglais, personne ne va s’en occuper. En français, l’Office québécois de la langue française passera derrière et dira si c’est bien ou pas. Il y a une très forte centralisation de la langue française. Il y a aussi des raisons géographiques. Le rapport démographique entre l’Angleterre et les États-Unis ou entre l’Espagne et l’Amérique latine hispanophone, fait qu’il est difficile de considérer que le « bon » anglais est celui de New York ou Londres, le « bon» espagnol celui de Madrid. Tandis qu’il n’y a pas de grande puissance francophone supérieure en nombre à celle de la France. Il existe une variété de français que les Français acceptent mal. Et les francophones ont du mal à admettre que leur propre variété est valable. Notre glande grammaticale nous dit constamment « attention » !
Les francophones souffrent-ils donc d’un complexe d’infériorité ?
Je dirais plus d’insécurité linguistique, parce qu’on ne cherche pas tant à savoir qui est supérieur ou inférieur. On est dans l’idée qu’il existerait une norme que l’on n’est jamais sûr de maîtriser. On se demande si on emploie le bon niveau, la bonne formule. Personne, évidemment, ne pourrait vous définir ce que serait cette norme, parce qu’elle diffère selon les pays, les circonstances, le niveau social.
L’état de la langue est donc à considérer sans alarmisme ni jovialisme ?
On est tellement habitué aux discours disant que tout va mal que dès qu’on se positionne différemment on est accusé de penser que tout va bien. Or, non, tout ne va pas bien. Mais le refus de l’alarmisme, c’est aussi de dire qu’il n’y a pas UN français, mais DES français. Cette idée que la langue serait une reine me dérange. Quand Christian Rioux écrit dans Le Devoir que, dans son film Mommy, Xavier Dolan utilise une langue adolescente et inaboutie, je suis d’accord. Mais quand il pousse à dire que c’est ainsi que parlent les Québécois, je décroche. Les créations culturelles ne sont pas des miroirs de la langue qu’on parle. Personne en France n’a jamais parlé comme Céline ou Rabelais écrivaient. Xavier Dolan a inventé une langue pour servir son film, point.
Mais si l’on ne s’inquiète pas de la qualité de la langue, ne risque-t-on pas de voir effectivement le niveau baisser, à long terme ?
Je ne dis pas « arrêtons de nous en faire », je dis que s’il y a des champs où il faut travailler, être plus sévère, c’est celui des politiques, et celui de la formation des enseignants du français. On se plaint de leur niveau lorsqu’ils entrent à l’université, mais ce qui m’intéresse c’est leur niveau à la sortie. Ce n’est pas vrai que tous ces étudiants sont nuls. Il y en a, certes. Faut-il leur faire passer des examens plus sévères, comme le veut le gouvernement ? Peut-être. Mais pourquoi ne pas proposer une formation d’un an en pédagogie aux étudiants en littérature, afin qu’ils puissent eux aussi enseigner ? On aurait alors des professeurs plus ferrés en français.
La langue reste un sujet très délicat au Québec…
Il n’y a rien à faire ! Parce que dès qu’on parle de langue on parle d’identité, et que dans notre cas ça touche notre rapport à la France. Mais il faut justement arrêter d’avoir cette glande grammaticale hypertrophiée, cesser d’être à fleur de peau. L’humour demeure une excellente façon de relever le niveau. La ministre Charbonneau, tournée en dérision après son message truffé de fautes publié sur Facebook, va sans doute faire davantage attention !