Le geste qui compte: l’école de l’espoir
Femme d’affaires sortant de l’ordinaire, Hélène Cyr a trouvé la clef du bonheur au Rwanda, où elle aide les jeunes à aller au bout de leurs rêves.
Bruxelles 2007. La Québécoise Hélène Cyr poursuit sa carrière fulgurante. La plus jeune des vice-présidentes que Bombardier (Transport) ait jamais eues, cette ancienne étudiante de Polytechnique a travaillé sept ans comme consultante chez McKenzie & Company avant de rejoindre l’élite entrepreneuriale mondiale. Mais, entre deux avions et trois rencontres stratégiques, elle a de plus en plus l’impression de faire fausse route. Serait-ce l’imminence de la quarantaine qui la pousse à se remettre en question? «J’aimais mon travail, mais il ne collait plus à mes valeurs. Tout n’était qu’argent.»
Hélène décide alors de raccrocher ses tailleurs chics pour réfléchir à son avenir. La pause sera de courte durée. En 2008, elle accepte un mandat chez le fabricant de simulateurs de vol montréalais CAE. La voilà responsable de l’optimisation de leurs centres de formation à l’échelle planétaire… et de nouveau la tête dans ses bagages. Résultat: elle termine son mandat d’un an sur les rotules. «J’avais 38 ans, assez d’argent pour ma retraite… et un besoin urgent de faire autre chose.»
Mais quoi? Un article de journal pique sa curiosité. Il raconte l’histoire de Sylvie Potvin, une hygiéniste dentaire de Québec qui récolte des brosses à dents pour les redistribuer en Afrique. La femme d’affaires prend contact avec elle. «Hélène était en plein questionnement existentiel. Au téléphone, elle m’a dit: «Je n’ai pas d’enfant, pas de mari et ma vie n’a pas de sens.» Sylvie lui lance alors deux idées : prendre le chemin de Compostelle ou partir au Rwanda aider Nicole Pageau, alias Maman Nicole, une Québécoise de l’Alberta, qui dirige un centre d’aide pour les veuves et les orphelins du génocide*.
Hélène décide de faire les deux. En janvier 2009, requinquée par Compostelle, elle s’envole vers le Rwanda, où elle rejoint Maman Nicole à Kimironko, un village situé à une dizaine de kilomètres de Kigali. D’emblée, Hélène, qui habite avec une famille de rescapés, est renversée par l’attitude positive des Rwandais face à la vie. «Ils ont vécu une tragédie inimaginable. Un drame dont aucune vengeance ne pourra réparer la souffrance, mais qui leur a légué un désir puissant de prendre leur destinée en main.» Hélène reste trois mois dans ce village, où elle donne des cours d’anglais et de culture physique, et aide Maman Nicole à mettre de l’ordre dans ses finances.
De retour au Québec, elle s’occupe en faisant du bénévolat pour la Popote roulante du Santropol roulant, le resto Robin des Bois et Ingénieurs Sans Frontières. Mais l’Afrique lui manque.
En octobre 2009, elle repart six mois à Kimironko, où elle retrouve sa famille d’accueil. Entretemps, cette dernière a accueilli un nouveau pensionnaire : Emmanuel, un jeune sans-abri de 15 ans, au passé tragique. Le garçon avait un an au moment du génocide. Son père a été tué. Sa mère violée et infectée par le sida. Puis il a été recueilli par un oncle qui le traitait comme un esclave domestique jusqu’au jour où il s’est enfui pour vivre dans la rue.
Très vite, Hélène s’attache à cet adolescent timide qui ne rechigne jamais à participer aux tâches ménagères. Mieux, elle décide de le prendre sous son aile et de lui payer ses études. Prudent, Emmanuel accepte, mais à une condition: il veut étudier à l’école d’hôtellerie de Kayonza. Il lui explique que, comme il ignore combien de temps elle sera là pour lui, il préfère suivre une formation professionnelle qui lui permettra d’apprendre un métier.
Le réalisme dont fait preuve Emmanuel impressionne Hélène, qui ne sait pas encore que son initiative va non seulement bouleverser la vie du garçon, mais aussi la sienne, le jour où elle rencontrera le directeur de l’école de Kayonza: Shaban Ziwa Ally.
«La première chose qui saute aux yeux lorsque vous rencontrez Hélène Cyr, c’est son amour des gens, explique ce dernier. C’est pourquoi je n’ai pas pu m’empêcher de lui parler de mon rêve…» Shaban veut construire une nouvelle école. Et le temps presse, car la bâtisse qui abrite ses classes est si vétuste que, faute de travaux majeurs, il risque de perdre son permis d’exploitation. «Shaban ne connaissait rien de mon ancienne vie lorsqu’il m’a demandé de l’aider pour trouver des investisseurs», précise Hélène, qui accepte de l’aider à dresser un plan d’affaires. Pour la remercier, Shaban invite Hélène à monter sur sa moto. Ils roulent en silence pendant de longues minutes avant de s’arrêter devant une plantation de bananes. «C’est ici que je vais bâtir notre école», déclare Shaban.
Nous sommes en mars 2010, et le second voyage d’Hélène au Rwanda touche à sa fin. Elle caresse de plus en plus sérieusement l’idée de s’associer à Shaban. L’ennui, c’est qu’elle vient d’accepter un contrat d’un an avec la Croix-Rouge au Mali. Qu’à cela ne tienne ! Avant de partir, Hélène transfère 100 000 dollars américains sur le compte de son nouvel associé en se disant: «Advienne que pourra!»
Mais son flair de femme d’affaires ne la trahira pas. De passage au Rwanda, trois mois plus tard, elle s’arrête au chantier et en revient bouche bée. Shaban et ses hommes ont déjà coupé tous les bananiers, coulé les fondations et monté les murs de deux bâtiments. «J’ai compris ce jour-là que ma vie venait de basculer», se souvient Hélène, qui s’empresse de mettre un terme à son contrat avec la Croix-Rouge pour mieux se consacrer au projet. «Hélène m’a écouté. Elle m’a fait confiance. Puis mon rêve est devenu le sien», résume modestement Shaban.
En janvier 2011, le centre Kayanza pour le développement ouvre ses portes. Le complexe, d’une capacité de 350 étudiants, compte neuf salles de classe, deux dortoirs et un terrain de foot. «Notre objectif n’est pas de produire des diplômés en série, mais d’améliorer le sort de nos élèves en leur donnant les outils pour se trouver un travail», insiste l’ancienne VP de Bombardier.
En janvier 2012, la première promotion, dont fait partie Emmanuel, se retrouve sur le marché du travail et, déjà, les résultats sont encourageants. La majorité des diplômés ont trouvé un emploi. Et pas seulement au Rwanda, mais aussi en Tanzanie, au Kenya et au Burundi. «Ils gagnent en moyenne quatre dollars par jour. Soit plus du double du salaire moyen.»
Hélène ajoute que le ministère rwandais de l’Éducation vient de confier à l’école le mandat de créer le premier syllabus de formation professionnelle en enseignement préscolaire du pays. «Avec nos nouveaux cours de menuiserie, nous devrions accueillir près de 500 étudiants en 2012.»
Un tour de force dont Hélène et Shaban peuvent être fiers et qui en inspire plus d’un. À commencer par Emmanuel qui, après avoir obtenu son diplôme en hôtellerie, a décidé de poursuivre ses études. «Hélène est la première personne à m’avoir fait confiance dans la vie. Elle est ma source d’inspiration. Je continue à étudier pour devenir comme elle. Et pour aider les gens à aller au bout de leurs rêves.»
(Photo: Avec l’autorisation de Hélène Cyr)