Question de langue
J’avais 18 ans. J’étais étudiante en littérature au Cégep de Sainte-Foy, et on m’avait recrutée comme tutrice en français pour aider d’autres élèves ayant des difficultés…
Alexandre avait besoin d’un coup de pouce en orthographe et en syntaxe. Notre première rencontre portait sur le préfixe «mi» (mi-corps, mi-temps), qui nécessitait un trait d’union.
Badin, Alexandre a exigé que nous en mettions également à mi-taine, mi-graine, mi-che, etc. Il m’a tellement fait rire que la responsable du centre de tutorat est venue m’avertir de baisser le ton…
Tout de suite, ce garçon m’a intriguée. J’aimais son allure, sa façon de voir les choses et sa bonne humeur. La semaine suivante, il m’a appelée à la maison pour connaître la règle de l’accord de tout, tous… et pour m’inviter à manger au restaurant.
Nous avons parlé de «tout» – sauf de la manière de l’accorder, bien sûr – jusqu’à la fermeture, sous le regard exaspéré des serveurs qui voulaient s’en aller. Dans les mois qui ont suivi, il n’y a rien que nous n’ayons fait pour nous courtiser.
J’ai un certain talent pour les déclarations d’amour publiques. Un matin où j’avais congé, je me suis rendue à son travail pour placer une grosse pancarte – sur laquelle j’avais écrit un énorme «Je t’aime» – sur le pare-brise de sa voiture.
J’ai aussi utilisé la mascotte du cégep pour aller lui lire, dans sa classe, un petit mot d’amour à la Saint-Valentin. Une autre fois, j’ai réussi à le convaincre de m’accompagner à un récital de poésie, et je l’ai surpris avec un poème à son intention.
Chaque fois, il était gêné, mais touché. Cette année-là, j’ai reçu le prix de la meilleure tutrice. Pas étonnant, disait-il d’un petit air moqueur, puisque j’avais le meilleur élève! Encore aujourd’hui, 12 ans et deux enfants plus tard, son sens de l’humour contagieux, ses merveilleux clins d’œil et son sourire réconfortant ensoleillent mes journées. Nous nous laissons encore des petits mots doux un peu partout. Sans fautes de français, bien sûr!
Karine St-Cyr, Rimouski