Un voleur de banques pas comme les autres
Casquette de baseball sur la tête et lunettes noires, l’homme attend que la caissière le regarde. Ce 26 mai 2000, la matinée est calme à la succursale de la LaSalle Bank de Highland Park, une banlieue de Chicago, dans l’Illinois.
«Que puis-je faire pour vous?», demande la jeune femme derrière son comptoir. L’homme glisse la main dans la poche arrière de son pantalon kaki comme pour sortir un portefeuille, mais lui présente une fiche. La caissière perd son sourire en lisant les mots écrits au feutre noir: «CECI EST UN VOL. DÉPOSEZ L’ARGENT DONT VOUS DISPOSEZ DANS LE SAC.»
Le voleur, un homme svelte dans une chemise bleu clair, remet la fiche dans sa poche. «Doucement», dit-il, sans se départir de son calme en lui tendant un sac en plastique. Pendant qu’elle s’exécute, il garde les mains jointes en pressant délicatement les paumes.
«Merci», lance-t-il avant de se diriger vers l’entrée.
Moins de deux minutes plus tard, il émerge d’un parking souterrain, un vélo appuyé sur une épaule et un sac de coursier pendu à l’autre, vêtu d’une tenue en lycra rouge, blanc et bleu, un casque argenté, des lunettes noires et des chaussures de cycliste. Il enfourche son vélo et commence tranquillement à pédaler.
Quinze minutes plus tard, il s’approche d’une poubelle. Hormis deux billets de 20$ qu’il conserve, il y vide le contenu de son sac. Il y en a pour 4009$ assemblés en plusieurs liasses. L’homme range le sac vide dans sa besace de coursier, puis s’éloigne en pédalant.
Sprinter d’exception
«Si vous avez envie de concourir, venez avec votre vélo et tentez votre chance», annonce la voix dans le petit haut-parleur du vélodrome Ed Rudolph, en banlieue de Chicago.
Dans les gradins, un adolescent de 13 ans, Tom Justice, regarde avec émerveillement les cyclistes qui roulent en louvoyant sur la piste extérieure. À chaque passage du peloton, le bruit de succion libère un souffle concentré.
Avant cet été de 1983, Tom n’a jamais assisté à une course de vélo et n’a jamais vu un vélodrome. Invité par son amie Kristin, le jeune homme mince aux longs cheveux noirs accepte de l’accompagner parce qu’il est amoureux d’elle. Dès l’instant où il met le pied dans le stade, il reste cloué sur place.
Il y retourne une semaine plus tard avec son vélo bordeaux de la marque Schwinn. Quand les lumières du stade s’allument, une dizaine de gamins des banlieues se rejoignent sur la piste. Ils portent un tee-shirt et un short de gym, sauf Tom qui se distingue dans un maillot professionnel et un short de cycliste rembourré que lui a procurés son père.
Tom remporte facilement l’éliminatoire des 12-14 ans. Assis sur son vélo, encore haletant, il sent une montée d’adrénaline. Enfin une activité dans laquelle il excelle. Son père Jay, un vétéran de la Marine américaine aux grandes qualités d’athlète, est emballé. «Tu t’installes devant, a-t-il conseillé à son fils avant la course, et tu ne laisses personne te dépasser.»
Élève à la Libertyville High School, son identité est désormais définie par le cyclisme. Il s’entraîne au vélodrome le lundi et le mercredi, participe à une course le jeudi et pédale pendant des heures sur les routes qui sillonnent la campagne près de Libertyville. En 1987, quatre ans après sa première victoire au vélodrome, le garçon est sélectionné pour le camp d’entraînement olympique à Colorado Springs, dans le Colorado.
Doué au sprint, il a le don de se faufiler dans la moindre ouverture et de s’arracher du peloton. Il possède la constitution idéale pour la course sur piste–il est grand et a les jambes puissantes et musclées d’un patineur de vitesse. Dans le 1000m, sa course préférée, il sait d’instinct dépasser le coureur en tête dans les 45 dernières secondes – le moment où tout se décide.
Pour éviter les arnaques, soyons plus malins que les escrocs!
Profession: braqueur de banques
À la fin du lycée, la feuille de route de Tom est toute tracée: il va s’entraîner à l’université Southern Illinois où il a été admis, rester concentré et patient. D’ordinaire, les meilleurs cyclistes ne se qualifient pas avant la fin de la vingtaine.
À l’université, pourtant, l’intérêt de Tom pour le cyclisme – et tout le reste – diminue. Pendant ses six années à Southern Illinois, il passe d’un programme à l’autre, de la philosophie à la sociologie, sans oublier le théâtre.
S’il songe encore aux Olympiques, il compte surtout sur son talent naturel. À la fac, le jeune homme a fondé un club de cyclisme où il s’entoure d’amateurs qu’il arrive toujours à battre. Au lieu de s’entraîner sérieusement, il fume et boit de la bière avec les amis.
Au fond, Tom nourrit de grands espoirs. Il voudrait devenir un artiste. Il tâte un peu du piano, puis de la sculpture, mais rien ne suscite chez lui la même passion que le vélo. Après son diplôme, en 1994, il s’installe à Los Angeles pour s’entraîner avec l’équipe olympique américaine. Sans se distinguer.
Les autres sprinters savent qu’il manque de discipline. «Tom est rapide, mais il ne sait pas s’entraîner, note l’un. Il doit s’appliquer.» Il regagne rapidement Chicago où il s’installe avec sa petite amie Laura. Il a décroché un boulot d’assistant social. En aidant les autres, il oublie ses problèmes. Après quelque temps, il se sent parfaitement inutile – il n’a ni ligne d’arrivée ni acclamations.
Le rêve olympique de Tom s’étiole et il fantasme sur ce qu’il pourrait substituer à la satisfaction immédiate et vibrante procurée par le vélo. Il dresse une liste d’activités, puis enchaîne les entretiens, de plus en plus insatisfait de sa vie ennuyeuse. Sa relation avec Laura est tendue. Il est mal à l’aise dès qu’elle parle de mariage ou d’enfants. Il ne s’imagine pas s’installer.
Un soir tard, en 1998, Tom reconsidère sa liste. Au fil des ans, il n’a jamais cessé d’y ajouter de nouvelles hypothèses, de nouveaux métiers. Sous «pilote d’hélicoptère» et «crocheteur», il ajoute deux lettres: «B. B.» Braqueur de banque.
Contrairement à Tom, ces malfaiteurs n’étaient pas bien malins…!
Un sentiment d’euphorie
Chicago a vu s’épanouir de nombreux braqueurs célèbres, ce qui n’est pas pour déplaire à Tom. Dans la boutique de perruques du quartier où le gangster John Dillinger s’est planqué dans les années 1930, Tom hésite entre des cheveux rose fuchsia, blonds à nattes ou afro aux couleurs de l’arc- en-ciel. Il finit par choisir une perruque à tresses noires et frange courte.
Le 23 octobre 1998, le cycliste pénètre dans le garage de ses parents, saisit son sac de coursier et son vélo Fuji AX-500 et pédale vers le centre de Libertyville. Il pose sa bécane contre une clôture bordée d’arbres entre deux maisons, puis enfile un pantalon kaki et une chemise bleue sur sa tenue de cycliste en lycra. Il ajuste sa perruque et ses lunettes noires surdimensionnées qui rappellent celles de Jackie Onassis, puis se dirige vers une succursale de l’American National Bank.
Il s’arrête en chemin devant une cabine téléphonique et appelle le commissariat de police de Libertyville situé à deux rues de sa cible. «Ouais, salut, je suis à Adler Park, dit-il en omettant de s’identifier. J’ai vu un homme armé dans les bois.
— Merci, monsieur, nous envoyons quelqu’un vérifier», dit la voix au bout du fil.
Ce sera un policier de moins près de la banque.
Tom entre dans la succursale et s’approche de la caissière. Elle se redresse aussitôt. Halloween commence tôt cette année, songe-t-elle. Tom lui glisse une fiche qu’il ne veut pas lâcher. Pas question de laisser des indices. Après un étrange ballet de lâchera-lâchera pas, la caissière se penche pour lire le message. Tom glisse le sac en plastique sur le comptoir qu’elle remplit de billets.
Tom se précipite à l’extérieur, le sac à la main. Son cœur bat à tout rompre. Il ressent des fourmillements dans les jambes. L’opération n’a duré que 45 secondes. Deux minutes plus tard, ayant retrouvé son vélo, il se défait fébrilement de son déguisement qu’il jette dans le sac de coursier avec les billets.
Il roule avec nonchalance jusque chez ses parents où il range le vélo dans le garage et se glisse sur la pointe des pieds au sous-sol. Il sait qu’il ne pourra parler à personne de son vol. Il n’éprouve aucun remords. Les banques sont assurées et, de toute façon, elles se fichent de l’argent. Il a conçu, incarné et livré une performance parfaite. Il se sent gagné par un sentiment d’euphorie.
À genoux sur le tapis à poils longs, il contemple en pleurant les billets. Il y a longtemps que Tom ne s’est pas senti aussi vivant – aussi important.
Les 5580$ qu’a rapporté le braquage restent des mois dans un sac de sport au fond du placard de sa chambre chez ses parents. Craignant que les billets ne soient marqués, il ne conserve que deux coupures de 20$. Une nuit, il jette toutes les autres dans différentes bennes à ordures derrières des restaurants de fast-food.
Deux braquages de banques en un jour
Près d’un an après le premier vol, Tom récidive. Le déguisement ne change guère et il s’enfuit à vélo avec 3247$. Cette fois, il disperse les billets dans des ruelles où les trouveront des sans-abri. Il éprouve une sorte d’ivresse à voler des banques et distribuer l’argent. Il se voit comme un redresseur de torts.
Le sentiment se dissipe. Sa vie lui semble de plus en plus médiocre et décevante. Il lutte contre la dépression et se rend compte qu’à 29 ans, la perspective d’être cycliste de niveau international se réduit chaque jour. S’il veut poursuivre son rêve olympique, il doit s’y mettre.
Il annonce à Laura qu’il veut s’entraîner en Californie du Sud pour la sélection aux Jeux olympiques. Il a pu maintenir sa classification en catégorie 1 et cela lui permet de se qualifier automatiquement pour les essais. Il n’a plus qu’à s’installer là-bas et rouler.
Laura lui prête la Honda Accord bleue de sa mère pour le déménagement. Arrivé en Californie, en se regardant dans la glace, il se jure de ne plus braquer de banque.
«Comment ça se passe? demande Laura qui appelle de Chicago.
— Bien!», répond Tom. Il a le teint hâlé à force de rouler sur le vélodrome extérieur de San Diego. Pour étoffer sa masse musculaire, il s’impose tous les matins des exercices d’entraînement à la force. Au vélodrome, il se montre de plus en plus impressionnant dans ses départs déjà fulgurants. Début 2000, après quelques semaines, Tom n’a jamais été aussi en forme.
Avec la monotonie de l’entraînement, il oublie son engagement. Son double secret – et l’ivresse que seul semble lui procurer le vol – se rappelle à lui.
Le lendemain de la Saint-Valentin, il braque une banque à Encinitas, au nord de San Diego. Le 29 février, il s’attaque à une autre succursale près de Solona Beach. Le jour suivant, de nouveau à Encinitas. Deux semaines plus tard, à San Diego. Le 24 mars, il s’en prend à deux banques le même jour et cet exploit lui rapporte son plus joli butin: 10274$.
Il empoche les petites coupures de 5$ et 1$ et dissémine les billets de 20$ dans les toilettes publiques en ville et sur les plages. Il n’a pas besoin de cet argent.
D’ailleurs, certains voleurs visent autre chose que l’argent: vous serez surpris d’apprendre que ces objets étranges ont été volés!
Un désir insatiable de se sentir exceptionnel
Un matin en se réveillant, il constate qu’il ne peut plus bouger. Une douleur intense irradie dans le bas de son dos. Il a poussé trop loin l’entraînement. Il lui faudra des semaines pour pouvoir de nouveau pédaler sans se réveiller le lendemain dans d’atroces souffrances. Son projet de courir pour la qualification aux Jeux s’effondre.
Laura décide de rompre peu après son retour à Chicago. Tom a changé. Rater les qualifications semble à peine l’affecter; il est plus froid, plus distant et secret. «Je ne sais pas ce qui t’arrive, dit-elle, mais je sais que ça ne va pas.»
L’homme emménage dans un appartement avec George, un géant Grec de plus de 100 kilos qui travaille la nuit.
«Tu fais quoi? demande Tom.
— Je suis flic», répond George.
Impossible de résister. Tom n’a ni petite amie, ni boulot, ni défi olympique en perspective; il ne lui reste que ce désir insatiable de se sentir exceptionnel, de se prouver qu’il est trop malin pour être pris.
Remis de ses douleurs, le cycliste reprend les braquages. D’abord la LaSalle Bank à Highland Park – le casse rapporte 4009$ qui finissent dans une poubelle. La semaine suivante, il écume trois banques en trois jours. George ne peut pas savoir que son colocataire en est à son treizième vol de banque.
Tom devient prétentieux. Dans une boîte de nuit, il rencontre une jeune brune d’environ 25 ans vêtue d’une robe de cocktail bleu nuit. Il est sidéré d’apprendre qu’elle est membre d’une agence de police du gouvernement fédéral. Sur la piste de danse qui vibre au son de la musique, elle sourit malicieusement.
«Et toi, qu’est-ce que tu fais? hurle-t-elle.
— Je suis braqueur.» Il sourit et continue à danser.
Elle hoche la tête et poursuit la danse, elle aussi.
Tom court à sa perte
L’été 2001, Tom se joint à l’équipe cycliste de Higher Gear, un magasin de vélos près de la LaSalle Bank, une des neufs banques qu’il a cambriolées dans la banlieue de Chicago. Le responsable du magasin lui apprend un jour qu’un cycliste de la région vend son Steelman. Les vélos Steelman sont de facture exceptionnelle et très recherchés.
Tom, à qui on a récemment volé sa bécane, cherche à la remplacer.
En voyant le Steelman, il hésite. Il est orange fluo, mais ça demeure un Steelman et on en trouve rarement d’occasion. Il l’achète.
Quand Tom roule avec l’équipe de Higher Gear, il est facile à repérer sur son deux-roues orange. Les autres le complimentent régulièrement pour son vélo. C’est sans conteste le plus beau qu’il ait possédé.
Tom a cessé de distribuer l’argent de ses braquages. Il commence à devenir dépendant à certaines drogues. Il a tâté de la cocaïne la première fois l’année d’avant. Quelques mois plus tard, dans une boîte de nuit, il a pris de l’ecstasy.
L’ecstasy est rapidement devenu une habitude. Tous les week-ends, il en prend quatre comprimés, boit de la vodka pendant quelques heures, puis avale encore quatre comprimés.
La sensation est sublime. Mais avec l’augmentation des doses, la dépression qui suit l’état de grâce ne fait que s’accentuer. Consommer plus reste le seul moyen d’éloigner cette conscience douloureuse qui déçoit tous ceux qui l’aiment.
«Tu as mauvaise mine, dit sa mère. Il faut absolument que tu te reposes.»
Si Tom n’a pas de boulot, il ne manque ni d’argent ni de cocaïne. Ses amis le soupçonnent d’être un revendeur.
Pour se convaincre qu’il n’a pas de problème de toxicomanie, il assiste à quelques séances des Narcotiques Anonymes. Quand vient son tour de témoigner, il se contente de parler de son «expérimentation des drogues». Une façon de nier la réalité.
«Ce sera ma dernière séance», annonce Tom un jour après seulement six semaines. Il a prévu retourner vivre en Californie, dit-il, où il compte s’inscrire au troisième cycle.
Il veut être professeur. Tout le monde dans la pièce lui souhaite bonne chance.
On vous dévoile ce que les cambrioleurs ne veulent pas que vous sachiez!
Chasse à l’homme
«Vol à main armée en cours», crachote une voix dans la radio de l’agent Greg Thompson. Ce 7 mars 2002, on vient de braquer la Union Bank à Walnut Creek, en Californie.
Description du suspect: un homme blanc dans la vingtaine qui a fui à pied.
Greg roule devant un parking couvert quand il voit surgir d’une allée un cycliste qui file à vive allure derrière sa voiture de patrouille. L’agent jette un coup d’œil dans le rétroviseur. Le cycliste est vêtu d’une tenue en lycra rouge, blanc et bleu, et ressemble à n’importe quel coureur du dimanche, sauf pour un détail: le sac de coursier accroché à son épaule.
Greg Thompson a 18 ans de métier et enseigne aux jeunes recrues à se fier à leur instinct. Il est devant un cas d’école. Si je n’arrête pas ce type, je m’en voudrai toute ma vie, se dit-il.
Greg n’a pas le temps d’allumer ses gyrophares. Le cycliste s’arrête, saute de son vélo et commence à s’affairer sur sa roue arrière. L’agent se gare à quelques mètres et s’approche. Tom fait semblant d’ajuster ses freins, puis enfourche son vélo et clique la cale de sa chaussure gauche sur la pédale.
«Je peux voir ce qu’il y a dans votre sac? demande Greg.
— Pas de problème, il faut que je déclique, répond Tom. Avec des pédales à contrepoids, je dois cliquer l’autre pied pour pouvoir sortir les deux.»
Les pédales à contrepoids n’existent pas, mais Greg ne le sait pas. Il regarde le cycliste soulever son pied droit, cliquer sur la pédale et… En quelques secondes, il s’est volatilisé sur son vélo.
Non loin de là, l’agent Sean Dexter attend dans sa voiture quand il repère un cycliste se faufilant à vive allure entre les voitures sur son vélo orange et brûler un feu rouge. L’agent avance jusqu’à l’intersection, mais le cycliste ne s’arrête pas.
Tom contourne la voiture de police, traverse deux voies et bondit au-dessus du muret. Fonçant dans un parking, il va droit vers la clôture qui borde un taillis de bambous de haute taille.
Sean saisit sa radio, mais avant qu’il n’ouvre la bouche, un autre policier intervient sur la bande. «Un type à vélo vient de m’échapper!
— Il est tout près d’ici!», crie Sean dans sa radio.
Il slalome un moment dans la circulation dense et s’arrête dans le parking dans un retentissant crissement de pneus. Il n’y a aucune trace du cycliste.
Sean sort de la voiture et s’avance vers la clôture. Il ouvre lentement la porte et jette un coup d’œil à l’enchevêtrement d’arbres. Au milieu de branches cassées, d’herbes sèches et de montagnes de feuilles mouillées, un ruisseau coule à 10m en contrebas. Suivant la procédure, Sean Dexter referme la porte et attend les renforts.
Les sirènes continuent à hurler pendant que les agents sécurisent le périmètre. Sean et Greg se chargent de fouiller la partie haute et laissent le ruisseau à la brigade canine. Après 15 minutes, un policier remarque quelque chose dans les feuilles: un vélo orange. Puis un berger allemand les conduit à une paire de chaussures de vélo planquées sous un mur de soutènement en ciment du pont.
Il fait de plus en plus sombre et les recherches sont suspendues. La police a récupéré un indice important: le vélo.
Tom est allongé face contre terre dans une canalisation humide et froide. Quelques heures plus tôt, son Steelman orange a culbuté dans les buissons et Tom a été projeté avec violence sur la pente glissante, puis dans les feuilles. Il a remonté avec peine le ruisseau à contre-courant sur une quinzaine de mètres et s’est planqué sous un pont où il a repéré un trou d’environ 70cm près du cours d’eau. Tom s’y est glissé en rampant et a gagné l’extrémité étroite de la canalisation après trois mètres.
Il halète dans le noir et entend les sirènes, les voix faibles et le tintement des médaillons d’un chien. C’est fini, se dit-il, mais, miracle, les policiers interrompent leurs recherches.
Il fait nuit quand Tom émerge. Il récupère sa Mercedes-Benz 1983 garée à trois kilomètres et rentre chez lui à Oakland.
«Ça va? demande Marty, le colocataire de Tom à cette époque.
— Ça va, je connais des jours difficiles», répond Tom.
Marty, un chanteur d’opéra de 1,95m ne cherchait pas un nouvel ami, mais en avait trouvé un en Tom. Marty savait que Tom consommait de la cocaïne, mais ignorait tout de ses autres vices.
«Qu’est-ce qui se passe? demande Marty.
— Je ne peux pas en parler.
— Tom, tu sais bien que tu peux tout me dire.»
À contrecœur, Tom finit par raconter à Marty.
«Que vas-tu faire? demande celui-ci.
— Je vais acheter un billet et rentrer chez moi.» Tom veut voir ses parents avant que la police ne le retrouve.
Tom passe aux aveux
L’agent Dexter ne connaît rien aux vélos, mais se doute bien que le 12 vitesses orange n’est pas comme les autres. Il se rend à pied du commissariat au magasin de vélos le plus proche.
Derrière le comptoir, un employé explique que ce genre de cadre est fabriqué sur commande par un certain Brent Steelman. Sean appelle la compagnie et parvient à parler à la femme de Steelman, qui gère la comptabilité. Le numéro de série correspond à un vélo orange fabriqué en 1996 et qui a été vendu à la boutique Higher Gear, à Chicago.
Sean appelle Higher Gear et son interlocuteur l’informe qu’ils ne conservent pas des registres aussi anciens. Par ailleurs, le vélo orange a pu changer de propriétaire plusieurs fois. L’agent fait parvenir un cliché du vélo à la femme de Steelman avec une photo du suspect prise par une caméra de surveillance. Elle mettra une annonce sur le site internet de Steelman avec le numéro de la police de Walnut Creek.
Un mois plus tard, le gérant d’une boutique de vélos à Chicago appelle la police de Walnut Creek. Il a vu l’annonce sur le site de Steelman. C’est lui qui a assemblé le vélo orange en 1996. Il connaît son premier propriétaire et celui qui le lui a acheté d’occasion.
Tom et son père sont assis dans la cuisine. Il y a moins d’une semaine qu’il a tout raconté à Marty.
«Ça va, le boulot? demande Jay à son fils. Tu as des projets d’avenir?» Il pense que Tom est coursier à vélo.
«Je compte m’inscrire à un nouveau programme de troisième cycle», répond Tom.
Jay hoche la tête. Ce n’est pas la première fois.
Tom s’avance vers la porte. «Je vous vois tout à l’heure», lance-t-il avant de monter dans sa voiture.
Tom n’est pas inquiet quand il aperçoit la voiture de police dans son rétroviseur. Puis il y en a trois autres, gyrophares allumés. Tom se range. Quand il se penche pour prendre ses papiers dans la boîte à gants, une voix crache dans un mégaphone: «Ne bougez pas! Montrez vos mains!» Lentement, Tom tourne la tête. Cinq policiers pointent leur arme sur lui.
Les menottes se referment sur ses poignets et Tom a envie de pleurer, pas de désespoir ou de peur, mais il éprouve quelque chose de tout à fait inattendu: un soulagement. Après quatre années, l’aventure autodestructrice qui lui a fait traverser le pays arrive enfin à son terme.
Dans la salle d’interrogatoire, l’agent du FBI glisse une photo sur la table. On voit Tom saisi par la caméra de surveillance. Le vélo Steelman orange les a conduits à lui.
S’il s’était contenté d’un vélo standard, Tom n’aurait peut-être jamais été retrouvé.
Il passe aux aveux. Il a braqué 26 banques et volé 129 338$. Il plaide coupable et est condamné à 11 années de détention.
Après sa libération, Tom reprend l’entraînement au vélodrome de sa région. Il a trouvé un boulot chez un marchand de beignets. Ses clients ne savent pas que l’homme d’âge moyen qui leur remet des beignets nappés de chocolat est l’un des plus étonnants braqueurs de l’histoire.
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De Chicago (29 Janvier 2019) en partenariat avec Epic Magazine. ©2019, Vox Media, LLC.