Le geste qui compte: le goût du rêve
Stanley Vollant sillonne à pied le Québec avec un message: «Croyez en vous»!
Quand il a survolé la Côte-Nord, juste avant d’entreprendre une marche de 4000 km à travers les communautés autochtones du Québec et du Labrador, le Dr Stanley Vollant s’est dit qu’il était fou. En voyant ces paysages escarpés se profiler à l’infini, il a bien failli rebrousser chemin. «Mais quand je suis arrivé à Natashquan, après ma première journée de marche, près de 200 personnes m’attendaient sous la pluie avec des banderoles, se souvient-il. Là, j’ai compris que mon projet était nécessaire, que je pouvais être une inspiration pour ces gens…»
Chirurgien d’origine autochtone – le premier au Québec – et ancien président de l’Association médicale du Québec, Stanley Vollant milite pour que les membres des Premières Nations occupent dans la société la place qu’ils méritent. Mais il doit commencer par convaincre les plus sceptiques: les autochtones eux-mêmes. Il a donc entamé l’automne dernier une marche qui le portera dans la plupart des communautés amérindiennes et inuites. Il voudrait inciter les jeunes à croire en eux, à rêver. «Rêver de devenir médecin, coiffeuse, pompier… et, pourquoi pas, premier ministre du Canada!» s’exclame le père de trois enfants.
C’est sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne, que l’idée lui est venue de faire son propre pèlerinage innu. En 2008, après une séparation difficile qui l’avait plongé dans une dépression, le chirurgien a senti le besoin de se ressourcer sur ce chemin chargé d’histoire. «Compostelle a été une expérience difficile, mais qui m’a appris beaucoup», soutient-il.
Stanley Vollant croyait pouvoir réaliser ce pèlerinage avec un sac à dos deux fois plus lourd que ce que recommandent les guides de voyage. «Comme beaucoup de chirurgiens, j’avais le complexe de Dieu, admet-il. On est capable de ramener à la vie; alors, on se sent invincible, au-dessus de tout.» Mais la charge s’est rapidement révélée trop lourde, et le pèlerin a contracté une fasciite nécrosante – aussi appelée mangeuse de chair – à la jambe, lorsque les ampoules qu’il avait aux pieds se sont infectées. Il a dû être hospitalisé pendant cinq jours et a évité de justesse l’opération.
Une nuit, alors qu’il avait repris la route de Compostelle, Stanley Vollant a fait un rêve: il s’y voyait entreprendre une grande marche à travers les communautés autochtones pour transmettre un message d’espoir et en apprendre plus sur la médecine traditionnelle des anciens. «Ce rêve-là ne m’a pas quitté, explique-t-il. Quand je suis rentré au Canada, j’ai tout de suite commencé à tracer le parcours d’Innu Meshkenu – chemin innu, en montagnais.»
Le chirurgien, qui partage son temps entre une clinique de Pessamit, dont il est originaire, et l’Université de Montréal – où il dirige le volet autochtone de la faculté de médecine – croit que son propre parcours pourra convaincre les jeunes de l’importance de poursuivre des études.
L’automne dernier, à l‘Université McGill, un Inuit d’une trentaine d’années s’est approché de lui pour le remercier. «C’est grâce à vous si je suis devenu ce que je suis, m’a-t-il dit. Vous avez été une inspiration pour moi. En 1996, encore adolescent, le jeune homme avait entendu parler le médecin, à Schefferville, et en avait été profondément touché. Porté par cette rencontre, il avait par la suite fait une maîtrise en droit autochtone et travaille aujourd’hui comme avocat dans une firme montréalaise qui défend les revendications territoriales des Inuits.
Fort de témoignages similaires, Stanley Vollant a bouclé, entre le 12 octobre et le 2 novembre 2010, le premier segment de sa marche. Le quadragénaire, marathonien à ses heures, a parcouru à pied les quelque 620 km qui séparent la fin de la route 138, à l’est de Natashquan, de Baie-Comeau. L’hiver dernier, il a aussi enfilé ses raquettes pour arpenter les 440 km de la route blanche, sur la Basse-Côte-Nord; avant de faire un «saut de puce» de 68 km, cet été, entre Wendake et Sainte-Anne-de-Beaupré. Du 6 au 26 septembre dernier, il a aussi repris son bâton de pèlerin sur 680 km, entre Baie-Comeau et Opitciwan, en Mauricie.
Chemin faisant, il a visité des dizaines d’écoles pour raconter son histoire, mais aussi pour parler des problèmes sociaux et de santé qui accablent les peuples autochtones au Canada.
«Je vois la misère sociale, le décrochage scolaire et la drogue dans les communautés. Coincés dans la noirceur du quotidien, les jeunes ne rêvent plus, déplore-t-il. C’est pour ça que mon message est important.»
Il se dit étonné et touché, chaque fois, de l’accueil et de l’écoute qu’on lui réserve. «Dans une des écoles, à Uashat, les enfants avaient appris une chanson pour moi, et ils étaient vraiment fiers de me la chanter, se souvient Stanley Vollant. Ce sont des petits moments de bonheur. Les jours où marcher devient difficile, je pense à ces jeunes, et ça me redonne du cœur au ventre pour continuer.
(Photo : avec l’autorisation de Stanley Vollant)