Le couple Simpson et leur 30 enfants du monde entier

Le couple Simpson a adopté des dizaines d’enfants du monde entier… qui portent tous fièrement leur nom de famille.

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Adoption: ils élèvent une famille de 30 enfants à Montréal.
Avec la permission de la famille Simpson
Sandra, Lloyd et 17 des enfants Simpson dans les années 1970.

La grande maison de Toronto

Le 45, Russell Hill Road, à Toronto, est dissimulé derrière un muret de pierres et un taillis de bouleaux. Dans les années 1970 et 1980, des dizaines d’enfants de l’âge préscolaire à l’adolescence y ont vécu. Sandra Simpson, une grande blonde de l’Ouest-de-l’Île de Montréal, régnait sur ce petit univers. Pendant des décennies, elle et son mari Lloyd ont adopté des enfants du monde entier.

Son énergie inépuisable et sa ténacité à toute épreuve lui ont permis d’ouvrir de nouvelles voies à l’adoption internationale.

Avec leur nombre qui n’a fait qu’augmenter au gré des circonstances, les Simpson ont repoussé les limites de l’idée de la famille. Tel un astéroïde, ils sont arrivés en 1978 à Forest Hill, un quartier huppé qui n’avait jamais vu autant de personnes de couleurs différentes et en nombre tel qu’elles étaient à la fois dans les deux équipes lors des matchs de baseball. Et tous vivaient sous le même toit! À eux seuls, ils incarnaient un courant du libéralisme canadien du milieu du XXe siècle en vertu duquel la difficulté et l’inconvénient d’appartenir à une autre race disparaîtraient avec l’émergence d’une nouvelle identité collective.

Les enfants Simpson vous diront aujourd’hui qu’ils formaient une famille comme les autres. Pendant les 20 années qu’a duré cette aventure dans la grande maison de Russell Hill Road, ils ont joué au soccer, se sont bagarrés, ont traîné avec d’autres et ont livré les journaux. Ils ont connu la joie et le drame – les ennuis avec la justice, la maladie et le handicap.

Aujourd’hui, 40 ans plus tard, les enfants Simpson sont cuisiniers, entrepreneurs, athlètes, employés dans l’hôtellerie ou la restauration et parents de leurs propres enfants. Ils ont eu largement le temps de réfléchir à la singularité de leur enfance, à l’originalité de la vision de leur mère et à cette époque particulière qui a permis l’épanouissement d’une telle famille. Russell Hill Road n’est pas seulement l’histoire d’une femme extraordinaire, mais aussi une expérience radicale en matière d’éducation. Sandra Simpson n’a pas détourné le regard devant la souffrance du monde. Elle l’a plutôt invitée chez elle et en a fait une famille.

La première fois que j’ai écrit à Sandra Simpson, elle m’a demandé sans détour de la laisser tranquille. «Il y a des années que j’ai débranché ma messagerie vocale et je n’ai pas accordé d’interview depuis», a-t-elle répondu dans son courriel.

À 84 ans, Sandra vit maintenant dans une maison biscornue de Pointe-Claire, une banlieue anglophone de Montréal. C’est par son côté tranchant que son entourage la définit. Cette femme vive d’esprit au formidable sens de l’humour ne se privera jamais de vous faire savoir ce qu’elle pense. Pendant des mois, au cours d’échanges réticents de textos et de courriels, Sandra a fini par révéler quelques bribes de son existence… sans jamais admettre qu’adopter près de 30 enfants était plutôt inhabituel.

«Vous avez toujours voulu une grande famille? ai-je demandé.
— Il ne s’agissait pas de vouloir, m’a-t-elle répondu par écrit. Il y avait juste tellement d’enfants.»

Retrouvez le témoignage touchant de ces familles qui ont pu être réunies grâce à la science.

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Des adoptions controversées dans les années 30.
Aun25/Shutterstock.com

Des adoptions controversées

Sandra est née en 1937 à Bar­ranquilla, en Colombie, où son père installait des lignes téléphoniques. Quelques années plus tard, ses parents sont revenus dans leur ville natale de Pointe-Claire pour y élever cinq enfants dans un confort très ordinaire.

Après ses études secondaires, Sandra épouse un militaire et le couple a une fille, Kimberley, avant de divorcer. En 1967, elle se remarie avec Lloyd Simpson, un expert en évaluation immobilière.

C’est un homme de nature agréable et ouvert. L’adoption a toujours intéressé Sandra, et Lloyd se révèle un partenaire consentant. Peu de temps après le mariage, le couple adopte quatre enfants passés par des familles d’accueil. Au milieu de cette vague d’adoptions, Sandra donne naissance à une fille, Melanie.

La guerre du Vietnam entre dans sa deuxième décennie et les journaux multiplient les reportages déchirants sur les orphelins abandonnés. Les lois sur l’immigration rendent pourtant l’adoption d’enfants de l’étranger pratiquement impossible. Pour Sandra, c’est inadmissible. N’obtenant pas de réponse des responsables à qui elle demande comment adopter un enfant vietnamien, elle entre en relation avec une infirmière australienne installée au Vietnam qui a harcelé la bureaucratie pendant des années pour être autorisée à envoyer des orphelins à l’étranger. Grâce à elle, Sandra peut enfin adopter une fille et, en 1969, la veille de Noël, la petite Mai, âgée d’à peine huit mois, arrive à Montréal. Elle est une des premières orphelines vietnamiennes à être autorisées à entrer au Canada.

Pour réussir cette adoption, Sandra a fait preuve d’une détermination qui devient sa marque de commerce: ne jamais accepter un refus, harceler les hauts responsables, invoquer son autorité de mère. Face aux autorités qui traînent les pieds alors que la vie d’enfants est en jeu, elle fait preuve de hardiesse et n’hésite pas à se montrer intrusive. Avec deux autres mères de Montréal, elle fonde une organisation, Families For Children (FFC), pour aider de futurs parents à naviguer dans les méandres des bureaucraties étrangères. Quand la guerre éclate au Bangladesh, Sandra part pour Dacca organiser l’adoption d’enfants orphelins.

L’adoption internationale est alors controversée. Les lecteurs du Toronto Star sont scandalisés en lisant un article sur le travail de Sandra. «Je ne comprends pas ce qui se passe dans la tête des gens qui adoptent des enfants étrangers», peut-on lire dans une tribune libre parue en 1979.

Les dirigeantes de FFC sont accusées d’être des sauveurs blancs. En livrant d’adorables poupons à des parents occidentaux enthousiastes, l’adoption d’enfants de cultures éloignées ressemble à une nouvelle forme de colonialisme, jugent leurs détracteurs. Pour Sandra aussi, il serait certes préférable d’élever les orphelins dans leur pays d’origine, mais ce n’est pas toujours possible, surtout dans le cas d’enfants plus âgés, métissés ou handicapés.

Après l’adoption de Mai, d’autres enfants s’ajoutent à la famille. Kesooni arrive de Corée du Sud en mars 1971 lors de ce qu’on a appelé la «tempête du siècle» à Montréal. Roberto a quatre ans quand Sandra visite son orphelinat à Quito, en Équateur, au début des années 1970. Selon la légende familiale, elle veut adopter un enfant de cet orphelinat, mais s’interdit de choisir. Elle griffonne donc «Simpson» sur un bout de papier, avant de se retourner pour le lancer au-dessus de sa tête à la foule d’enfants qui attendent. C’est Roberto qui le ramasse.

Lisez ce témoignage touchant sur une petite fille en Chine à l’époque de la politique de l’enfant unique.

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Adoption: la famille Simpson, une famille gigantesque.
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Une famille gigantesque

De leur côté, Lloyd et Sandra ont deux autres enfants, Nicholas et Kathryn. On commence à être à l’étroit dans la maison, mais le dilemme moral reste le même: il y a des enfants qui ont besoin d’un foyer. Une bouche de plus à nourrir ne les mettra pas sur la paille; Sandra préparera plus de pâtes, trouvera bien de la place pour un petit dans la maison, ira chercher d’autres vêtements à la friperie. Pour l’enfant, c’est parfois une question de vie ou de mort. La famille continue donc de s’agrandir.

Sandra fonde sa vie et son travail sur la conviction qu’un foyer canadien et des parents aimants peuvent transformer la vie d’un enfant. Cette foi se heurte pourtant constamment à des limites. Elle voudrait organiser des adoptions pour les enfants plus fragiles ou handicapés, mais les couples canadiens sont rarement disposés à les accueillir. Inflexible, elle estime que les adoptions par FFC ne doivent pas être choisies, mais les familles candidates refusent souvent d’accueillir des orphelins vietnamiens métissés (dont le père est un soldat noir américain). Encore plus douloureux, beaucoup de ces adoptions se soldent par un échec.

Une famille de l’Ontario adopte par exemple avec FFC la petite Kate, du Bangladesh, une orpheline de cinq ans atteinte de déficience intellectuelle. Trois mois après l’adoption, sa mère décide d’aller vivre au Royaume-Uni, et ne sachant pas à quoi s’attendre en termes de services pour sa fille, elle demande à Sandra si elle peut rendre l’enfant. Les Simpson adoptent donc Kate. Ce sont des situations traumatisantes pour les enfants, et Sandra, souvent à l’origine de ces adoptions, se sent tenue de faire sa part. Elle aime tous les enfants qui franchissent le seuil de la maison et ne supporte pas l’idée de les mettre dans un avion pour les renvoyer à l’orphelinat.

À la maison, il y a des enfants partout, à quatre pattes ou dans les bras des plus grands quand il faut monter l’escalier. L’enfant nouvellement adopté, qui a souvent vécu d’effroyables expériences – maladie, adoption ratée, années dans la rue –, se retrouve brusquement au Canada au milieu d’étrangers qu’on lui dit être ses frères et sœurs. Un jour, un enfant refuse de dormir dans son petit lit.

Melanie lui cède alors le sien et dort dans le fortin qu’elle s’est aménagé dans la penderie. Comme Kate hurle quand elle se trouve dans un espace clos, on déplace son lit dans le couloir.

La taille gigantesque de la famille semble un rempart contre les pires tragédies; elle se croit assez grande et assez forte pour tout affronter. Un couple stérile en quête du bébé qui le comblerait risque d’être dépassé par un enfant handicapé ou traumatisé. Mais le clan Simpson peut intégrer tout le monde.

Au milieu des années 1970, plus de 20 enfants Simpson vivent à l’étroit dans la maison de Pointe-Claire. Sandra comprend que ça ne peut pas durer.

C’est alors qu’intervient la famille Gundy. Charles Gundy et sa femme Antoinette appartiennent à la classe aisée de Toronto. Grâce à FFC, les Gundy ont pu adopter cinq enfants au Vietnam et au Bangladesh. Ils ont rencontré Sandra et son histoire les a touchés. En 1978, une des propriétés des Gundy – un manoir en briques de 22 pièces situé au 45, Russell Hill Road – est vide. Quand Charles a vent des difficultés des Simpson, il leur fait cette proposition extraordinaire: venez à Toronto, installez-vous dans la grande maison et restez aussi longtemps qu’il vous plaira. Sandra n’a pas d’attirance particulière pour cette ville, mais elle est pragmatique. La famille s’y installe l’automne suivant.

Apprenez comment passer du temps de qualité en famille.

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Adoption: la famille Simpson n'était pas vue d'un bon œil.
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Pas toujours les bienvenus…

Les habitants du quartier ne voient pas l’arrivée des Simpson d’un bon œil. «Les voisins nous détestaient», se souvient Kesooni. L’école publique n’a jamais accueilli qu’une poignée d’élèves de couleur, et voilà que des classes entières grouillent d’enfants Simpson venant de tous les continents. Des voisins se plaignent à un conseiller municipal, accusant les Simpson de diriger un foyer illégal. Melanie se rappelle un sac rempli de crottes de chien laissé en feu sur le perron. «C’étaient d’affreux racistes», dit Sandra.

Avec le temps, FFC réduit son volet adoption et commence à soutenir les enfants à l’étranger en ouvrant des orphelinats en Inde, au Bangladesh, en Somalie et au Salvador. (L’organisation continue de diriger des foyers pour enfants en Inde et au Bangladesh.)

Comme l’essentiel de son travail avec FFC concerne l’Asie, Sandra se lève généralement vers 3h30. Les fax en provenance des orphelinats défilent déjà depuis des heures et, jusqu’au lever du soleil, elle tape les réponses à l’aide de sa machine à écrire électrique. Les enfants se lèvent plus tard. Les uns sont assignés à l’équipe du déjeuner, d’autres ont la responsabilité du repas du midi.

Arrivée dans la cuisine, l’équipe du matin se met aux fourneaux – des crêpes préparées sur l’énorme plaque chauffante et servies avec du «sirop d’érable» (du sucre brun mélangé à de l’eau bouillante), ou des œufs brouillés sur toasts.

Après l’école, il est interdit de sortir du quartier – la logistique est tout simplement impossible –, mais copains et copines sont toujours les bienvenus chez les Simpson et ils ne s’en privent pas.

L’équipe du midi finit par se retrouver à la cuisine et prépare des tonnes de spaghettis ou des montagnes de hot dogs. La famille s’installe autour d’une énorme table à pique-nique dans la pièce du fond et ceux qui n’ont pas trouvé de place se rangent dans l’escalier.

Au milieu du chahut général, Lloyd ne perd jamais son calme. Quand Sandra s’absente, accaparée par un de ses combats – implanter un orphelinat en Somalie ou tancer des politiciens à Ottawa –, il reste à la maison avec les enfants. Tous les après-midis, avec une régularité de métronome, il rentre chez lui à pied depuis l’arrêt du bus, croisant un ou deux de ses enfants qui apprécient les quelques minutes de tranquillité avec leur père. Le soir, il boit une Labatt 50 et regarde le match des Leafs ou le téléjournal avec Lloyd Robertson.

Entre leurs propres enfants et ceux adoptés, il n’y a pas de traitement de faveur – chez les Simpson, tout le monde est logé à la même enseigne. Les plus âgés ont leur chambre, les autres dorment à plusieurs dans de grandes pièces, parfois à sept. Les vêtements passent indifféremment de l’un à l’autre. «La règle était simple: si ça te va, tu le portes», se souvient Melanie.

Il faut user d’imagination pour nourrir plus de deux douzaines de bouches avec le seul salaire de Lloyd. Sandra pétrit son pain et en enfourne parfois neuf dans la soirée; elle coud aussi beaucoup de vêtements. Chaque semaine, elle dactylographie des listes d’épicerie détaillées – lait en poudre, d’énormes sacs de riz soufflé plutôt que des céréales de marque.

Les dépenses importantes sont réservées aux vacances. L’été, Sandra et Lloyd ramènent les enfants dans leur Montréal bien-aimé. Avec sa piscine et le lac tout près, la maison de Pointe-Claire reste chère au cœur de Sandra. Elle retire les enfants de l’école en mai, sourde aux objections des professeurs, et les ramène à contrecœur début septembre, après la fête du Travail.

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Adoption: retour à Pointe-Claire pour la famille Simpson.
Avec la permission de Sash Simpson
Sash Simpson avec Sandra, dans un orphelinat de Podanur, en 1977.

Retour à Pointe-Claire

Les années passent, les enfants devenus grands volent de leurs pro­pres ailes et d’autres, plus jeunes, les remplacent. Sash, par exemple, a été confié à l’orphelinat FFC de Podanur, en Inde, à l’âge de quatre ans. À huit ans, ses chances d’être adopté s’amenuisent. La maison des Simpson est plus que pleine, mais Sandra n’imagine pas pouvoir le laisser là-bas.

Il arrive à l’aéroport Pearson en décembre 1978, au milieu d’une violente tempête de neige, juste avant Noël – un événement toujours important chez les Simpson avec au moins trois cadeaux pour chaque enfant. «Je ne sais pas comment faisait ma mère, s’interroge Melanie. Sans doute économisait-elle toute l’année.»

Cette année-là, Sash vit son premier Noël quelques jours après avoir quitté l’Inde. «J’étais au septième ciel que la dame propriétaire de l’orphelinat m’adopte», dit-il. Il se souvient avoir déballé avec émerveillement son cadeau, un avion miniature, et être resté fasciné par ses lumières clignotantes. N’en croyant pas ses yeux, il l’a ensuite soigneusement rangé dans sa boîte.

À l’adolescence, les jeunes font ce que ne devraient pas faire les adolescents: ils boivent, tâtent de la drogue et ont quelques démêlés avec la justice. Ils se rebiffent contre les règles strictes de Sandra. Si elle sent l’odeur du tabac sur un enfant, celui-ci doit se déshabiller et laver ses vêtements. Ceux qui rentrent trop tard le soir trouvent la porte fermée – pour entrer, il faut passer par Sandra et donc la réveiller. Mais ces jeunes grandissent aussi, ils étudient, trouvent du travail et se marient. Certains s’éloignent du clan. D’autres reviennent avec leur propre famille à Russell Hill Road à Noël, et le chaos et le bruit retrouvent plus que jamais leur place dans la maison.

Sandra reste le centre de cet univers. Mais au milieu des années 1990, sa voix commence à faiblir. Elle se résout après quelques mois à consulter. Le médecin lui annonce sans ménagement qu’elle a un cancer de la gorge. En 1998, avec l’ablation du larynx, la voix de Sandra n’est plus qu’un souffle.

Cette année-là, la famille revient à Pointe-Claire comme tous les étés. Mais quand les enfants rentrent à Toronto, Sandra et Lloyd ne les accompagnent pas. Sans s’être vraiment concertés, ils n’ont pas adopté de nouveaux enfants depuis quelques années. Ils ne se sont jamais adaptés à Toronto. Le bruit, l’agitation permanente qu’ils ont supportée pour les enfants ne les a jamais enchantés.

Plusieurs des enfants dont ils s’occupent toujours, la plupart dans la jeune vingtaine, regagnent Toronto. Ils ne sont plus que huit et la maison paraît trop grande. À la mort d’Antoinette Gundy quelques années plus tard, sa famille décide de se défaire de la propriété. La veille de sa mise en vente, une poignée de Simpson s’y rend une dernière fois. Toujours aussi exigeante, Sandra supervise les opérations au téléphone: toutes les pièces doivent être impeccables. Pendant une journée et une partie de la nuit, les enfants Simpson nettoient donc l’intérieur du sol au plafond. Les meubles s’alignent sur le trottoir jusque chez les voisins. Les enfants remplissent un tas de sacs à ordures de vêtements de toutes les époques, de bulletins et projets scolaires, de brosses à cheveux et autres aimants de réfrigérateur.

À 3h du matin, tout le monde est épuisé. Il reste le matelas de Kathryn à sortir, attendu dans un appartement du centre-ville. Au moment de le hisser sur le toit de la voiture, la pluie se met à tomber. Kathryn fond en larmes. Le matelas est aussitôt descendu et ramené à l’intérieur. Elle passe une dernière nuit dessus, posé à même le sol dans la maison de Russell Hill Road.

Il n’est pas toujours facile de trouver sa place dans la famille, surtout aussi grande!

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Adoption: Simpson un jour, Simpson toujours…
Avec la permission de la famille Simpson
La famille Simpson n’a pas cessé de s’agrandir. Dans les années 1990, ils vivaient tous ensemble dans une grande maison à Toronto.

Simpson un jour, Simpson toujours…

En mai 2020, au début du troisième mois de la pandémie, j’envoie un message à Sandra, lui demandant comment elle va. «Bien!» me répond-elle, toujours aussi laconique.

Elle vit alors seule dans sa maison de Pointe-Claire. Depuis que Lloyd a succombé à un cancer du poumon en 2017, elle se déplace rarement à Toronto. À 84 ans, Sandra est toujours à la tête de FFC et se réveille bien avant l’aube pour correspondre avec les orphelinats en Inde et au Bangladesh. Elle boit son chocolat chaud. Elle décongèle les repas que ses enfants lui apportent à chaque visite. Elle ne s’aventure pas à l’extérieur. Après avoir été pendant des décennies au cœur d’un tourbillon d’enfants, elle vit désormais complètement seule.

Les enfants Simpson ont aujourd’hui la trentaine et la quarantaine, certains presque la cinquantaine. Leurs vies sont aussi différentes que leurs lieux de naissance. Sash a gravi les échelons dans la restauration et est chef cuisinier depuis 24 ans dans un restaurant du centre-ville de Toronto. L’hiver qui a précédé la pandémie, je l’ai revu dans la salle somptueuse de son nouveau restaurant éponyme où l’on peut commander de la Labatt 50 – un hommage à son père. Melanie et Kesoonie ont ouvert un restaurant et, entre 1994 et 2009, plusieurs frères et sœurs du clan Simpson sont venus prêter main-forte au Mel’s Montreal Delicatessen, situé dans le centre-ville de Toronto.

J’en ai rencontré quelques-uns en mai 2020, dans l’arrière-cour de Melanie. Il faisait chaud ce jour-là et nous sommes restés à distance dans le respect des mesures sanitaires. Ils riaient, parlaient fort et se contredisaient, les phrases se chevauchaient.

Pour plusieurs, l’idée qu’avoir 30 frères et sœurs adoptés puisse être considéré comme une situation familiale inhabituelle méritant qu’on s’y attarde était absurde. «C’est une question idiote», a déclaré Kate sans ménagement. Leur famille avait été une grande expérience d’altruisme, soit, mais c’était la seule qu’ils connaissaient. Certains des enfants s’étaient épanouis, d’autres avaient eu du mal, mais il leur était impossible d’imaginer la vie autrement. Une famille aussi grande génère sa propre gravité. Ils n’étaient pas en quête d’une identité. Ils savaient exactement qui ils étaient. Des Simpson.

©2020, Nicholas Hune-Brown. Tiré de «The Simpsons», Toronto Life (27 juillet 2020), torontolife.com

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