En ce mardi soir de juillet, l’ambiance est familiale à La Remise. Par terre, des enfants jouent aux petites voitures pendant que leurs mères discutent des emprunts qu’elles feront cette semaine. Elles repartiront finalement avec une scie circulaire et une ponceuse à courroie.
Il faut dire que La Remise n’est pas une « bibliothèque » comme les autres. Ce ne sont pas des livres qui garnissent ses étagères, mais des outils. De toutes sortes. On peut emprunter des perceuses, des escabeaux, des fers à souder, des compresseurs… mais aussi une tondeuse, un sac de couchage ou un ensemble à fondue.
« À notre première réunion, en mai 2013, nous étions 10 autour de la table pour démarrer ce projet. L’idée venait de Villeray en transition, un groupe citoyen [NDLR du quartier Villeray, à Montréal] qui veut réduire la dépendance aux hydrocarbures et limiter la consommation », raconte Alexandre Couture-Lalande, président et cofondateur de La Remise. « Nous habitions tous dans de petits appartements, sans espace pour entreposer des outils. Et nous partagions les mêmes valeurs. À nos yeux, cela ne faisait aucun sens d’acheter un outil pour l’utiliser une ou deux fois avant de le ranger dans un placard, pas plus que tous les habitants de la même rue aient une scie et une tondeuse chacun. Sans compter le gaspillage que ces achats engendrent et leur impact sur l’environnement. »
Motivés par leur conscience environnementale et leurs valeurs communautaires (« La Remise, c’est la communauté qui se prend en main pour améliorer sa qualité de vie », dit Alexandre Couture-Lalande), six à sept jeunes bénévoles ont travaillé soirs et fins de semaine pour mettre sur pied la première « outilthèque » du genre au Québec. Plan d’affaires, demandes de bourses, immatriculation du nom, campagne de sociofinancement, construction du site web (laremise.ca), recrutement de bénévoles, aménagement du local… Cela prendra deux ans pour mettre en route le magasin d’emprunt.
Parce que c’est un projet « fait par la communauté pour la communauté », La Remise est une coopérative de solidarité à but non lucratif. Chaque membre a un vote, peut se présenter au conseil d’administration et voter aux élections de ce conseil. Quant aux profits, ils sont réinvestis dans les services puisque le but est, à la différence des entreprises de location, de proposer une large gamme d’objets d’usage commun à moindre prix. Il faut ainsi débourser 10 $ pour être membre et 60 $ pour l’abonnement annuel illimité (jusqu’à 12 outils à la fois pour une durée d’une semaine).
Outre les instruments, La Remise offre aussi un espace de travail pour que les gens puissent réaliser leurs travaux et des ateliers sur différents thèmes, comme la menuiserie, l’entretien de vélo, la couture ou la réparation des petits appareils. « Notre première formation, « Déménagement 101 », a eu lieu en juin. Ce soir, nous offrons un atelier pour apprendre à fabriquer une chaise Adirondack, indique Nadine Pineault, bénévole et membre des comités finances et programmation de La Remise. « C’est fou ! Les six places pour cette activité se sont envolées en deux heures !
Parlant de succès, l‘outilthèque a effectivement suscité un bel engouement dès ses débuts. La campagne de sociofinancement a permis d’amasser 25 000 $ en un mois et près de 90 % des centaines d’outils proviennent de dons. L’objectif de 300 membres en un an a été atteint au bout d’un mois. « On est très heureux de la variété de gens qui viennent nous voir. Il y a des personnes âgées, des étudiants, des habitants d’autres quartiers qui voudraient avoir une bibliothèque comme celle-là », fait observer Nadine Pineault.
Cet enthousiasme se reflète aussi par le nombre de bénévoles : ils sont de 35 à 40 à travailler au bon fonctionnement de la bibliothèque et 35 autres se sont inscrits pour offrir leurs services. Parmi les bénévoles, Sandra Guerreiro Jacinto, une étudiante fraîchement arrivée au Québec. « J’avais contacté La Remise juste avant qu’ils n’ouvrent pour devenir bénévole et bénéficier des outils, car j’adore le bricolage mais je n’ai aucun outil chez moi. De toute façon, je n’achèterais jamais des objets comme la scie électrique – je ne l’utilise que de temps en temps, dit-elle. Je trouve que cette bibliothèque est une excellente idée que j’aimerais d’ailleurs beaucoup rapporter à Lisbonne ! »