Le geste qui compte: des chevaux pour guérir
Victime d’une grave chute de cheval, Nancy Ashton comprend mieux que quiconque les défis qui attendent les cavaliers de son centre d’équitation thérapeutique.
Comme tous les lundis, l’autobus adapté s’engage sur l’étroite route de gravier qui mène à l’écurie des Apprentis Cow-boys, dans les Cantons-de-l’Est. À son bord, Hélène-Andrée a les yeux brillants d’excitation et le sourire collé aux lèvres : dans quelques minutes, elle quittera enfin son fauteuil roulant pour sa session hebdomadaire de réadaptation à cheval.
Si elle est aujourd’hui si joyeuse, il n’en a pas toujours été ainsi. Souffrant de paraplégie et d’hydrocéphalie, conséquences d’un spina-bifida, la jeune femme de 28 ans a longtemps eu du mal à accepter son état. Au point où elle a déjà songé mettre fin à ses jours. «Mais ça, c’était avant ma rencontre avec « Nanc», dit-elle d’une voix douce.
«Nanc», c’est Nancy Ashton. Coordonnatrice du centre Les Apprentis Cow-boys, qu’elle a fondé en 2001, elle utilise le cheval comme moyen de réadaptation auprès de dizaines de personnes handicapées. «Je suis convaincue des vertus thérapeutiques de cette activité. Monter à cheval sollicite plus de 300 muscles chez le cavalier ! Et contrairement aux humains, les chevaux ne jugent pas. C’est une qualité très appréciée des gens qui souffrent d’une limitation», explique la diplômée en éducation spécialisée.
La jeune femme parle en connaissance de cause. Il y a quatre ans, en effet, cette instructrice d’équitation thérapeutique a elle-même été victime d’un accident qui a failli lui être fatal. «J’étais en train de débourrer un poulain lorsque celui-ci a perdu pied et est tombé. Lorsqu’il a tenté de se relever, il a chuté à nouveau. Sa tête est alors venue cogner contre la mienne, ce qui a causé un important traumatisme crânien», raconte-t-elle.
Ce n’était pas la première fois que Nancy était blessée par l’une de ses montures. En 2001, un cheval apeuré par un hélicoptère volant à basse altitude lui avait asséné un violent coup de sabot, lui arrachant ainsi une partie du visage et l’oreille gauche.
À la suite de ce terrible incident, la jeune femme avait indiqué à ses parents qu’elle refusait qu’on la maintienne en vie de façon artificielle si quelque chose de plus grave encore lui arrivait. C’est donc à ce souhait que songeait Norman, le père de Nancy, lorsqu’il a mis les pieds à l’hôpital, quelques heures seulement après son deuxième accident. «Elle était dans le coma et les spécialistes nous disaient que même si elle se réveillait, elle aurait l’âge mental d’un enfant de cinq ans et ne marcherait plus.» Tiraillés entre leur promesse et le désir de la voir guérir, les parents de Nancy se sont finalement laissés convaincre par un médecin qui l’avait soignée en 2001. «Je connais votre fille. Elle est forte et elle va s’en sortir.»
Il avait vu juste. Après trois semaines dans le coma, Nancy s’est peu à peu éveillée. Mais elle était toujours très confuse, ne reconnaissant rien ni personne, pas même ses parents. «Pour la stimuler, sa mère lui apportait des photos de ses chevaux et de ses élèves. Lorsqu’elle a reconnu l’une de ses bêtes, nous avons su qu’elle était tirée d’affaire», dit Norman. Tirée d’affaire, oui, mais encore loin d’être rétablie. Nancy a dû tout réapprendre, de la parole à la façon d’attacher ses souliers, en passant par la propreté… et les bases de l’équitation. Car même si elle venait de subir un deuxième accident équestre, la cavalière n’avait qu’une idée en tête: remonter à cheval.
Trois mois après sa terrible chute, Nancy est donc retournée à son centre, non à titre de thérapeute, mais en tant que patiente. «Les rôles se sont inversés. J’ai trouvé ça très difficile, mais avec le recul, je réalise que ça m’a permis de me mettre dans la peau de mes cavaliers. Avant, je ne comprenais pas quand l’un deux me disait qu’il était incapable de réaliser un exercice. Aujourd’hui, je suis plus compréhensive, parce moi-même, j’ai des limitations.» Son accident a effectivement laissé des séquelles, dont des troubles d’équilibre et une parésie du côté gauche.
Malgré tout, à force de détermination, non seulement elle marche à nouveau, mais elle a aussi repris les rênes de son entreprise en juin 2008. Au grand bonheur d’Hélène-Andrée. Et de Simon.
Cet « apprenti cowboy » de 11 ans est atteint du syndrome de la Tourette et de plusieurs autres troubles, dont la dyspraxie. Grâce à Nancy et ses complices à quatre pattes, ce garçon renfermé a maintenant plus de facilité à communiquer avec les autres. «L’équitation a développé sa confiance en lui et l’a aidé à sortir de sa coquille. Son visage, habituellement peu expressif, resplendit de fierté lorsqu’il est à cheval», indique sa mère, Manon Duclos.
Pour «Nanc», toutefois, sa plus belle réussite, c’est Camille. Souffrant du syndrome d’Angelman, elle ne pouvait être séparée de sa mère sans faire de crise. «Si je partais trois heures, elle pleurait tout ce temps. Chaque fois que je la faisais garder, c’était un vrai cauchemar», confie Hélène Roberge, sa mère. Au bout de quelques séances mouvementées, Nancy est parvenue à calmer la petite.
Et aujourd’hui encore, à six ans, elle continue de donner du fil à retordre à sa mère, mais d’une tout autre manière. «Ma fille n’avait jamais pu courir. L’équitation l’a rendue plus solide sur ses jambes et maintenant, je dois accélérer le pas pour la rattraper !»
Hélène-Andrée, elle, sait qu’elle ne pourra jamais courir. Mais elle peut monter à cheval mieux que certaines personnes qui ont l’usage de leurs jambes. «L’été dernier, dans une compétition organisée par le centre, j’ai raflé plusieurs prix, déclassant des élèves qui ne sont pas en fauteuil. Je n’oublierai jamais», s’exclame-t-elle, les yeux plus brillants que jamais.
(Crédits photo: Marie-Andrée Ashton)