Ma première rencontre avec l’hiver canadien
Par Elamin Abdelmahmoud
J’avais 12 ans en 2000 quand j’ai quitté mon pays, le Soudan, pour le Canada. C’était en juillet et le mercure avait largement dépassé les 20°C à l’aéroport Pearson de Toronto où on venait de se poser. Pour moi, il faisait un froid de canard.
Je m’étais préparé mentalement au froid canadien. Je ne m’attendais pas à ce qu’il fasse aussi glacial en juillet et j’ignorais tout du «refroidissement éolien». Que le vent puisse jouer un rôle dans la vitesse avec laquelle l’organisme perd sa chaleur n’était mentionné dans aucune brochure sur l’immigration au Canada. Heureusement, mon père vivait au pays depuis quatre ans et il m’avait initié à la notion de chauffage. Je lui ai demandé de l’allumer dans la voiture qui nous emmenait sur la 401 vers ma nouvelle maison.
Je n’ai cessé d’apprendre au cours des mois qui ont précédé l’hiver. Et toutes ces leçons me préparaient au grand moment.
J’étais en classe d’anglais en secondaire II quand il est arrivé. On lisait Sa Majesté des mouches et j’essayais de démêler ce que manigançaient Jack et Ralph dans le roman quand, troublé par les exclamations joyeuses de mes camarades, j’ai regardé par la fenêtre. Et je l’ai vue: ma première neige.
Après un bref épisode de chahut, notre enseignante a voulu ramener l’attention sur le sujet qui nous occupait: les jeunes Britanniques et la bête qui dormait en eux. Pour ma part, je suis resté pétrifié devant ces rafales légères qui tombaient du ciel et fondaient doucement dans la cour de récréation. Je l’avais vue des millions de fois au cinéma et à la télévision, sans vraiment y croire. Mais elle était là: il était donc vrai que dans les nuages les cristaux de glace pouvaient s’assembler et former des flocons de neige qui tomberaient du ciel. Il y avait là quelque chose d’irréel, d’onirique. J’étais bouleversé.
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J’avais du rattrapage à faire
Notre enseignante a compris que c’était tout nouveau pour moi. Dans un acte de profonde générosité que je n’oublierai jamais, elle a posé son livre et, souriante, a dit: «C’est la première neige d’Elamin. N’est-ce pas que c’est spécial, Elamin?»
Mes camarades qui me savaient au pays depuis peu ont sondé mon visage, comme pour vivre l’évènement à travers le regard neuf de celui qui en ignore tout. La plupart d’entre eux avaient déjà une douzaine d’hivers dans le coffre. J’avais du rattrapage à faire.
Je suis allé près de la fenêtre pour mieux voir. Un autre enfant, Mike, s’est approché: «Regarde, c’est vraiment excitant. Mais ce n’est rien comparativement à ce qui nous attend.» On sentait le découragement derrière son avertissement – j’entendais la résignation dans sa voix.
Notre enseignante a sonné la récréation avec quelques minutes d’avance, peut-être avait-elle perdu sa page dans le livre, mais elle l’a plus vraisemblablement fait pour me permettre d’observer la neige plus longtemps.
Mike avait raison – je n’avais aucune idée de ce qui allait suivre. Mais à cet instant précis, l’hiver était magique.
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Du calme et du silence
Par Muhammed Ali Babilli, propos recueillis par Megan Jones
Avec ma femme et mes quatre jeunes enfants, nous avons fui la Syrie en décembre 2017 et été accueillis au Canada comme réfugiés. En Syrie, j’étais chef cuisinier et entraîneur personnel. Ma forme physique ne m’a pas épargné le choc en arrivant à Charlottetown: j’étais terrorisé par le froid! Sortir était chaque fois un exploit. Mais je savais qu’il fallait s’acclimater, alors je sortais faire de longues marches.
Nous emmenions les enfants en promenade dans le parc et dans le port de Charlottetown. J’aimais regarder la glace dériver sur l’eau – c’est une chose qu’on ne voit jamais au Moyen-Orient. Ces balades m’ont permis de goûter le calme et le silence qui s’installent après une chute de neige, et je dois dire que j’ai fini par apprécier cette tranquillité paisible.
Avoir des amis a été plus long. Je ne pratique pas de sports d’hiver mais, avec un ami, je me suis inscrit à un club de soccer intérieur où j’ai rencontré des gens. Je n’ai plus peur de l’hiver – cette saison nous a offert un accueil paisible à un moment où nous en avions besoin.
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En mode survie
Par Carlos Castaño, propos recueillis par Megan Jones
J’ai quitté la Colombie en 2015 et je me suis installé à Toronto avec mon compagnon. J’aime mon mari. L’hiver, beaucoup moins. En réalité, c’est une torture.
La première année, je suis tombé dans un blues d’hiver assez sévère. Il m’est arrivé de ne pas sortir de la maison 10 jours d’affilée. Je passais le petit doigt par la porte et le rentrais aussitôt. Non! Trop froid! Je voyais pourtant tous ces gens qui allaient et venaient comme si de rien n’était. Je me suis fixé l’objectif de survivre à la saison.
J’ai commencé par une promenade avec mon ami après le travail. Il a fait -35°C ce jour-là. Je me suis emmitouflé comme jamais sous un nombre incalculable de vêtements. J’étais déterminé. Prêt. J’ai à peine réussi à remonter la rue avant de m’engouffrer dans un restaurant, découragé.
J’avais le vertige et j’étais si essoufflé qu’un des employés m’a demandé si ça allait.
J’ai eu ensuite la brillante idée d’allumer le four pour faire monter la température dans la maison. Ça a marché un moment – mais à force de l’utiliser, l’appareil a rendu l’âme. J’ai également pris assidûment de la vitamine D (sans le succès espéré), contemplé une lampe qui simulait un lever de soleil (inutile) et consacré du temps à admirer la beauté des paysages hivernaux (beaucoup mieux de l’intérieur, à mon sens).
Je ne suis toujours pas en très bons termes avec la saison, mais je n’ai pas renoncé. Cette année, je me propose d’essayer le patin et le chalet d’hiver. Ça finira par s’arranger.
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La chaleur du cœur
Par Solomon Hailemariam publié dans The Globe and Mail
Quand je suis arrivé à Toronto à l’automne 2015, venant d’Éthiopie, on me disait souvent: «C’est votre premier hiver? Mais il faudrait acheter des bottes et un manteau!» On me l’a tellement répété que j’appréhendais ce premier hiver. Ma nervosité augmentait chaque fois qu’on me demandait ce que j’allais faire. Comme si un monstre approchait, un monstre dont je n’avais jamais entendu parler ni ne savais à quoi il ressemblait.
Puis, un matin de décembre, en voulant ouvrir la porte, j’ai senti une résistance. Quand j’y suis arrivé, je n’en ai pas cru mes yeux. La terre était couverte d’un grand tapis blanc. J’ai touché et humé. C’était comme du sucre, sauf que la neige était plus vivante et belle; elle était douce et délicate. Ça a été le coup de foudre.
Un an plus tard, j’ai eu l’occasion d’aller à Ottawa, et tout le monde m’a mis en garde: il faisait encore plus froid là-bas qu’à Toronto. Enfin, ai-je songé, je vais pouvoir me mesurer à un véritable hiver canadien. Je n’ai pas été déçu, il faisait -24°C quand j’ai visité le Parlement.
«C’est tout?»
Un pays froid, mais des habitants chaleureux
J’ai découvert par la suite qu’il faisait souvent plus froid à Montréal, mais certains soutiennent que c’est en Saskatchewan que les températures sont les plus basses et d’autres que, pour affronter l’épreuve ultime, il faut plutôt aller à Winnipeg.
«Le Canada est un pays froid, mais ses habitants sont chaleureux», m’a dit un jour Caroline, une de mes premières amies canadiennes. Je n’ai pas mis beaucoup de temps à le comprendre.
À mon arrivée, j’ignorais où j’allais m’installer pour démarrer cette nouvelle vie. J’étais un parfait étranger pour Caroline, mais elle m’a hébergé pendant plus d’une année et traité comme un membre de sa famille. Caroline fait partie du PEN Canada, le centre canadien de l’organisme international qui prend notamment la défense des écrivains persécutés. J’avais fondé le PEN Éthiopie, et c’est dans la foulée de ma participation au congrès du PEN International à Québec, en 2015, que des collègues et moi avons demandé la protection du gouvernement canadien.
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J’ai découvert que la générosité était contagieuse au Canada
Mes nouveaux amis m’ont consacré du temps et ont vraiment tout fait pour me comprendre et comprendre les défis qui attendent un nouveau venu dans ce pays. Quand les voisins de Caroline ont appris mon histoire, ils m’ont offert un manteau d’hiver, des chaussettes épaisses et des bottes. Je n’ai pas oublié leur regard bienveillant et leur sincérité quand nous avons fait les magasins pour trouver ces vêtements.
J’ai été invité à un repas de l’Action de grâce, à un défilé de la citrouille dans mon quartier, à un repas de Noël et à des matchs de hockey.
J’ai regardé des compétitions de ski et visité la collection McMichael d’art canadien.
Hospitalité et accueil
Une nouvelle amie a rédigé mon CV à la manière canadienne, l’a distribué à son lieu de travail, m’a trouvé une place de bénévole et m’a aidé à décrocher un stage payant. J’ai pu me recommander d’elle. Quand ma famille m’a rejoint au Canada en 2017, mes collègues nous ont offert un lit pour ma femme et moi, et des lits superposés pour mes deux garçons. Ils sont même venus assembler les meubles Ikea dans notre nouvel appartement. J’étais sans voix.
Mais il n’y a pas que moi. Leur nature accueillante est forcément héréditaire; les Canadiens ont aidé des générations de réfugiés. J’imagine que c’est ce qui distingue le Canada du reste du monde.
J’ai vécu quatre hivers au Canada et je ne connais toujours pas Winnipeg. Je souhaite m’y rendre un jour pour voir jusqu’où peut descendre le mercure.
J’ai appris beaucoup d’autres choses sur les Canadiens. Je comprends parfaitement ce qu’a voulu dire Caroline en parlant de leur «chaleur». Le soutien et la bonté que m’ont accordés ceux qui m’ont parrainé et leurs amis m’ont profondément marqué. Il est de ma responsabilité de poursuivre sur la même voie.
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