Faux Canada!
Chaque pays a son hymne, son drapeau… et ses stéréotypes. En voici cinq, revus et corrigés par des experts du pays des érables. Un autre cliché!
Les Canadiens sont dingues de hockey
Existe-t-il une scène plus emblématique que des gamins jouant au hockey sur une mare gelée? Elle figure même sur les billets de cinq dollars. Mais le hockey est-il vraiment une obsession nationale?
Selon Statistique Canada, 11% seulement des jeunes de 5 à 14 ans pratiquent régulièrement ce sport – soit moins que les nageurs (12%) et beaucoup moins que les joueurs de soccer (20%). Chez les adultes, l’activité sportive la plus populaire est le golf, qui a détrôné le hockey en 1998.
L’engouement s’étiole aussi chez les partisans. Dans The Emerging Millennials, l’Albertain Reginald Bibby, professeur de sociologie à l’université de Lethbridge, révèle que l’intérêt des adolescents pour la LNH a chuté de 45 à 35% au cours des deux dernières décennies, et que trois adultes sur dix seulement suivent de près le hockey professionnel. Selon ce spécialiste, les médias sportifs qui affirment que leur propre passion pour ce sport est partagée par la grande majorité des Canadiens se trompent. Si la soirée du hockey attire deux millions de téléspectateurs, cela veut dire que 94% de la population estiment avoir des choses plus intéressantes à faire ce jour-là!
Le Canada, un modèle de tolérance
Premier pays à adopter le multiculturalisme comme politique gouvernementale officielle, en 1971, le Canada est considéré comme une société mosaïque par excellence. Mais jusqu’où pratiquons-nous la tolérance? Selon une enquête commandée par l’Institut canadien de la défense et des affaires étrangères, 27% des Canadiens considèrent l’afflux annuel d’immigrants et de réfugiés comme une «menace potentielle» pour les intérêts nationaux.
En 2007, le Pew Research Center, cercle de réflexion américain, a enquêté dans 47 pays sur l’attitude de leurs citoyens envers l’immigration. Dans 44 d’entre eux, une majorité de répondants a déclaré que «nous devrions réduire et contrôler davantage l’immigration étrangère dans notre pays». Une conviction partagée par 62% de Canadiens.
Et que dire de cette enquête d’Angus Reid réalisée en 2010, selon laquelle 30% des Canadiens (et 41% des citoyens âgés de 55 ans et plus) estiment que le multiculturalisme a nui à leur pays? Pire: 33% des répondants considèrent que la société canadienne est intolérante envers les musulmans, et 24% déplorent la présence d’immigrants sud-asiatiques.
Professeur à l’université de Toronto, Jeffrey Reitz doute fort que le multiculturalisme canadien traite mieux les immigrants que le melting pot américain. Dans son ouvrage, The Illusion of Difference, Reitz relève des différences minimes des deux côtés de la frontière en ce qui concerne l’attitude à l’égard des immigrants. Il est certes réconfortant de croire que nous sommes plus ouverts et plus accueillants que les citoyens d’autres pays, «mais tout prouve qu’il n’en est rien», conclut-il.
Système de santé: notre fleuron national
Nous sommes très fiers de notre régime universel d’assurance maladie. Selon un sondage Harris/Decima réalisé en 2009, 90 pour 100 des Canadiens le préfèrent au système américain. Mais n’avons-nous pas quelques doutes à ce sujet?
Selon un rapport du Conseil canadien de la santé paru en 2010, 52 pour 100 de nos compatriotes considèrent que des «réformes majeures» doivent être apportées d’urgence à notre système de santé, et 10 pour 100 estiment qu’il doit être entièrement repensé. Cette étude s’inspire d’une enquête du Fonds du Commonwealth, réalisée en 2010, sur l’attitude des citoyens de 11 pays occidentaux – dont le Canada, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, la France et la Suède – à l’égard des politiques de santé. Le Canada y fait piètre figure en ce qui concerne l’accès aux soins de santé après les heures ouvrables, et arrive même en dernière position, avec la Norvège, pour ce qui est de la possibilité d’obtenir un rendez-vous avec un médecin le jour même ou le lendemain. En outre, selon l’Institut Fraser de Vancouver, le temps d’attente pour consulter un spécialiste était de 18 semaines en moyenne en 2010 – un allongement de 96 pour 100 par rapport à 1993.
Lors d’un sondage commandé en 2010 par l’Association médicale canadienne, près de 40 pour 100 des répondants ont accordé une note très faible ou insuffisante aux conditions d’accès aux services suivants: médecins de famille, urgences, équipement diagnostique de pointe et spécialistes.
En outre, 75 pour 100 des personnes interrogées estiment que la qualité des soins va continuer à se détériorer en raison du fardeau supplémentaire qu’impose le vieillissement de la population canadienne.
Le culte des armes à feu n’existe pas chez nous
Selon une enquête internationale sur les armes légères, menée en 2007 par un institut de recherche basé à Genève, les Etats-Unis arrivent en tête pour la possession d’armes à feu personnelles (non policières et non militaires), à raison de 88 armes pour 100 citoyens. En comparaison, le ratio canadien n’est que de 30,8 pour 100.
Mais le Canada n’en occupe pas moins la 13e place sur 178 nations. D’après cette enquête, nous possédons deux fois plus d’armes à feu par tête d’habitant que les Australiens et les Mexicains, et cinq fois plus que les Britanniques.
«La culture des armes à feu est solidement enracinée chez nous», affirme Sheldon Clare, président de l’Association canadienne des propriétaires d’armes à feu, basée à Edmonton. Selon lui, les Canadiens croient dur comme fer au droit de posséder et d’utiliser des armes à feu pour la chasse, les exercices de tir à la cible et la défense.
Au dire de M. Clare, les propriétaires d’armes à feu se méfient des bureaucrates chargés d’appliquer la législation en la matière, plus stricte qu’aux Etats-Unis. «Cette méfiance a engendré un refus généralisé de se conformer à la réglementation en vigueur, souligne-t-il. Ce qui représente un changement radical par rapport au stéréotype du Canadien défenseur de la paix et de l’ordre.»
Les Canadiens sont mieux informés que les Américains
Nos compatriotes accusent souvent les Américains d’être des ignorants – en particulier pour tout ce qui concerne le Canada. Pourtant, dès qu’il s’agit d’histoire canadienne, force est de reconnaître que nous ne sommes pas très informés nous-mêmes.
En 2009, l’Institut Dominion (devenu l’Institut Historica-Dominion, organisme indépendant qui vise à promouvoir la connaissance du patrimoine canadien) a demandé à nos compatriotes d’identifier 10 personnages célèbres figurant sur des photographies: 41 pour 100 seulement ont pu nommer Sir John A. Macdonald (premier premier ministre du Canada) et 19 pour 100 ont reconnu Tommy Douglas (le «père de l’assurance maladie»). Près du quart des Canadiens n’ont même pas pu nommer Pierre Elliott Trudeau et Wayne Gretzky! Selon une autre enquête de Dominion, 47 pour 100 des Canadiens ne connaissent même pas le premier vers de l’hymne national, et 39 pour 100 sont incapables de citer l’année de la Confédération (1867).
Historien, auteur et professeur émérite à l’Université McGill, Desmond Morton, n’est nullement surpris par ce constat et déplore la façon dont l’histoire est enseignée dans nos écoles. Trop souvent, dit-il, celle-ci est présentée comme une série de «souvenirs négligeables», et non comme «un outil destiné à enrichir notre âge adulte».
*Crédits photo: Jocelyn Michel