Ramer pour une cause
Mylène Paquette voulait connaître la peur et la souffrance pour mieux aider ses jeunes patients à se battre.
Perdu au milieu de l’océan, le Sara G lutte pour garder le cap dans des creux de 10 mètres. Mylène Paquette, seule femme à bord d’un équipage de six, sent la force des courants contraires chaque fois qu’elle plante sa rame dans l’eau. Encore une heure à tenir avant la relève. Mylène ira alors s’effondrer sur sa couchette deux petites heures. Puis, le corps endolori, elle repartira à l’assaut des vagues. Elle tient ce rythme depuis 19 jours: deux heures de rame, deux heures de repos. Il en reste encore 38 avant de toucher terre, de l’autre côté de l’océan.
Pour le moment, les trois rameurs sont à la lutte. Ils ne pagaient même pas pour avancer, tout juste pour ne pas trop reculer. Il faut se battre encore et encore. Ça tombe bien, Mylène, préposée aux bénéficiaires à l’hôpital Sainte-Justine, est venue pour ça.
Deux ans plus tôt, elle est entrée dans la chambre de Cynthia Lagacée, une jeune fille de 15 ans qui luttait contre une leucémie. Pour lui redonner courage, Mylène lui a dit:
«Je sais ce que c’est…
-Non, a répondu Cynthia. Vous, les adultes, vous ne savez pas ce que c’est que de se battre.»
Cynthia a perdu sa bataille en février 2009, mais Mylène n’a jamais oublié ses paroles. Comment en effet pourrait-elle «savoir» ce que sont la souffrance et la peur, elle qui n’a jamais connu ni l’une ni l’autre? Comment soutenir des enfants dans l’épreuve quand on n’en a jamais traversé?
Deux mois plus tard, la Montréalaise de 31ans annonce à ses parents qu’elle va traverser l’Atlantique à la rame. Comme ils la supplient de ne pas partir seule, Mylène fouille sur Internet et tombe rapidement sur Matt Craughwell et Peter Williams, à la recherche de moussaillons pour une expédition. Leur bateau, le Sara G, mesure un peu plus de 11 mètres et dispose de trois postes de rameurs et de couchettes à l’avant et à l’arrière. Prix du billet: 30000$.
Mylène vend son condo et organise des activités de financement. La moitié des dons va directement dans les coffres de la fondation de Sainte-Justine. En novembre, elle s’envole pour Londres rencontrer ses futurs coéquipiers. Le courant passe, malgré l’étrange aveu qu’elle leur fait:
«Vous savez, les gars, il faut que je vous dise quelque chose…
-Quoi?
-J’ai peur de l’eau.»
Puis elle ajoute aussitôt: «Alors, je veux être la première à plonger lorsqu’il faudra nettoyer la coque de l’embarcation en haute mer.»
Le 12 janvier 2010, l’équipage du Sara G largue les amarres à Agadir, au Maroc. Les premiers jours, Mylène souffre le martyre: ses mains sont si meurtries par les rames qu’elle est incapable de déplier les doigts. Et elle a les fesses couvertes d’ecchymoses à force de se faire éjecter de son siège à coulisse. La première fois que la jeune femme se jette à l’eau pour nettoyer la coque, son cœur bat la chamade. Masque de plongée collé au visage, elle balaie du regard le bleu infini, terrifiée à l’idée de voir se profiler l’aileron d’un requin, même si ses compagnons font le guet sur le pont. Mais elle refuse de paniquer et commence à décoller les mollusques agglutinés sous le bateau.
Doucement, la jeune femme vient à bout de sa peur.
«Je veux pouvoir dire aux enfants qu’il est possible de vaincre ses craintes, qu’on peut choisir d’arrêter d’être terrifié.»
Les jours s’écoulent, la distance à franchir diminue, et Mylène rêve d’avoir autre chose que les rations packs à se mettre sous la dent. Son fantasme le plus fou: une bouteille de ketchup et un bon café.
Enfin, le 10 mars, 57 jours et 5000 kilomètres après le départ, les six navigateurs accostent à Port St. Charles, à la Barbade. Durant la traversée, Mylène a amassé 8400$ en dons pour la fondation Sainte-Justine. Elle a aussi beaucoup pensé à la jeune leucémique qui lui a donné la force de franchir des océans… «J’aime croire qu’elle était avec moi», confie la rameuse.
«Maintenant, dit Normand Lagacée, le père de Cynthia, Mylène pourra dire aux enfants qu’elle soigne: «Je sais ce que c’est, moi aussi, que de se battre.»
En juin 2011, Mylène Paquette s’armera à nouveau de ses avirons pour affronter l’Atlantique Nord, mais cette fois-ci, elle veut faire cavalier seul. Cent vingt jours, un océan, une femme.
Pour donner à la fondation CHU Sainte-Justine: activites.fondation-sainte-justine.org