Naomi Klein: système d’alarme
La militante Naomi Klein nous parle de son nouveau livre, This Changes Everything, et pourquoi elle garde espoir en l’avenir de la planète.
Dans La stratégie du choc, vous avez examiné la manière dont les dirigeants du monde tirent profit des crises pour faire passer des politiques d’exploitation. Vous vous intéressez maintenant au changement climatique – et affirmez que la seule solution est d’abandonner le capitalisme. Comment en êtes-vous arrivée à cette conclusion ?
En 2009, j’ai remarqué que les mouvements auxquels j’avais participé – concernant l’anticolonialisme, les réformes du territoire, l’opposition aux accords économiques de libreéchange – commençaient à comprendre que le changement climatique était le débat qui mettait fin à tous les autres. Si un modèle économique part en guerre contre la vie sur Terre, nous devons le changer. C’est difficile, mais on peut modifier les lois de l’économie, pas celles de la nature.
Le moment est bien choisi pour publier This Changes Everything, comme nous nous remettons encore d’un vortex polaire. Comment faites-vous pour pressentir si justement l’esprit du temps ?
Je prends les mouvements sociaux plus au sérieux que la plupart des journalistes. Lorsque j’ai écrit No Logo, il s’agissait de croire sincèrement que les poches de résistance ignorées par la presse allaient quelque part. Les mouvements se construisent, puis explosent au grand jour. Ils ne sont une surprise que si vous les aviez ignorés. L’autre aspect essentiel est de laisser passer les échéances. Si on attend suffisamment longtemps, on atteint ce moment idéal.
Selon vous, trouver un langage efficace est l’un des grands défis pour mobiliser les gens autour du changement climatique.
Les scientifiques qui étudient la question sont extraordinaires. Ils méritent toute notre reconnaissance pour avoir donné l’alerte. Pourtant, ils ont été tellement dénigrés par les « climatosceptiques ». C’est que, à quelques exceptions près, ils ne sont pas très doués pour les communications de masse. Ce débat est traité comme s’il fallait être titulaire d’un doctorat pour émettre une opinion. Je ne suis pas une scientifique. Je me suis informée, nous devons tous faire de même.
Il est difficile de savoir comment agir quand l’avenir semble si sombre.
Nous nous sommes raconté si souvent des histoires post-apocalyptiques – où quelques personnes sont sauvées et toutes les autres sont anéanties – que nous n’envisageons pas un futur différent. Et pourtant, par le passé, nous avons déjà connu des crises. Les deux guerres mondiales, la Grande Dépression. Je l’ai vu en Argentine après la crise économique, lorsque le pays s’est rassemblé pour rétablir sa démocratie. Malheureusement, on néglige ces histoires-là.
Quelles histoires devrions-nous raconter ?
Les mouvements populaires ont eu un succès énorme contre la fracturation hydraulique. Il y a eu des moratoires au Québec, en France et dans l’État de New York. Il existe un phénomène de résistance populaire contre les exportations de charbon au nord-ouest de la côte pacifique. Au Canada, la résistance aux pipelines a aidé la population à comprendre l’importance des droits des Autochtones. Aujourd’hui, 25 % de l’énergie de l’Allemagne provient de systèmes décentralisés d’énergie renouvelable. J’ai mis cinq ans à écrire ce livre, et toutes ces victoires ont eu lieu pendant ce temps. Je ne peux pas m’empêcher de garder espoir, et courir pour rester dans le coup.
La version française de This Changes Everything : Capitalism vs. the Climate sera disponible au printemps 2015.