Moi, Evangéline, 15 ans…
«Souvent, les victimes sont si bien manipulées par leur agresseur qu’elles se croient consentantes et responsables.»
Elle a 15 ans, mais on lui en donnerait à peine 13. De grands yeux bruns intelligents, un visage de poupée, un corps menu et un sourire de gamine quand je lui serre la main. Mais dès qu’Evangéline* raconte son histoire, ces restes d’enfance s’évanouissent et font place à une gravité étonnante chez une adolescente.
Evangéline a été abusée par son oncle, de 30 ans son aîné. Elle avait 14 ans quand tout a commencé. Si aujourd’hui elle arrive à m’en parler sans pleurer, la jeune fille reste fragile. Elle est inscrite au groupe de thérapie pour adolescentes victimes d’agressions sexuelles du CETAS. Quant à son oncle, Claude*, il est en prison.
Ce qui frappe dans le témoignage d’Evangéline, c’est son ambivalence. Durant notre entretien d’une heure, ses sentiments envers son oncle oscilleront sans arrêt entre l’amour et la haine, la pitié et le dégoût. Un scénario très courant.
«Souvent, les victimes sont si bien manipulées par leur agresseur qu’elles se croient consentantes et responsables, explique Stéphanie Leduc, sexologue éducatrice qui s’occupe du groupe d’Evangéline au CETAS. Et elles sont persuadées que celui-ci les aime.»
Sans emploi, Claude est hébergé chez sa sœur – la mère d’Evangéline – quand il commence à abuser de sa nièce. Il est le seul homme dans l’appartement, où vivent également les deux petites sœurs de l’adolescente. Bientôt, leur grand-mère s’installe également avec eux, obligeant l’aînée à dormir dans le salon… pièce qu’elle doit partager avec son oncle.
Un soir qu’ils sont seuls, Claude commence ses manœuvres d’approche. Il use d’abord de compliments et caresse doucement les cheveux et le dos de sa nièce. Puis il se fait plus pressant, se serre contre elle, l’embrasse.
«Je lui ai dit: «Hey! T’es mon oncle. Arrête!» raconte-t-elle en nouant et en dénouant l’écharpe qu’elle porte autour du cou. Mais il a mis sa main dans mes culottes et a continué à me coller. Puis il m’a pénétrée. Sans condom.»
Le lendemain, Claude lui demande si ce qui s’est passé la veille l’a dérangée. «J’ai répondu: «Non, ce n’est pas grave.» Mais, en vérité, j’avais peur de lui: il est pas mal plus gros que moi.»
Les abus vont dès lors se poursuivre, nuit et jour. «Je manquais souvent l’école, je ne filais pas bien.»
Pour l’amadouer, son oncle la couvre de cadeaux, l’emmène au restaurant, lui assure qu’il l’aime. Et il lui fait jurer de ne rien répéter à sa mère ni à ses sœurs. Il lui promet aussi qu’il vivra avec elle dès ses 18 ans et qu’ils auront des enfants. «J’ai fini par tomber amoureuse de lui.»
Quant à sa mère, si elle trouve «bizarre» de découvrir son frère et sa fille dans le même lit un matin, elle ne fait rien pour éviter que cela ne se reproduise. En revanche, l’une des sœurs d’Evangéline en avise leur père – séparé de leur mère depuis quelques années. C’est lui qui avertit la DPJ.
«Au début, quand la police m’a interrogée, j’ai tout nié, raconte Evangéline. J’ai dit que j’étais consentante et j’ai caché qu’il m’avait pénétrée sans condom et sodomisée.»
Claude n’en est pas moins incarcéré. Et Evangéline doit déménager chez son père avec ses sœurs, leur mère étant accusée de ne pas l’avoir protégée.
La DPJ exige en outre que l’adolescente suive une thérapie. Si au départ elle n’en voyait pas l’intérêt, la jeune fille estime aujourd’hui que venir au CETAS lui fait du bien. Elle apprend à repérer les situations à risques qui pourraient lui faire revivre une mésaventure similaire, et à gérer son anxiété – les symptômes éprouvés par les victimes de pédophiles s’apparentant souvent à ceux du stress post-traumatique. Il lui est d’ailleurs encore douloureux de revenir sur certains détails de son passé. «Parfois, je me sens sale et j’ai envie de partir en courant», confie-t-elle.
Sur le point de terminer sa 3e secondaire, Evangéline travaille à mi-temps dans une boutique et a un amoureux de son âge. «Je lui ai demandé d’être patient, et il me respecte.» Elle rêve d’avoir des enfants, de devenir mécanicienne automobile ou… une des rares femmes à piloter une Formule 1.
En attendant, elle n’a pas encore retrouvé la paix: Claude continue de la hanter.
«Il m’empêche de dormir. J’ai des flash-back et ça fait mal.»
La peur, aussi, la taraude. Car elle redoute que son oncle ne se venge et ne la tue lorsqu’il sera libéré. Trouve-t-elle qu’il mérite sa punition?
«Oui et non, répond-elle en baissant les yeux. Ça me fait de la peine de le savoir en prison parce que, dans ma tête, il ne m’a pas agressée. Mais en même temps, je commence à me rendre compte qu’il m’a manipulée alors que je suis encore une enfant.»
*C’est le prénom fictif qu’elle a choisi pour cette entrevue. Celui de son oncle a également été changé.