S’ils avaient été appelés aussitôt après l’enlèvement de Cédrika Provencher, les agents de la SQ auraient pu déclencher l’alerte AMBER.
Mais que fait la police?
Pour comprendre, il faut d’abord se demander comment réagit la police lorsqu’un enfant disparaît, et savoir qu’il y a un avant et un après Cédrika. Quand la fillette a disparu, en 2007, il n’existait pas de procédure harmonisée à l’échelle de la province. Les fugues étaient du ressort des municipalités, tandis que les disparitions suspectes relevaient de la Sûreté du Québec ou de la police de Montréal. «A la suite de nos interventions, le ministère a émis une directive pour que la SQ intervienne plus vite», précise Pierre-Hugues Boisvenu, sénateur et ancien président de l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues.
Dès que les policiers soupçonnent qu’une disparition est d’origine criminelle, ils avisent la SQ, qui prend en main la coordination des recherches. Mais le problème demeure: pour trancher entre la fugue et l’enlèvement, il faut se livrer à un minimum de recherches sur le terrain, et cela prend du temps. Huit fois sur dix, la disparition est une fugue, et l’affaire va se régler rapidement. Mais s’il s’agit d’un enlèvement, les policiers auront perdu un temps très précieux. Tous les experts s’entendent en effet là-dessus: les heures suivant un enlèvement sont déterminantes pour retrouver l’enfant. «Les policiers municipaux de Trois-Rivières ont traité l’affaire comme une fugue pendant trois jours, s’indigne le père de Cédrika, Martin Provencher. Les premiers témoins ont pourtant vu ma fille chercher un chien pour un monsieur. On aurait pu rapidement établir un lien, boucler le quartier.»
«C’est ce qu’ils ont fait, mais 72 heures trop tard, ajoute Pierre-Hugues Boisvenu. Jusqu’à récemment, la plupart des policiers traitaient les disparitions d’enfants comme si c’étaient des vols d’autos. Les choses ont un peu changé depuis Cédrika, mais il reste encore du chemin à parcourir.»
Les parents d’enfants disparus sont de plus en plus nombreux à réclamer une meilleure formation des policiers. Christiane Sirois, la mère de Sébastien Métivier, a été l’une des premières à le faire, il y a plus de 20 ans. Sans résultat. «Je suis convaincue qu’on aurait pu retrouver Sébastien si les policiers n’avaient pas traité le dossier comme une fugue, dit-elle. Ils se sont affolés beaucoup trop tard.»
S’ils avaient été appelés aussitôt après l’enlèvement de Cédrika Provencher, les agents de la SQ auraient pu déclencher l’alerte AMBER. Créée en 1996 par des citoyens du Texas à la suite du rapt et de l’assassinat d’une fillette de neuf ans, Amber Rene Hagerman, cette procédure est simple: en cas d’enlèvement présumé d’un mineur, la police diffuse le signalement de l’enfant dans les médias et sur les panneaux à messages variables des autoroutes en espérant que le public l’aidera dans ses recherches.
Lorsqu’elle a été déclenchée pour la première fois au Québec, en 2003, l’alerte AMBER a permis de repérer une adolescente de 17 ans et son présumé ravisseur sur l’autoroute 20, à Montréal. Depuis, 34 opérations de ce type ont été lancées au Canada, la plupart avec succès.
Un succès qui a d’ailleurs eu des échos en Europe, puisque la France s’est inspirée du modèle québécois pour implanter à son tour ce dispositif sur son territoire il y a quatre ans. Dans son bureau de la place Vendôme à Paris, le porte-parole du garde des Sceaux, Guillaume Didier, assure que ce système a permis de résoudre plusieurs rapts. «En matière de disparition, le temps presse, dit-il. L’expérience nord-américaine démontre que le ravisseur se débarrasse de l’enfant et le tue dans les heures qui suivent son enlèvement parce qu’il est devenu un poids pour lui.» Une étude du ministère de la Justice américain révèle en effet que 74 pour 100 des enfants enlevés et retrouvés morts ont été assassinés dans les trois heures suivant leur disparition.
L’appel à témoins est aussi un des outils les plus importants dont disposent les policiers. «Dans le dossier Cédrika Provencher, nous avons reçu et vérifié 20000 informations, explique Martin Prud’homme, l’ex-inspecteur responsable des crimes contre la personne à la SQ. C’est un travail colossal, mais nous avons maintenant une bonne idée de ce qui s’est passé. On ne peut pas en dire plus, car l’enquête suit son cours.»
Le réflexe d’un témoin peut parfois sauver la vie d’un enfant. Le 15 juillet 2008, Ryan Murphy, un jeune homme de Québec, assiste à une scène plutôt inusitée. Alors qu’il est arrêté à un feu rouge, un automobiliste descend de sa voiture et referme le coffre arrière sur ce qui semble être un enfant. Intrigué, Ryan Murphy suit le véhicule suspect, note le numéro d’immatriculation et la direction qu’emprunte le véhicule, puis compose le 911. Le garçonnet de huit ans, enlevé quelques minutes plus tôt à Lévis, est retrouvé ligoté dans un réservoir à mazout désaffecté.
Une brigade spécialisée?
«On ne peut pas toujours se fier au hasard, martèle Pierre-Hugues Boisvenu. Il faut créer une escouade spéciale, comme celles qui existent aux Etats-Unis et en Ontario.»
Depuis 2006, le FBI envoie aux quatre coins du pays 62 enquêteurs triés sur le volet et spécialisés dans les enlèvements d’enfants. «Dès qu’on fait appel à nos services pour une disparition, nous nous déployons en moins de quatre heures, explique l’agente spéciale Stephanie Benitez. Depuis quatre ans, nous sommes intervenus à 53 reprises et avons retrouvé 47 jeunes. Vingt-deux étaient encore en vie.»
Le ministre de la Sécurité publique du Québec, Jacques Dupuis, n’a pas l’intention d’imiter nos voisins du sud. «Cette équipe de quelques enquêteurs serait basée à Montréal ou à Québec, dit-il. Qu’est-ce que je fais s’il y a une disparition en Abitibi ou en Gaspésie? Le temps qu’ils se rendent sur place, nous allons perdre des heures précieuses. On a plus de 15000 policiers au Québec. Ils doivent tous apprendre à intervenir quand un enfant est enlevé.»
Objections que balaie Jacques Duchesneau. Sans aller jusqu’à prôner la formation d’une brigade spéciale, il trouverait très utile la création d’une unité de commandement dont le rôle serait de mobiliser les ressources disponibles le plus rapidement possible. «Il y a des années, on a mis sur pied une escouade pour lutter contre les agressions sexuelles sur ce modèle, et elle a donné de très bons résultats», souligne-t-il.
L’ex-commandant André Bouchard, de la police de Montréal, qui a mené l’enquête sur la disparition de Jolène Riendeau, va plus loin: «J’ai fait partie de l’escouade Carcajou, mise en place pour lutter contre les motards criminels. Nous avons réussi parce que nous étions triés sur le volet, solidement formés, et parce que les différents corps de police travaillaient en concertation.»
Pendant quatre ans, André Bouchard et son équipe ont tout tenté pour retrouver Jolène Riendeau. Ils ont même fait une descente dans une maison en Floride, où, pensaient-ils, la fillette était séquestrée. Jolène n’a pas été revue depuis qu’elle a quitté son domicile de Pointe-Saint-Charles, à Montréal, en avril 1999. Ici aussi, les premiers policiers appelés sur les lieux ont mis du temps à réagir: un an plus tôt, Jolène avait été prise en charge par la Direction de la protection de la jeunesse après s’être enfuie de chez elle. «Des patrouilleurs ont fait des recherches près de chez nous et m’ont dit qu’il fallait laisser passer un délai de 24 heures avant de savoir ce qui c’était passé, déplore sa mère, Dolorès Soucy. Ils ont attendu trois jours avant de publier sa photo dans les médias.»
A l’heure actuelle, les élèves de l’Ecole nationale de police, à Nicolet, ne consacrent au volet «enquête criminelle» qu’un séminaire de quelques heures. A partir du mois de mai, l’Ecole offrira également un stage de formation aux enquêteurs. Pendant trois semaines, ils en apprendront davantage sur différents crimes comme les vols d’autos… et les enlèvements d’enfants. «C’est tout à fait insuffisant, assène le criminologue André Normandeau, de l’Université de Montréal. Un bon cours devrait durer quatre ou cinq mois, avec des mises en situation et des études de cas.»
Ce spécialiste, qui enseigne aussi à Washington et à Paris, a été mandaté par le ministère canadien de la Sécurité publique, au cours des années 1990, pour déterminer s’il y a lieu ou non de mettre sur pied des escouades spécialisées dans les enlèvements d’enfants. «Il est indispensable de créer de telles équipes, composées d’enquêteurs spécialisés possédant au moins cinq ans d’expérience sur le terrain, conclut-il. Ces détectives seraient intégrés aux unités des crimes contre la personne des différents corps policiers et, en l’absence d’enlèvements, seraient affectés à d’autres dossiers.»
Pourquoi ne le fait-on pas? «Par paresse professionnelle, croit André Normandeau. Mais nous n’avons pas le choix: il faudra en arriver là un jour ou l’autre si nous voulons véritablement retrouver nos enfants disparus.»
Parfois, il arrive qu’un témoin se manifeste des mois, voire des années après une disparition, et que celle-ci soit enfin élucidée. Mais, la plupart du temps, rien ne se passe. Les enquêteurs sont mobilisés sur d’autres affaires, même s’ils n’oublient jamais. «Mon seul regret, après 30 ans de carrière, c’est de ne pas avoir coincé l’assassin du petit Maurice Viens», confesse Jacques Duchesneau.
Pour les parents, c’est un long calvaire qui commence. «Ma fille n’est pas morte, ne cesse de répéter Dolorès Soucy, la mère de Jolène Riendeau. Quelqu’un me l’a prise et, si un jour je gagne à la loterie, je vais partir à sa recherche. Jusqu’au bout du monde s’il le faut.»
«Les familles auraient besoin de soutien pour continuer à fonctionner dans la société, mais il n’existe rien», regrette la criminologue Catherine Rossi, de l’Université de Montréal, qui a réalisé une étude sur les victimes. Impossible pour elles de faire leur deuil, ajoute-t-elle, car ce serait reconnaître la mort de leur enfant.
La mère de Clifford Edward Sherwood, neuf ans, enlevé en octobre 1954 près de sa maison de Verdun, est décédée il y a quelques mois sans avoir jamais déménagé. Toute sa vie, elle a cru qu’un jour son fils reviendrait frapper à sa porte…
Vous avez des informations qui pourraient aider à retrouver un enfant disparu? Communiquez avec Enfant-Retour Québec, au 514-843-3333 ou au 1 888 692-4673.