Madame réfugiés
Arrivée au pays après la Seconde Guerre mondiale, Rivka Augenfeld a consacré sa vie à l’accueil et à la défense des droits des réfugiés et des immigrants.
Mercredi matin, rue Beaubien, à Montréal. La salle est pleine à craquer de gens qui souhaitent en apprendre davantage sur le parrainage des réfugiés syriens.
Seule devant eux, un paquet de feuilles de papier dans les mains, Rivka leur prodigue ses meilleurs conseils, d’un calme olympien: «Mettez-vous à leur place. Comment vous sentiriez-vous si vous aviez à dire « merci » cinq fois pour un manteau? Pouvez-vous seulement donner pour donner et faire en sorte que celui que vous accueillez ne se sente pas obligé de toujours vous remercier?»
Au Québec, personne n’est mieux placé que Rivka Augenfeld pour comprendre l’expérience vécue des nouveaux réfugiés syriens. En 41 ans dans le milieu communautaire, cette intervenante auprès des immigrants, puis formatrice et consultante dans le domaine, a vu défiler toutes les vagues de réfugiés des dernières décennies: des Européens de l’Est aux Iraniens, en passant par les boat people vietnamiens et les Kosovars.
Toujours active à 69 ans, celle qui est aussi sérieuse qu’attachante transmet maintenant aux organismes et institutions non initiés qui souhaitent accueillir les Syriens tout ce qu’elle a appris lors de ses belles années sur le terrain. Elle leur enseigne les secrets du parrainage et les aide à se mettre un moment dans la peau de ces déplacés, en démystifiant leur réalité: «Quand tu es réfugié, tu n’as souvent que 15 minutes pour faire ton petit sac et quitter tout ce que tu connais et tous ceux que tu connais. Tu dois quitter ta vie !»
Quitter sa vie. C’est exactement ce que ses parents ont fait après la Seconde Guerre mondiale. En 1948, ces survivants de l’Holocauste d’origine juive-polonaise ont fui l’Europe pour se réfugier au Canada. Rivka avait deux ans.
Dès 1922, la communauté juive, qui recevait un grand nombre de déplacés, avait créé les Services d’assistance aux immigrants juifs (JIAS), un des seuls organismes dédiés à l’accueil des immigrants au Québec. Cet organisme a non seulement aidé Rivka et sa famille à s’établir ici, mais lui a donné son premier emploi dans le domaine en 1974 comme intervenante auprès des immigrants: elle aidait les réfugiés d’Europe de l’Est et d’ailleurs à s’installer, en leur trouvant notamment de l’aide financière et un logement.
À ses débuts, Rivka n’avait aucune formation pour travailler auprès de ces populations. «Quand j’ai commencé, j’étais peu outillée, reconnaît-elle en faisant valser ses cheveux poivre et sel. En travail social, l’approche spécialisée pour les immigrants n’existait pas encore !»
Dotée d’un grand instinct, elle a donc tout appris sur le tas, grâce à son expérience, ses collègues et aux formations: comment traiter ces êtres démunis de façon équitable, gérer leurs attentes et leurs déceptions, choisir les bons mots pour éviter les malentendus et, surtout, accepter leurs différences culturelles. «Au fil des ans, j’ai appris que le meilleur moyen de les aider à s’adapter à leur nouvelle vie, c’est de les respecter comme ils sont», souligne-t-elle dans un français impeccable, avec une voix légèrement cassée.
En 1979, Rivka fut une des nombreuses intervenantes à accueillir les boat people en provenance du Vietnam, du Cambodge et du Laos. «Si vous pensez qu’il y a aujourd’hui une euphorie autour de l’arrivée des Syriens, vous n’avez rien vu ! déclare-t-elle. À l’époque, tout le monde voulait faire quelque chose pour aider et c’était beaucoup plus simple, parce qu’on ne s’inquiétait pas pour des questions de sécurité.»
Tellement de gens voulaient prêter main-forte que Rivka et d’autres acteurs du milieu communautaire ont mis sur pied une table de concertation pour coordonner les actions de tout un chacun. À l’origine, l’organisme avait été créé pour accueillir les boat people, mais il est bien vite devenu une ressource indispensable pour aider les réfugiés de toute provenance.
Trente-sept ans plus tard, la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes est toujours là pour assurer la coordination des actions de ses organisations membres. Rivka, qui en a assumé la présidence de 1986 à 2007, y est toujours bénévole, même à la retraite.
Sensible aux inégalités et grande militante, Rivka a aussi fait de sa vie une longue bataille auprès du gouvernement et des citoyens pour faire reconnaître les droits des réfugiés, mais aussi défendre leur dignité. «Tous les êtres humains sont égaux, souligne l’ancienne porte-parole à Montréal de la Journée mondiale des réfugiés. Cette phrase peut sembler banale, mais elle est très profonde. Le jour où chacun y croira, le monde sera différent.»
D’ici là, Rivka se réjouit de l’élan de solidarité envers les Syriens et souhaite que cela contribuera à mettre en lumière le vécu d’autres réfugiés arrivant chaque jour au pays, ainsi que le travail des intervenants qui les accueillent. «Ce qui se passe ces jours-ci est merveilleux ! Espérons maintenant que cette vague de générosité s’étende à tous les autres réfugiés»