Céline en compagnie d’Anna Willamson, sauvée grâce à une opération in utero.
Il n’y avait qu’elle, sans doute, pour réussir un tel exploit. Céline Dion – star mondialement connue, adulée, richissime, ayant connu une enfance heureuse et lumineuse, pas de gros bobos, pas de grands deuils, zéro handicap – possède en effet un pouvoir d’empathie hors du commun, un charisme remarquablement opérant auprès des enfants, beaucoup de compassion pour les tout-petits qui ont mal. Elle les connaît bien, elle les fréquente régulièrement depuis des années, elle sait leur parler, s’amuser avec eux, les faire rire et, tout naturellement, s’en faire des amis.
On lui avait donc demandé, au cours de brèves rencontres qui devaient toutes avoir lieu le 16 juillet dernier dans un grand hôtel de Montréal, de créer des liens de confiance très étroits avec 12 enfants venus des quatre coins du monde, tous cruellement marqués par la vie, souvent très lourdement handicapés, ayant vécu ce que la très grande majorité d’entre nous seraient incapables de supporter: un véritable enfer, dont chacun, par sa farouche volonté – et avec, bien sûr, un peu de chance et, parfois, l’aide de bons Samaritains -, a réussi à se sortir.
Douze victimes, mais surtout 12 héros que le Réseau Familles d’aujourd’hui avait conviés à Montréal dans le but, entre autres, de créer, à partir de leurs histoires, un livre – 12 héros parmi nous: une rencontre inoubliable avec Céline -, dont les profits seront versés à diverses œuvres pour enfants qu’aide la chanteuse…
Ces dernières années, 10 d’entre eux ont fait l’objet d’un grand reportage dans différentes éditions du magazine Reader’s Digest*. On connaissait donc en détail les drames horribles qu’ils avaient vécus, la force et le courage qu’ils ont dû déployer pour revenir à la vie… Et on avait demandé à 12 auteurs d’écrire un texte de fiction librement inspiré du destin de chacun de ces 12 enfants.
L’organisme Réseau Familles d’aujourd’hui – fondé et dirigé par Martyne Huot, ex-ballerine, mère de quatre enfants, championne créatrice d’événements et de campagnes de financement humanitaires – voulait célébrer le courage de ces enfants en les recevant à Montréal avec tous les égards.
Le Fonds des petits héros a été constitué dans ce but, grâce à la générosité de 12 entrepreneurs du milieu des affaires montréalais – 12 parrains et marraines à qui on a demandé d’investir au moins 5000$ dans cette cause. Ils ont tous fait beaucoup plus, donnant davantage d’argent que prévu, et beaucoup de temps et d’énergie. En faisant jouer leurs réseaux de contacts, ils ont mobilisé par moments quelque 300 personnes.
Chacun des enfants a été accueilli à l’aéroport par un représentant officiel de son pays. Il a fait la connaissance de son parrain, puis on lui a présenté un chaperon, un enfant de son âge, avec qui, espérait-on, il allait se sentir en confiance. On lui a ensuite fait voir Montréal et ses environs, et on l’a couvert de cadeaux. Mais les contacts étaient souvent compliqués, les barrières culturelles et linguistiques restant parfois difficilement franchissables.
Le 16 juillet, donc, Céline Dion a eu la délicate tâche d’apprivoiser ces enfants souvent effarouchés et, devant les appareils photo de Heidi Hollinger, de faire paraître sur leur visage, non pas la peur et la douleur qu’ils ont connues dans leur enfer, mais tout le plaisir et le bonheur qu’ils ont d’être toujours vivants, et d’avoir des rêves et des projets, malgré les blessures encore vives, les handicaps avec lesquels ils devront continuer à vivre, les deuils douloureux qu’ils ressentiront sans doute toujours. Elle est allée chercher, au fond de l’âme de ces petits garçons et de ces petites filles, tout ce qu’il y a de lumière, de musique et de magie.
Plusieurs d’entre eux n’avaient jamais pris l’avion de leur vie; certains n’étaient jamais montés dans une voiture ni même dans un ascenseur; quelques-uns n’avaient jamais dormi dans un vrai lit, ne s’étaient jamais trouvés dans une chambre d’hôtel d’un immeuble vertigineusement haut, au cœur d’une grande ville. Ils venaient de très loin, du bout du monde, du bout de la nuit…
Avant qu’ils entrent dans la grande suite où la photographe avait dressé son plateau, Martyne Huot a parlé à Céline de chacun des enfants qu’elle allait rencontrer pendant une vingtaine de minutes. Son prénom, son âge, d’où il venait, ce qui lui était arrivé, et quand et comment, par quels efforts et quels miracles, il s’en était sorti.
Céline a écouté avec énormément d’attention, puis posé quelques questions, voulant toujours en savoir plus. Cet enfant, Elisabeta, Donald, Junior, Fanni, Chris, a-t-il des passe-temps, des rêves? Si ses parents sont morts, qui prend soin de lui? Aime-t-il les chats ou les chiens, les pandas, les moteurs ou les poupées? A-t-il des amis, des frères et des sœurs? Quelle sorte de musique écoute-t-il? Quelle langue parle-t-il? Quand on a fait entrer chacun des enfants entouré de ses parents ou de ses accompagnateurs, son parrain, son chaperon, parfois son interprète, Céline allait vers lui, lui prenait la main, le remerciait d’être venu. Et celui-ci s’étonnait qu’elle sache tant de choses sur lui, comme le nom de son chat ou sa couleur préférée, ou le nombre d’anesthésies qu’il avait subies. Le contact s’établissait toujours rapidement, et Céline entraînait l’enfant sur le plateau, sous les spots, les flashs, les regards de tous.
Céline Dion sait naturellement comment agir avec les enfants. On l’a vue l’hiver dernier en compagnie des petits pauvres de Soweto avec qui elle s’est amusée un jour entier. On connaît son implication dans la cause de la fibrose kystique et dans la Fondation de l’Hôpital Sainte-Justine. Comme beaucoup de stars philanthropes, elle pourrait se contenter d’amasser des fonds ou de faire quelques dons d’argent. Elle considère qu’il est tout aussi important, sinon plus, de rencontrer en chair et en os les enfants malades ou blessés. Parce qu’elle croit que ce n’est qu’à travers ces rencontres et ces échanges d’âme à âme qu’on peut leur redonner de l’espoir et amorcer chez eux, avec eux, la guérison, leur donner le goût de s’accrocher à la vie.
A plusieurs reprises, tout le monde sur le plateau a eu les larmes aux yeux. Céline, elle, n’a pas pleuré une seule fois. Parce qu’elle voyait, chez Junior, chez Fanni ou chez Martunis, non pas la peau horriblement brûlée, les membres atrophiés ou de l’effarement ou du désespoir, mais de la force, du courage et énormément d’humour.
«On n’était pas là pour pleurer, dira-t-elle, mais pour saluer des héros, célébrer des réussites.»
Chaque fois, Céline a réussi à établir une communication réelle, un vrai contact. Parfois même sans qu’un seul mot ne soit prononcé. Martunis, par exemple, originaire d’une île indonésienne rasée par le tsunami qui a tué sa mère, ne parle aucune langue occidentale. Il ne savait pas trop dans quel pays il se trouvait – ni, bien sûr, qui était Céline Dion. Il ne souriait pas. A quoi, à qui aurait-il souri dans ce monde où tout lui était totalement inconnu?
Céline a réussi, en moins de deux minutes, et sans échanger un seul mot, à le mettre à l’aise, à lui faire comprendre qu’elle trouvait qu’il avait des yeux magnifiques, qu’il était très beau et que son vieux tee-shirt de l’équipe de soccer portugaise était génial. Quand elle a vu un sourire paraître sur son visage, elle lui a pris les mains, puis il a mis sa tête sur son épaule. Pendant un moment, ils ont été seuls au monde, formidablement unis… Quand Martunis est sorti, on voyait très clairement sur son visage le sourire et la force, la détermination du petit garçon qui, jeté par le tsunami sur une plage déserte, a survécu seul pendant 19 jours.
Donald, lui, qui a perdu sa mère et son petit chien dans l’ouragan Katrina, crânait. (A lire dans notre numéro de novembre.) Céline a imité sa démarche dégingandée; il a tout de suite éclaté de rire et esquissé quelques pas de moonwalk, qu’elle a imités. Tous ont fini par pouffer de rire ou par se laisser charmer. Même Miles, quatre ans, enfant autiste surexcité, terriblement agité, qui dans les bras de Céline s’est soudainement apaisé. Junior, amputé des deux jambes, confiné dans un fauteuil roulant, lui a parlé de son rêve: avoir un vrai habit d’homme, comme les autres, avec cravate et revers. Donald lui avait apporté ses dessins qu’ils ont regardés ensemble. Mary lui a donné un petit bracelet, que Céline lui a promis de porter à son prochain spectacle.
Et, pendant que crépitaient les flashs, Céline et ses amis prenaient des pauses. Elle les avait fait entrer dans un théâtre intime où il n’y avait plus ni drame ni douleur, où ils jouaient, comme jouent les enfants entre eux. Ce jour-là, dans ces rencontres au sommet de l’humanité, Céline Dion, star du show-business, est redevenue 12 fois de suite une enfant rieuse et enjouée, franchement émerveillée de se trouver en compagnie de vraies stars de la vie.