Égalité pour tous
Ne cherchez pas le mot « féminisme » sur la couverture du livre de Tanya Lapointe (Éditions Cardinal, 2018), 50/50 : réflexions et solutions pour atteindre l’égalité, ni dans le titre du documentaire qu’elle a coréalisé avec Laurence Trépanier (disponible gratuitement sur la plateforme icitou.tv). Même si les questions féministes y sont partout présentes, c’est surtout un « guide de l’égalité 101 » qu’elle propose aux femmes, mais aussi aux hommes.
Elle pointe tout de même du doigt les multiples difficultés qui se dressent sur la route des femmes pour assurer leur plein potentiel (iniquité salariale, faible présence féminine à la tête des entreprises et des conseils d’administration, harcèlement sexuel, etc.). Car celle qui a tiré un trait sur le journalisme pour devenir productrice et réalisatrice partage la conviction des politiciens, militants, journalistes et leaders d’opinion conviés à nourrir sa réflexion dans 50/50. À ses yeux, l’égalité, au travail comme au sein du couple ou des familles, n’est pas seulement un combat pour les femmes, c’est un combat pour un monde meilleur.
Jetez un regard sur ces moments historiques qui ont changé la condition des femmes.
D’entrée de jeu…
vous affirmez que ce vaste projet, qui inclut également un site web, a changé votre vie. En quoi ?
À ma naissance, ma mère était la première conseillère municipale de Hawkesbury, en Ontario. Dans une ville de 10 000 habitants, à l’époque, c’était assez inusité, mais pour moi, rien de plus banal. J’ai été choyée, je le reconnais, mes parents m’ont toujours encouragée à faire mon chemin dans la vie. Or, quand j’ai commencé à m’intéresser à la question des femmes avec Laurence Trépanier, je m’en suis voulu de ne pas l’avoir fait plus tôt. Trois ans et demi de recherches ont fait de moi une meilleure femme, une meilleure citoyenne, qui pouvait partager ce qu’elle avait appris. Mon regard n’est pas celui d’une spécialiste, mais nous avions l’ambition d’offrir aux gens une meilleure compréhension des enjeux.
Les hommes et les femmes restent inégaux du point de vue biologique : voici 11 choses courantes sur lesquelles ils réagissent différemment.
Sans pour autant…
utiliser l’étiquette « féministe » pour coiffer ce guide à plusieurs volets?
Il y a trois ans, notre titre de travail était Les visages du féminisme. Beau-coup de gens disaient : « Ah non, pas ce sujet-là… » Il y a eu toute une évolution depuis, surtout quand des gens comme Barack Obama se déclaraient féministes ! Et en même temps, il y a eu la sortie de Lise Thériault, à l’époque ministre libérale de la condition féminine, qui disait ne pas être féministe peu de temps avant la Journée internationale de la femme. Cela a créé un véritable tollé. Laurence et moi étions au début de notre parcours, et nous avons constaté que nous n’étions pas seules à nous poser des questions sur le féminisme. Nous ne voulions pas exclure cette notion, mais notre but en parlant d’égalité était de créer des ponts, d’être inclusives, d’ap-porter des solutions. Au fond, je crois que les femmes s’entendent sur le fait que tout le monde veut être reconnu à sa juste valeur, avoir des opportunités, mais tous ne les ont pas : des mouvements existent pour qu’on y parvienne.
Vous parlez d’égalité…
mais avez-vous pu incarner cet idéal dans la production de votre documentaire?
Lorsque nous avons choisi nos intervenants, et que nous avons commencé à dire qu’il nous fallait des hommes, certains étaient contre, disant que c’était une question de femmes. Nous avons tenu notre bout, même si, au final, nous n’avons pas 50 % d’hommes dans le documentaire. Comme nous sommes deux réalisatrices-productrices, nous voulions tout de même deux hommes à la caméra, pour voir et entendre leurs réactions ; c’était un peu notre public cible, nos premières oreilles. Nous avions toujours ça en tête, mais nous étions une petite équipe pour un petit documentaire : comment font les entreprises et les multinationales ? C’est là que je me suis rendu compte de toute la complexité de cet enjeu.
Dans votre documentaire…
on vous a reproché une proche parenté de valeurs avec vos intervenant(e)s (Amir Khadir, Pauline Marois, Liz Plank, Nathalie Collard, etc.). Aviez-vous songé à inviter des gens plus radicaux, ou même, des masculinistes?
Pendant la préparation de notre film, en 2016, un documentaire anti–féministe et masculiniste a été présenté à Montréal, nous forçant à nous demander si nous voulions nous aussi être dans la provocation. Et puis nous avons convenu que les antiféministes ont déjà suffisamment de tribunes ! Françoise David nous avait d’ailleurs prévenues que ces gens un peu « rentre-dedans » allaient sûrement nous dire en entrevue qu’ils sont tous pour l’égalité, mais dans les faits, c’est autre chose.
Nous voulions tout de même une diversité de points de vue. D’un côté, les jumeaux Émile et Gabrielle Roy, 18 ans au moment du tournage, pour qui le féminisme est une chose qui va de soi. À leur âge, et dans mon école, on ne tenait pas du tout ce discours ! À l’opposé, nous avons aussi rencontré Annie Cloutier, une sociologue qui remet en question le féminisme face à la maternité. Ou le militant Will Prosper, militant des droits civiques, qui dresse des parallèles entre le sexisme et le racisme, et de brillante façon. Et quand j’ai demandé à Charlotte Sabourin, doctorante en philosophie de l’Université McGill, ce qu’elle pense des gens convaincus que les féministes sont enragées, elle m’a répondu que les femmes ont le droit d’être en colère ! Et c’est vrai que pour défoncer les murs, changer les choses, il en faut de l’indignation.
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