Le Petit Prince a-t-il des origines québécoises?
Plusieurs ignorent que le Petit Prince, ce charmant héros blondinet d’Antoine de Saint-Exupéry, posséderait des origines… québécoises. Après plus de 50 ans d’enseignement et de recherche, Thomas De Koninck (le Petit Prince présumé) a pris sa retraite, mais n’est jamais en retrait des débats philosophiques.
Depuis sa parution en 1943, le succès du Petit Prince, d’Antoine de Saint-Exupéry, ne se dément pas: ouvrage français le plus vendu dans le monde, ce conte est aussi le livre le plus traduit (300 langues) après la Bible et le Coran. Or, plusieurs ignorent que le charmant héros blondinet posséderait des origines… québécoises. De passage à Québec en 1942, celui qui était déjà un célèbre écrivain (Vol de nuit, Terre des hommes, etc.) et un fier aviateur a rendu visite à la famille de Thomas De Koninck, alors âgé de 8 ans, et qui posait, déjà!, beaucoup de questions. La légende veut que Saint-Exupéry ait songé à Thomas au moment d’esquisser le portrait de son mythique personnage en quête de sens.
Quatre-vingts ans plus tard, l’anecdote fait encore sourire ce professeur de philosophie de l’Université Laval maintenant à la retraite, et elle n’a pas échappé à l’auteure et conférencière Christine Michaud. Ensemble, ils ont construit un livre à deux voix, Le Petit Prince est toujours vivant: faites de votre vie un émerveillement quotidien (Édito, 2020), habile mélange de psychologie et de philosophie pour bâtir une existence riche, et inspirante.
Auriez-vous eu le même rapport avec l’œuvre de Saint-Exupéry, et surtout son Petit Prince, si vous n’aviez pas connu l’écrivain lorsque vous étiez enfant?
Je crois que j’aurais tout autant aimé Le Petit Prince parce que c’est un conte philosophique qui rejoint ma sensibilité. Et j’ai de Saint-Exupéry un souvenir très chaleureux. Il est venu nous visiter en mai 1942 et son avion a disparu le 31 juillet 1944. Ça nous a tous fait beaucoup de peine. Car il nous impressionnait: un aviateur représentait quelque chose de très nouveau à l’époque. À nos yeux, il était un héros.
Et ce qui vous touche encore aujourd’hui, c’est sa pensée humaniste?
Ce qui était très fort chez lui, et qui demeure plus actuel que jamais, c’est l’importance de la fraternité. Dans Lettre à un otage, alors en reportage pendant la guerre civile en Espagne, il raconte avoir été fait prisonnier par des miliciens anarchistes. Un de ses geôliers lui a tendu une cigarette en esquissant un vague sourire. Pour Saint-Exupéry, cela a révélé une dimension profonde de notre être: par-delà les langages, les castes et les partis, par-delà toutes les différences, on retrouve une solidarité humaine fondamentale.
La présente pandémie a souvent mis à mal cette solidarité. Pourrait-on qualifier votre livre Le Petit Prince est toujours vivant de guide au lendemain de ce tragique événement planétaire?
On pourrait dire ça, mais malheureusement, nous ne sommes pas encore tout à fait dans l’après! On ne pouvait prévoir l’arrivée du coronavirus au moment de l’écriture, mais le livre me semble encore plus pertinent. Il est en somme un appel à vivre poétiquement, et non pas de façon purement utilitaire. Par exemple, les êtres faibles, les invalides et les malades de toutes sortes ont eux aussi le droit de vivre, même si la société juge qu’ils ne sont pas utiles: ils sont les témoins de notre propre faiblesse, un rappel de notre propre fragilité.
Ils devraient aussi nous inciter à apprécier ce que nous avons déjà, à être heureux. Pourquoi avons-nous tant de mal à y parvenir?
Comme l’explique le sociologue Edgar Morin, nous sommes drogués par l’immédiat. Dans nos sociétés, avant la pandémie, et même encore aujourd’hui, nous sommes emportés dans la spirale de la consommation, dont celle des écrans. À cause de cela, nous vivons moins, et par procuration. Une phrase du poète Paul Chamberland me revient souvent en mémoire: «Des milliers d’écrans disent le refus de Dieu.» La vision d’un bonheur purement hédoniste, avec ses plaisirs comme l’argent et le pouvoir, ne rend pas heureux du tout. De ce point de vue, la pandémie, à condition d’être bien vécue, pourrait être salutaire, nous obligeant à aller à l’essentiel. Car le véritable bonheur, c’est d’être éveillé à la beauté du monde, à la question du sens; on pourrait même dire qu’il s’agit d’une définition de la philosophie.
Et quelle est sa pertinence dans le monde aujourd’hui?
Tout le monde, dans tous les domaines, doit prendre des décisions, et c’est là que la philosophie peut nous éclairer, donner une vision d’ensemble. Lorsque nous sommes enfermés dans notre spécialisation, nous ne sommes pas du tout préparés pour les grandes questions, dont celles d’ordre éthique. Regardez l’écologie: le mouvement a pris un grand essor, il y a une prise de conscience des dangers de la destruction de la nature alors que la Terre se venge, avec toutes ces catastrophes actuelles qui dépassent tout ce que l’on a connu. Beaucoup de gens prennent conscience que nous allons tous mourir. Remettre le fait de la mort assez crûment sous les yeux peut provoquer un éveil.
Dans votre livre, vous posez toutes sortes de questions, dont celle-ci: «Que laisserez-vous après votre passage sur Terre?» Et si on vous la posait?
Idéalement, j’espère avoir contribué à… poser beaucoup de questions! Et en avoir semé autant dans l’esprit des jeunes. Au fond, c’est ça la vie: vivre pleinement, s’interroger, s’émerveiller devant les splendeurs du cosmos, celles du mystère. C’est d’ailleurs le point de départ de toutes les sciences: s’émerveiller, puis chercher à comprendre. Deux de mes fils sont neuroscientifiques – ils ont mal tourné! – (rires), et me disent à quel point on découvre des choses fabuleuses du côté du cerveau, mais que ce n’est jamais terminé.
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