Le petit avion brille sur la piste, prêt à recevoir les passagers. Quasi paralysé par le trac, je scrute le ciel une dernière fois à la recherche d’un orage, d’un prétexte. Les quelques nuages dodus qui flottent ici et là n’ont hélas rien de menaçant. Le vol aura lieu et je n’ai d’autre choix que de grimper dans l’appareil, un Cessna Grand Caravan, avec Guillaume Lemay-Thivierge.
«Ça va?» me demande l’acteur charismatique de 36 ans. Je fais «oui» de la tête, même si je n’en suis pas certain, et il me donne une tape chaleureuse sur l’épaule. Dans quelques minutes, nous plongerons dans le vide, liés au même parachute.
L’intérieur est minimaliste. Pas de sièges, seulement deux bancs où sont assis les sept autres passagers – des habitués – sous le logo de Voltige, l’école de parachutisme de Guillaume.
Tandis que l’avion monte rapidement dans le ciel au-dessus de Joliette, le comédien m’explique la procédure. Je ne l’écoute toutefois qu’à moitié. Non seulement le bruit du moteur et du vent rend la conversation difficile, mais je m’inquiète que nous ne soyons toujours pas attachés ensemble. Après tout, c’est lui qui porte le parachute, pas moi.
Avec soulagement, je le sens s’activer dans mon dos. L’attirail que nous partageons est «ce qui se fait de mieux», m’avait assuré Guillaume un peu plus tôt. En plus du parachute principal et de celui de secours, un dispositif déclenche automatiquement l’ouverture si mon instructeur de saut n’y parvient pas. Coût total: 18000$. Ma vie ne vaut-elle pas ça?
Au fond de la carlingue, une lumière tourne au vert et les autres parachutistes poussent des cris d’excitation. Trois personnes se lèvent, ouvrent la porte puis se lancent dehors tête première. «Mon record de vitesse en chute libre est 311 km/h», m’avait glissé l’un deux avant le décollage.
L’avion se déleste rapidement et il ne reste bientôt plus que le pilote, Guillaume et moi. «C’est ton moment, profites-en», dit le comédien en me dirigeant vers la porte. Devant mes yeux s’étend la région de Lanaudière. Et plus de 4000 mètres de vide.
Crédit photo: Simon Gingras/école de parachutisme/Voltige2001
La fascination de Guillaume Lemay-Thivierge pour le parachutisme remonte à l’été de ses 16 ans. Quelques mois après avoir décroché son permis de conduire, il roule en se demandant quoi faire de sa nouvelle liberté. La réponse lui vient littéralement du ciel: un parachute coloré fend l’air, puis disparaît derrière les arbres qui bordent la route. «C’est maintenant que ça se passe!» s’exclame l’adolescent en tournant brusquement le volant pour s’engager sur le chemin qui mène au centre de parachutisme.
Ce n’est pas la première fois qu’il vient ici. Plus jeune, sa mère l’amenait parfois regarder ces fous qui tombent du ciel. Aujourd’hui, il ne veut pas observer; il veut se jeter en bas.
Le parachutiste n’a pas fini de ramasser sa voilure lorsque Guillaume sort de sa voiture.
-Je veux sauter! lance-t-il dès qu’il est assez près pour se faire entendre.
-T’as quel âge? demande l’instructeur en le jugeant du regard.
-16 ans.
-Désolé, il faut 18 ans.
Deux ans plus tard, il revient à la charge. À l’époque, le tandem n’existe pas. Son «petit» saut à 1000 mètres d’altitude se fera en solo. Au signal, Guillaume se glisse à l’extérieur de l’avion et s’agrippe comme prévu au fuselage. L’instructeur le regarde avec un grand sourire. «Go!» crie-t-il en tirant sur le déclencheur du parachute pendant que l’acteur se laisse tomber.
Heureusement que Guillaume ne devait pas ouvrir son parachute lui-même. Son niveau de stress était si élevé qu’il aurait probablement oublié de le faire. La voile se gonfle en quelques secondes et le comédien se retrouve suspendu dans les airs. Arrivé au sol, trop tôt à son goût, il n’a qu’une idée: recommencer.
Guillaume est de ceux qui aiment les émotions fortes, qui semblent n’avoir peur de rien. Gamin, il jasait avec les étrangers sans crainte, sans gêne. À six ans, il décroche de petits rôles dans des publicités, puis dans des films. À huit ans, il charme le Québec avec le personnage de Monsieur Émile dans Le matou. C’est la folie, les contrats affluent et son père devient son impresario.
Mais à l’adolescence, Guillaume rate de plus en plus d’auditions. Le creux survient l’année de son premier saut. Gonflé d’espoir par son nouveau rôle dans le téléroman Chambres en ville, il se présente à une audition avec Jean Beaudin, le réalisateur du Matou. Le comédien est bien préparé et suit les consignes qu’on lui donne. Pourtant, les commentaires de Jean Beaudin se font plus distants, son regard et son attitude changent. À tort ou à raison, Guillaume comprend qu’il n’est plus le «ti-cul magique» d’avant.
«C’est fini, pense-t-il en quittant l’audition. Fini la télé, fini la carrière de comédien, je serai pro de parachutisme.» Il décide tout de même de se donner une dernière chance avant d’abandonner pour de bon. Après des années avec son père, Guillaume change d’agent dans l’espoir de réaliser un petit rêve: faire au moins un dernier film.
Crédit photo: Simon Gingras/école de parachutisme/Voltige2001
«Go!» crie Guillaume. Mon corps tombe vers l’avant, dans le vide. Dans ma tête, les fils se touchent et je ne comprends plus ce qui m’arrive. L’air siffle dans mes oreilles. Le vent me fouette. Le sol en bas. Les nuages au loin. L’adrénaline. La vitesse!
Ma peur a disparu. Je ne pense plus à rien, le cerveau paralysé par des milliards de signaux nouveaux, contradictoires et excitants. Je tombe! Non, je vole!
Mon visage est déformé par un sourire un peu fou et je pousse un long cri sans fin. Mais quelque chose cloche. Mes poumons me font mal et le hurlement meurt dans ma gorge. De l’air! Je dois respirer! Je prends une grande bouffée, puis, comme dans un film où je serais moi-même la vedette, me remets à crier de plus belle.
Après 50 secondes de chute libre, nous atteignons une vitesse frôlant les 200 km/h. C’est l’extase. Je voudrais que ça continue. Heureusement, Guillaume, plus lucide que moi, déclenche le parachute. Notre chute ralentit rapidement, mais en douceur. Loin en bas, je reconnais le terrain de Voltige, vers lequel nous planons rapidement.
Cette école de parachutisme, c’est un rêve fou qu’a eu Guillaume au début de la vingtaine avec trois autres parachutistes… et un denturologiste. Après avoir sauté un peu partout au Québec et ailleurs dans le monde, ils voulaient créer une zone de saut à leur image.
Ouvrir un centre n’est pas facile. Les terrains sont non seulement chers, mais la réglementation est sévère. Les cinq partenaires font le tour de la province à la recherche de l’endroit idéal avant d’apprendre qu’une école de parachutisme est à vendre dans la région de Joliette.
L’endroit est en perte de vitesse et le propriétaire y initie environ 200 personnes par année. Avec ses acolytes, Guillaume veut porter ce nombre à 2000. Il achète la zone de saut en 2001, alors qu’il vient tout juste d’avoir une petite fille avec sa conjointe de l’époque, Martine Blouin, qui est aussi partenaire dans l’aventure. «Avec l’école, je serai correct si ma carrière de comédien tombe», croit Guillaume.
Comme tout projet d’entreprise, les imprévus sont nombreux, dont un de taille: les contrats affluent à nouveau pour l’acteur. Il apprend ses textes entre les couches, le débroussaillage et les réparations à effectuer. Souvent, il travaille sur le terrain le matin, part pour un tournage, puis revient compléter ce qu’il avait commencé, tandis que Martine allaite leur petite et répond aux clients entre deux biberons.
Rapidement, Voltige grossit et attire de plus en plus d’amateurs. Guillaume s’y sent en vacances, malgré tout le boulot à abattre. Il décroche même un rôle dans un film, Les immortels. De retour au grand écran! Il est au paradis.
Mais tandis que sa vie professionnelle s’envole, sa vie personnelle bat de l’aile. Moins de deux ans après l’ouverture du centre, il laisse Martine et commence à fréquenter l’actrice Mariloup Wolfe. Pour éviter les conflits et les malaises, il s’éloigne de l’école. Sa «drop zone» lui manque.
Aujourd’hui, la tension a disparu et Guillaume vient régulièrement à Voltige malgré ses nombreux projets de télé et de cinéma. Fini, toutefois, l’époque des travaux manuels et de l’administration. Il se concentre plutôt sur son rôle de porte-parole du centre, qui initie désormais plus de 2000 personnes chaque année. Le comédien garde aussi quelques plages libres dans son horaire pour continuer à sauter avec des clients. Chaque saut est unique, mais il y en a un qui l’a particulièrement marqué. Une jeune fille voulait faire du parachute, mais elle est décédée avant de réaliser son rêve. À la demande de la mère, Guillaume a sauté avec la peluche de la petite.
Suspendu dans les airs, je regarde le paysage tandis que Guillaume nous dirige vers la zone de saut. Oubliez les histoires de jambes cassées. Suivant les consignes de l’acteur, je lève les jambes à l’horizontale et me laisse glisser sur le plancher des vaches, tout en douceur. À peine cinq minutes se sont écoulées depuis que nous avons quitté l’avion.
«Alors?» me demande Guillaume. Je suis un peu étourdi, mais difficile de savoir si c’est à cause de l’émotion ou parce que j’ai trop crié… Je regarde autour de moi et le sol me semble si banal. «Je veux sauter encore!» Comme toute réponse, l’acteur me donne le sourire complice de celui qui comprend.
Crédit photo: Simon Gingras/école de parachutisme/Voltige2001