Le maire qui fait rêver
Dans un entretien décapant, Régis Labeaume explique pourquoi une majorité écrasante de citoyens de Québec lui accorde sa confiance.
A l’hôtel de ville de Québec, dans son magnifique bureau donnant sur le port, Régis Labeaume a posé près de lui un petit cadre en bois portant cette inscription: «Sur le plus beau trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul.» Cette pensée de Montaigne pourrait bien être la sienne. Avec son style simple et direct, le maire de Québec remporte un succès surprenant. En novembre dernier, il a fêté le deuxième anniversaire de son accession au pouvoir en se faisant réélire avec près de 80 pour 100 des suffrages. Et le sondage de Sélection sur la confiance le place certes au 13e rang du classement général, mais au second rang des politiciens jugés les plus crédibles par les Québécois! Le gestionnaire de 53 ans, père de trois enfants, aurait-il trouvé la combinaison gagnante en politique?
Mélanie Saint-Hilaire: M. Labeaume, comment expliquez-vous votre extraordinaire popularité?
Régis Labeaume: Ce phénomène-là me dépasse. Je ne force pas grand-chose. Je suis instinctif, quoique très organisé comme gestionnaire. Je ne suis pas «stagé», pas «packagé». Je fais de la politique comme je le pense, ce qui me fait parfois dire de grandes bêtises, d’ailleurs!
M.S.-H.: Votre verdeur de langage doit faire pester vos conseillers en communication.
R.L.: Ils savent que je suis indécrottable. Quand je dis une niaiserie, ils me lancent: «Bon, on en a encore pour deux jours à passer la gratte derrière toi?» Je leur réponds: «Excusez, c’est sorti de même.» Pour des raisons inexplicables, c’est peut-être ce qu’il faut, que j’y aille avec mon cœur. C’est fou la tolérance que les gens ont pour moi. Ils semblent avoir besoin que je fasse des erreurs et que je l’admette. Ça montre que je ne suis pas un robot.
M.S.-H.: Comment expliquez-vous le discrédit dont souffrent les politiciens en général?
R.L.: Les politiciens ont le discrédit qu’ils méritent. Souvent, ils ne respectent pas le public, ne le considèrent pas si intelligent que ça. Stephen Harper a dit qu’il paierait de sa poche ses billets pour les compétitions olympiques de Vancouver. N’importe quoi! Le monde n’est pas fou. Il ne te juge pas sur un détail, mais sur un ensemble de choses. Si t’es cohérent, ça va paraître. La pire affaire, c’est de diriger un gouvernement en se demandant si les gens vont aimer chaque décision. La politique, ce n’est pas un métier. Il faut avoir une vision et assez de leadership pour la faire exécuter. S’entourer de gens plus intelligents que soi. Et être sensible. Ceux qui disent qu’il faut se faire une carapace n’ont pas compris; il faut savoir gérer son stress, oui, mais aimer le monde. Moi, j’ai choisi mes candidats pour leur sensibilité.
M.S.-H.: Lorsque vous avez lancé votre campagne, en 2007, après deux échecs en politique, vous ne recueilliez que 3 pour 100 des intentions de vote. Qu’est-ce qui vous a donné la victoire?
R.L.: La maturité. Avant, je n’avais pas la bonne attitude. J’aimais la politique, j’aimais la ville, mais j’avais le problème du millionnaire qui se lance là-dedans parce qu’il peut tout se permettre dans la vie. J’étais spectateur de moi-même. Quand Mme Boucher est décédée [Andrée Boucher, mairesse de Québec de 2005 à 2007], c’était autre chose. Je voulais me mettre au service des gens. J’avais une mission. Je répétais: «Regardez comme elle est belle, cette ville. On est capable de grandes réussites.» Un soir, en rentrant à la maison, j’ai dit à Louise, ma femme: «Ça n’a pas de bon sens, je parle comme un évangéliste!» Elle m’a dit de continuer. Il fallait redonner confiance aux électeurs. Puis le succès est arrivé.
M.S.-H.: L’état d’esprit des gens de Québec a-t-il tant changé depuis 2007?
R.L.: Avant, la radio poubelle avait le haut du pavé. C’était la culture du cynisme. Aujourd’hui, tout est possible. Les Québécois ont envie de s’engager pour leur ville. Si un organisme qui lutte contre la délinquance a besoin d’aide, j’appelle les entrepreneurs de la région, et tous collaborent. Les affaires roulent. En février 2010, Québec métro présentait le plus bas taux de chômage au Canada: 4,1 pour 100!
M.S.-H.: Quel a été votre plus grand succès?
R.L.: Curieusement, c’est d’avoir réussi 2009. Les villes qui accueillent de grands événements tombent souvent dans un creux après coup. Quand Québec a retrouvé sa fierté en fêtant son 400e anniversaire, en 2008, on ne voulait pas que ça s’arrête. On a recréé cet état d’esprit l’année suivante avec le Cirque du Soleil, le Moulin à images, l’Espace du 400e… Les meilleurs cyclistes au monde arriveront cet automne pour le premier Grand Prix Cycliste, puis le ténor Plácido Domingo viendra diriger le premier Festival international d’opéra au Canada. Après, ce sera peut-être les Jeux olympiques et le retour du hockey professionnel. Les gens savent qu’on vise haut, et ils embarquent. Avec la fierté, on peut aller très loin.
M.S.-H.: Mais quand on promet beaucoup, on risque aussi de beaucoup décevoir…
R.L.: Je fais des rêves que je crois réalisables. Et je veux les partager avec la population. C’est sûr qu’il y a un risque; les politiciens ne le font pas parce qu’ils ont peur de ne pas réussir. Moi, je pense qu’il faut créer l’adhésion. Quand c’est fait, tu deviens fort, parce que des gens forts se tiennent derrière toi. Un politicien doit être pédagogue. L’implantation d’un TGV, ce n’est pas évident à expliquer, mais c’est important. C’est moi qui mène ce dossier-là au Canada, parce que je ne veux pas que Québec soit oubliée au bout de la ligne. Si un TGV se construisait dans la région sans se rendre jusqu’à notre ville, ce serait terrible.
M.S.-H.: Vous aviez invité un spécialiste du marketing à psychanalyser Québec. Votre ville a-t-elle un problème d’image?
R.L.: L’idée n’est pas de rajeunir l’image de Québec; c’est de la vendre. On veut savoir quels messages envoyer pour que des jeunes viennent s’installer dans notre ville. Mes parents sont venus de Sept-Iles pour vivre ici; mais ma fille aînée, Catherine, a choisi Montréal. Pourquoi? C’est ça qu’on veut savoir. Les gens nous identifient encore au Château Frontenac. Ils sont «cute», nos vieux murs, mais ils cachent aussi plein de laboratoires! Québec est hyper technologique, et personne ne le sait. En même temps, le message à faire passer, c’est peut-être autre chose. La ville offre une communauté à échelle humaine. C’est sécuritaire, c’est propre, c’est beau.
M.S.-H.: Vous n’avez pas que des amis depuis la négociation des conventions collectives des employés de la Ville.
R.L.: Je me sens encore comme un payeur de taxes. C’est pour ça que je me fâche contre les syndicats de la fonction publique. Pendant les négociations, je me sentais comme un gars de gauche qui se battait contre des institutions de droite. J’avais l’impression de défendre le petit monde contre le corporatisme.
M.S.-H.: D’où vous vient cette combativité?
R.L.: Je viens d’un milieu très modeste. Mon père a été bûcheron à 13 ans; ma mère était au sanatorium à 18. Mes parents m’ont donné un bon fond. Mais je viens d’un coin où les jeunes allaient plus souvent en prison qu’à l’université. Les policiers qui essayaient de me faire peur pendant les négociations ne sont vraiment pas tombés sur le bon gars!
M.S.-H.: Quel a été votre moment le plus difficile?
R.L.: La fois où j’ai dit que je battrais la ministre Josée Verner par amour. J’ai été tellement déprimé cette semaine-là! J’aime travailler avec les femmes. Elles sont même majoritaires au conseil municipal. Quand un chef syndical m’a traité de batteur de femmes, ça m’a fait mal. Je suis le premier coupable dans cette histoire, mais j’ai été hyper secoué.
M.S.-H.: En 2009, de sales affaires de corruption ont éclaté dans le milieu municipal au Québec. Est-ce que cela a changé votre façon d’exercer votre fonction de maire?
R.L.: C’est terrible, ce qui est arrivé à Montréal. Parce que les maires passent tous pour des pareils. Je l’ai dit à Gérald Tremblay: «Réveille-toi! Tu nous fais mal!» A Québec, on a créé un comité anticollusion. La culture ici est claire: le premier qui fait une affaire croche, je le mets dehors. J’ai même hâte d’en pogner un pour faire peur aux autres. Moi, ce ne sont pas les entrepreneurs qui m’ont fait élire. En 2007, ma cote de popularité a démarré à 3 pour 100; les téteux sont arrivés avec leur chèque après le financement de ma campagne. De toute façon, mon attitude est claire. Tu te sens lésé dans tes droits comme entrepreneur? Viens me voir. La machine est trop lente? Viens me voir. T’as un beau projet? Viens me voir. Mais les contrats, je ne me mêle pas de ça.
M.S.-H.: Peut-on rester authentique quand on atteint le sommet?
R.L.: Ce soir, je sors avec un vieux chum, Daniel Lavoie [entrepreneur en agroalimentaire]. On s’en va souper au bistrot de l’université et voir un match de volleyball du Rouge et Or. Pour moi, c’est le bonheur total. Je ne ressens pas le besoin de me coller à un certain genre de monde; je ne fais pas de «power trip». Honnêtement, je suis équilibré.
M.S.-H.: Que pensez-vous en rentrant au travail le matin?
R.L.: Je monte les escaliers du parvis de l’hôtel de ville et je me dis: Quel privilège! Je me sers de mon intelligence et de mon énergie pour le bien commun plutôt que pour me remplir les poches. C’est un sentiment tellement agréable. Un cadeau de la vie. Si vous cherchez un gars heureux à Québec, n’allez pas plus loin. C’est moi, au 2, rue des Jardins.