Mon histoire: J’ai flirté avec la mort
Tous les ingrédients étaient réunis: le halo de lumière, la sensation de chaleur et de légèreté… sauf que mon heure n’était pas venue
«Pourquoi ne dors-tu pas là-bas?» Gladys n’est pas contente. Il est 18h40, ce 12 décembre 2005. Je viens de quitter Baie-Comeau, et la femme de ma vie trouve qu’il est bien trop tard pour rentrer à Québec après une si grosse journée de travail. Elle me passe un à un nos trois enfants, Marie-Hélène, 12 ans, Louis-Philippe, 10 ans et Catherine, 9 ans… Je tente de les rassurer; je les aime. Il n’y a rien à faire: papa doit rentrer au bercail. Je raccroche, l’âme en paix.
Environ 19 heures… Il fait noir, la Volvo S70 SE roule à 100 km/h dans une zone limitée à 90. La route 132 longe le fleuve, majestueux à cet endroit. Je vois les petites lumières des maisons scintiller sur l’eau, j’écoute à fond Whole Lotta Love du groupe Led Zeppelin… je me sens en pleine forme. Je pense à mon travail de conseiller stratégique, aux clients que je viens de quitter et au rapport que je dois leur remettre avant le 22 décembre. Tout un rush en perspective!
C’est ma dernière pensée. Après, le vide, rien que le vide! Le noir!
D’après le rapport de la Sûreté du Québec, ma voiture a fait une longue embardée à 19h02, avant de se retrouver sur le toit. On ignore la cause de mon accident. (Je ne me suis pas endormi au volant; je venais à peine de terminer une conversation animée.) J’ai fait huit hémorragies cérébrales et, à mon arrivée à l’hôpital, je présentais un test de Glasgow (mesure de l’état de conscience) de 3/15: coma profond, proche de la mort…
Lorsque je me «réveille» dans ma Volvo, je me sens comme un boxeur qui a livré un combat de 15 rounds. Je suis ficelé dans ma ceinture de sécurité, tête en bas. Et j’ai terriblement froid. La vitre du toit ouvrant a éclaté et les débris de verre m’ont lacéré le cuir chevelu; je suis couvert de sang. Ma tête et mon cou sont très enflés: j’ai reçu mon ordinateur portable derrière le crâne. J’ai l’avant-bras gauche et l’épaule droite très endoloris, une bosse de la «grosseur d’une tête d’enfant» sur la cuisse droite. Je suis «sonné», dans un état second. Et je sens que je vais mourir.
Par le pare-brise, je vois des lueurs, des gens qui crient et qui courent. J’entends des voix, mais je ne comprends pas ce qu’elles disent! J’essaie de me libérer, mais je suis incapable de faire le moindre mouvement. Puis tout devient noir, et je perds complètement la sensation de mon corps.
Je flotte dans l’habitacle, je passe à travers le plancher! Je m’élève dans les airs. Je vois ma Volvo en contrebas, et les secouristes qui s’affairent autour de la scène, mais moi, je continue de m’élever. Je me sens léger et libre, je ne souffre plus!
Soudain, une lumière intense, vive et étincelante m’enveloppe. Je suis bien, j’ai enfin chaud… Je n’éprouve aucune douleur, aucune souffrance, aucune peur. Je suis heureux…
Tout à coup, je me retrouve devant une grande maison d’un blanc lumineux. Je lève la tête et vois la silhouette d’un homme s’approcher de moi en gesticulant. C’est mon père! Mon père décédé neuf mois plus tôt, à l’âge de 75 ans! Un père plus jeune et plus dynamique – on dirait qu’il a 60 ans. Mais aussi très impatient, qui brandit un doigt sous mon nez! Je suis heureux de le voir; je veux l’embrasser, mais il recule et m’évite!
«Ne me touche pas! crie-t-il, l’air contrarié. Retourne en bas!
—Papa! Qu’est-ce que tu fais ici? Ça va?
—Gaston, retourne en bas, je te dis! Tout de suite! Va-t’en!
—Mais je suis bien ici, avec toi! Il fait chaud. Et, de toute façon, je ne peux pas m’en sortir, je suis en train de mourir.»
Puis je lui montre ma voiture entourée de secouristes.
«Papa, je reste avec toi. C’est fini. C’est mieux comme cela! —Non, mon garçon! Ce n’est pas fini. Ta femme t’aime, tes enfants t’aiment. Va-t’en! Le temps presse. Fais vite!
—Mais comment faire? Je suis totalement coincé!
—Je ne le sais pas! Mais tu dois partir. Il le faut. Ton temps n’est pas encore venu!
—Est-ce qu’on va se revoir?
—C’est sûr, mais pas avant un bon bout de temps. Maintenant, va rejoindre ta famille. Va-t’en!»
Mon père me regarde intensément, puis me tourne le dos. Tout redevient alors noir et froid…
Je me suis réveillé pour de bon huit jours plus tard, à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus à Québec. Selon ce que l’on m’a raconté, mon retour à la vie a été laborieux, ma réadaptation difficile, entrecoupée de périodes «brumeuses», parsemée de scènes cocasses et de moments éprouvants. On m’a ramené de Baie-Comeau en «avion-ambulance».
Je ne suis pas mort et je ne suis pas devenu légume, comme le craignaient les médecins, mais disons que, lorsque mon cerveau s’est «rallumé», la vie n’était plus pareille. D’abord, parce que la victime d’un traumatisme craniocérébral devient en général une nouvelle personne, doit réapprendre à vivre. Ensuite, parce que j’avais vécu cette chose bouleversante qu’est une EMI, une expérience de mort imminente.
Avant mon accident, lorsque je tombais par hasard sur une émission de télévision qui traitait de la vie après la mort, du «grand tunnel», j’allais voir ailleurs, persuadé qu’il s’agissait de balivernes, d’histoires de vieux hippies qui en avaient fumé du bon. A tel point que, pendant des mois après mon accident, j’ai hésité à parler de mon incursion dans le monde des morts. J’avais peur qu’on me prenne pour un fou! Même parmi mes proches, certains me suspectaient d’avoir «mangé» un bon coup sur la tête…
C’est un médecin qui, voyant que je vivais très mal tout cela, m’a fortement conseillé de parler de mon EMI. Maintenant, je suis «à l’épreuve des balles». Les gens me taquinent sur le fait que je suis passé de «l’autre côté». Moi, je ne vois que deux choses: je suis encore vivant malgré mon accident, malgré huit hémorragies cérébrales, et je sais que l’on vit après la mort… laquelle ne me fait plus peur.
J’ai encore des défis à relever, mais pas à n’importe quel prix. Auparavant, j’étais un homme pressé, à qui tout réussissait. J’aimais discuter et convaincre. Maintenant, j’explique et je passe à autre chose. J’ai de la difficulté à voir des problèmes là où la majorité de mes congénères en voient. Ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes à mon entourage.
Les semaines de travail de «l’ancien Gaston» faisaient rarement moins de 70 heures – sans compter les 35 heures de déplacement. Je me croyais immortel, je tenais tout pour acquis, la santé y comprise. Désormais, je choisis mes combats… Le temps est trop précieux pour qu’on le gaspille. Je garde mon énergie pour des choses qui en valent la peine. Je regarde les autres courir. Moi, je ne cours plus!