Marc Messier, l’antistar
Même s’il a brillé sur toutes les scènes, le cocréateur de Broue refuse les diktats du vedettariat et se définit avant tout comme un artisan du spectacle.
Vous ne le verrez jamais dans les pages de la presse à potins ni s’étaler dans les médias sociaux. Pourtant Marc Messier affiche une impressionnante feuille de route: Broue, Lance et compte, La petite vie, Les Boys, Grande Ourse… pour ne citer que quelques-uns de ses plus grands succès. Rencontre avec un comédien qui a marqué son milieu sans jamais succomber aux trompettes de la Renommée.
On vous a beaucoup vu sur les planches mais on ne sait pratiquement rien de vous…
Je suis assez pudique de ma vie privée. Il faut comprendre qu’ouvrir cette porte-là, c’est formidable quand ça va bien. Mais quand ça va mal, les gens sont encore sur les réseaux sociaux et ils veulent savoir pourquoi. Il y a des situations dans la vie, les séparations par exemple, qui sont déjà difficiles à vivre. Alors étaler ça sur la place publique, ça ne m’intéresse pas. Je parle quand j’ai des choses à dire, et ce que j’ai à dire concerne mon travail. Je ne pense pas que ma vie personnelle soit plus intéressante que celle d’un autre et mes enfants n’ont pas envie d’y être mêlés.
Difficile de parler de votre carrière sans aborder le succès de Broue, le plus grand de l’histoire du théâtre au Québec. Comment cette aventure a-t-elle commencé?
En 1979, notre petite troupe, Michel Côté, Véronique le Flaguais, sa blonde, Marcel Gauthier et moi, avait acheté un petit théâtre sur la rue Saint-Laurent que nous voulions rentabiliser. Et comme Véronique était enceinte, on cherchait une pièce pour trois gars. C’est là qu’on a appris que les tavernes, cette institution mâle où les femmes n’étaient pas admises et où se réunissaient des Québécois assez typiques pour boire, déblatérer, raconter des niaiseries, allaient fermer. On a décidé de saluer cette disparition.
Vous aviez imaginé un tel succès?
Pas du tout. On voulait ouvrir le théâtre le 21 mars, jouer notre pièce et le louer ensuite à d’autres troupes, parce qu’on n’avait plus d’argent pour payer le loyer. Mais le succès a été immédiat. Comme le théâtre nous appartenait, on s’est mis à l’affiche sans interruption. Il faut comprendre qu’à l’époque une pièce qui était jouée 100 fois, ça ne se voyait à peu près jamais au Québec. Nous, on a joué des centaines de fois dans ce petit théâtre avant que le gouvernement ne le ferme parce qu’il n’y avait pas de ruelle à l’arrière pour évacuer en cas d’incendie.
Ce qui n’a pas signé la fin de Broue…
Non. Jean Duceppe, qui était venu voir la pièce, nous a invités à joindre sa troupe qui se produisait à la Place des Arts dans une salle de 700-800 personnes. Il nous avait dit que nous n’étions pas connus ailleurs au Québec, mais que le nom de Duceppe nous ouvrirait les portes. Il avait raison. Sous sa bannière, on remplissait les salles.
Vous avez joué Broue 3322 fois, établissant ainsi un record Guinness pour une même pièce jouée par les mêmes comédiens. Où trouve-t-on l’énergie?
L’énergie vient du public, qui adorait ce spectacle. On jouait sur scène au moins 75 fois par année, toujours devant des salles combles. Jamais il n’y a eu de salles à moitié vides, et c’est ça qui nous motivait. Si on n’avait pas aimé ce spectacle, on ne l’aurait pas joué 38 ans.
Que dit le phénomène Broue de la société québécoise?
On faisait de l’humour sur des gens qui se fréquentaient dans les bars, la génération des mononcles, et chacun voyait le spectacle à sa manière. Certains ne voyaient que le côté réaliste, les bonnes blagues, tout ce qui se passe dans une taverne et qui est un peu vulgaire. D’autres y voyaient une critique sociale. Nous, on le jouait dans cette optique-là. C’est pour ça que ça attirait un peu tout le monde. Ce qui est bizarre avec Broue, c’est qu’au départ on jouait des bonhommes de 50 ans alors qu’on en avait 28 ou 30, puis en arrivant dans la soixantaine, on est devenus ces mononcles dont on se moquait 30 ans plus tôt…
Le Québec a beaucoup changé entre 1979 et 2017. À la fin vous jouiez devant des spectateurs qui n’avaient jamais connu le temps des tavernes.
Oui, mais on l’a toujours joué comme si ça se passait en 1979. Même à la fin, on n’avait rien changé et c’est devenu avec les années une pièce un peu historique. Ce qui fonctionnait avec Broue, c’est la mécanique de la comédie, la couleur des personnages qui sont immortels parce que ce sont des stéréotypes un peu universels. Ça a été joué en Belgique pendant sept ans par des Belges, et la critique le soir de la première vantait «le spectacle le plus belge en ville». Pourtant, il n’y a rien de plus québécois!
Ça ne devait pas être facile d’avoir une vie de famille dans tout ça?
C’est un métier difficile pour la famille. Ça a toujours été compliqué pour moi parce que j’ai beaucoup travaillé. Je jouais Broue au théâtre et je tournais en même temps. Pour ma première fille, c’était plus dur.
Malgré cela, vous avez décidé de récidiver 20 ans plus tard?
J’ai rencontré la mère de mes deux derniers quand j’avais 50 ans et qu’elle en avait 32. J’avais toujours été très occupé et j’étais resté un peu sur ma faim paternelle si je peux dire. Quand j’ai eu ma deuxième couvée, ma première fille avait déjà 19 ans. Alors j’ai dit oui. C’est sûr que ça demande de l’énergie mais ce n’est pas du tout le même genre.
Ma deuxième fille a maintenant 14 ans et mon fils 18, et j’adore passer du temps avec mes enfants. C’est un cliché, mais aussitôt qu’ils viennent au monde, «t’es fait». Tu les aimes inconditionnellement.
Sont-ils attirés par votre métier?
Ma fille aînée n’est pas séduite par la célébrité. Elle a 37 ans maintenant et enseigne la biologie à l’UQAM. Elle était au doctorat quand son entourage a compris que j’étais son père parce que je suis allé lui porter quelque chose qu’elle avait oublié chez moi. Personne ne le savait. Et, au Pensionnat St-Nom-de-Marie, les amis de ma fille de 14 ans ne savent pas vraiment que son père est comédien. Mes enfants ne veulent pas retrouver leurs photos dans les magazines. C’est arrivé il y a un an ou deux, lors d’une émission, ils ont sorti des photos de mes enfants sans me le dire. Sur le moment, je n’ai pas réagi parce que je croyais que leur mère avait donné son accord. Mais elle m’a dit plus tard ne l’avoir jamais fait. Du coup, j’étais un peu fâché. Je leur ai envoyé un texto pour manifester mon désaccord, ils m’ont promis de retirer les photos du site.
Pour revenir à votre métier d’acteur: y a-t-il un rôle qui vous a marqué plus particulièrement?
Il y en a plusieurs, mais j’ai beaucoup aimé jouer dans Lance et compte.
Est-ce que c’est parce que Marc Gagnon, c’est un peu Marc Messier?
Oui et non. Je suis plus subtil que lui, mais il y a indéniablement des côtés de moi dans ce personnage. Comme j’avais beaucoup joué au hockey étant jeune, j’y ai vu une manière de jouer dans la Ligue nationale. Quand j’étais enfant, je rêvais de jouer avec les Canadiens. Ça m’a toujours passionné. Et là, on m’offrait un rôle de joueur de hockey professionnel. La fiction était donc le seul moyen pour moi de jouer dans la Ligue nationale.
Vous n’avez jamais peur de vous tromper en acceptant un rôle? Je vous ai entendu raconter dans une entrevue que, après la première de La petite vie, votre épicier vous avait dit que vous «aviez l’air d’un idiot» et que vous devriez être plus sélectif dans vos choix de carrière… Vous êtes-vous déjà demandé s’il avait raison?
Non, pas dans ce cas-là, parce que nous on trouvait ça drôle. C’est sûr que la première année, les gens qui regardaient La petite vie se disaient: «Oh, mon Dieu, c’est quoi ce soi-disant couple québécois joué par un homme qui a l’air de la Sagouine et un type qui a l’air de Fidel Castro? Est-ce qu’ils se moquent de nous?» Mais après un an, tout le monde a fini par trouver ça drôle C’était quand même du 10e degré et c’est pour ça que ça ne vieillit pas et que les gens regardent inlassablement La petite vie depuis presque 30 ans.
Vous avez repris en septembre votre spectacle solo, Seul en scène, où vous affrontez votre égo… D’où vous est venue cette idée, vous qui justement n’avez pas un égo surdimensionné?
Ça doit faire 25 ans que j’ai eu cette idée-là, sans penser que j’en ferais un spectacle un jour. J’avais écrit cette phrase: «Je ne sors plus avec mon ego, il n’arrête pas de me mettre dans le trouble.» Ça parle de cette petite voix intérieure qu’on a tous et avec laquelle on n’est pas nécessairement d’accord.
Vous ne vous étiez jamais retrouvé seul sur scène. Pas trop dur?
Quand j’ai arrêté de jouer Broue, j’avais 69 ans et envie de faire deux choses: jouer un rôle sérieux, dramatique, et ça je l’ai fait dans La mort d’un commis voyageur. Et peut-être faire un spectacle solo si l’occasion se présentait. À 20 ans, j’ai vu Yvon Deschamps dans L’Osstidcho au Théâtre de Quat’Sous. Je m’étais dit «Il est tellement bon, c’est tellement ça que j’aimerais faire». Mais j’étais dans une école de théâtre pour devenir comédien et j’étais très bien là-dedans. Je n’y ai plus repensé.
Quand vous voyez votre ancien complice, Michel Côté, qui se retire pour cause de maladie, ou Serge Thériault, qui a sombré dans la dépression, ça ne vous donne pas envie de mettre la clé sous la porte, de dire j’arrête, vous qui avez fêté vos 75 printemps?
Ça me donne plutôt envie de profiter de la vie. Et pour moi, profiter de la vie, c’est jouer, faire ce que j’aime. Je vais là où mon plaisir m’amène. Tant qu’on me propose des choses intéressantes, je le fais. J’adore jouer. J’adore quand le rideau s’ouvre ou qu’ils disent «Action». Idéalement, j’aimerais tourner dans mon garage. Tout le reste commence à me peser un peu: les répétitions, les déplacements, les tournages à -15°C où on fait comme si on était au mois d’août. Mais dès que le moteur s’allume, je suis vraiment très bien.
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