Condamné à quelque 50 ans pour une série de vols à main armée accompagnés de prise d’otages et de séquestrations, Léo Simard a découvert son talent pour la peinture derrière les barreaux.
«Je barbouillais un peu, dit l’ancien bagnard de 63 ans.
Un jour, un codétenu a montré une de mes toiles au professeur de dessin.
À l’époque, il y avait encore des programmes de réinsertion sociale dans les prisons.
Les cours avaient lieu dans une pièce surveillée par un gardien installé dans une cage pour prévenir les bagarres et les évasions. C’est ainsi que j’ai obtenu mon DEC (diplôme d’études collégiales) en arts plastiques. »
À mesure que son habileté progresse, il devient populaire auprès de ses voisins de cellule. Les motards criminels en particulier apprécient son coup de pinceau. « Les gars me faisaient des commandes. J’ai fait des portraits de leurs blondes et leurs Harley-Davidson, mais aussi des scènes de combats de boxe à partir de photos ou de dessins parus dans les journaux. Mes clients aimaient ça et ils me payaient bien. Il y avait des listes d’attente pour mes tableaux. »
Quand la tête du bonhomme ne lui revient pas – par exemple si les crimes qu’il a commis sont particulièrement odieux -, le peintre refuse de sortir ses instruments. Par contre, lorsqu’un type l’entretient de Picasso, un peintre qu’il a longtemps trouvé « stupide », il accepte de réviser son jugement pour finalement reproduire trait pour trait une toile de l’inventeur du cubisme à partir d’une illustration. Il aime tout particulièrement les tableaux de la Renaissance, avec une préférence pour les clairs-obscurs du Caravage, peintre italien du 16e siècle qui menait comme lui une double carrière de brigand et d’artiste. Peu habitués de voir leurs pensionnaires jouer avec une palette et des couleurs, les gardiens en restent bouche bée… « Coudons Léo, avec ton talent, quesse tu fais icitte ? »
De 1970 à 2008, Léo Simard s’est évadé trois fois des différents pénitenciers où il avait été assigné. Mais à chaque fois, il se fera reprendre. En tout, il restera 32 ans à l’ombre. Au cours de ses cavales, il braquait des banques pour se renflouer. Lors de sa deuxième évasion, en 1983, il est parvenu à échapper à la justice pendant un an et demi. La présentatrice du téléjournal de Radio-Canada, Michèle Viroly, spécifie alors que le fugitif est « considéré comme dangereux ».
Entre deux séjours au bagne, il lui arrivait de s’arrêter dans une église, simplement pour examiner des tableaux accrochés dans la nef. « Ça fait drôle de repenser à ça, dit-il. Le gars armé, avec des fusils dans le coffre de son char, qui contemple des toiles dans une chapelle ».
Aujourd’hui, l’ancien braqueur de banques a vieilli et sa santé n’est plus ce qu’elle était. Une fusillade durant les années 1990, au cours de laquelle il a reçu neuf balles de mitraillette de la part d’un complice paranoïaque, a laissé des séquelles. Il boite légèrement. Les cheveux gris, le teint pâle, le corps couvert de tatouages, il loge dans une piaule au rez-de-chaussée d’une maison d’anciens détenus dans le quartier Saint-Henri à Montréal. Presque toujours vêtu de noir, il traîne souvent un petit appareil photo avec lui. À l’intérieur du couvercle de sa boîte de couleurs, il a dessiné une tête de mort. Il s’est récemment procuré une machine pour effectuer
des tatouages.
En libération conditionnelle depuis plus de six ans, il a continué à peindre. Des œuvres originales, mais aussi des copies, comme La Fille au chapeau rouge exécutée par Johannes Vermeer aux environs de 1665. Destinée à l’amie d’un ami, la copie a trôné sur son chevalet une partie de l’été. De retouche en retouche, Léo est parvenu à recréer l’éclat du vermillon sur la lèvre, le reflet dans la perle de la boucle d’oreille, ainsi que le drapé du vêtement. Comme s’il avait permis au personnage de revenir nous hanter par-delà les siècles, il a reproduit l’œuvre du maître hollandais avec une étrange intensité. Aurait-il pu devenir faussaire ? Il n’y a jamais songé. Mais quand il s’attaque à une toile mythique, quelque chose d’inexplicable se produit. « Ses tableaux sont illuminés par la rage de vivre », résume Carlos Ferrand qui prépare un film sur lui.
Selon le cinéaste, Léo Simard est la preuve tangible que « la sensibilité n’est pas l’apanage d’une classe sociale en particulier ». Carlos Ferrand voit également en lui une sorte de rédemption par l’art. Est-ce le début d’un nouveau chapitre pour celui qu’on a jadis qualifié de « pilier de prison » ? Chose certaine, Léo Simard aime beaucoup le mot liberté.
Originaire de Trois-Rivières, cet amoureux de la gâchette a connu « un parcours inusité ». Premier de classe au secondaire, il a été redirigé vers le cours classique par les Frères des écoles chrétiennes en raison de ses dons exceptionnels. Fort en latin comme en français, il rêvait de devenir missionnaire, tandis que son père ouvrier l’imaginait médecin ou notaire. Héros de la famille, il fut le seul parmi huit frères et sœurs à recevoir une éducation.
Durant les années 1960, cependant, le monde et les temps changent. Fatigué de se faire dicter sa conduite par un état-major en soutane, l’enfant de chœur se transforme en ange rebelle. Résolu à ne « pas compter les cennes comme son père », il s’associe aux Satan’s Choice, le gang de motards criminels du coin. Deux ou trois larcins plus tard, il écope 15 ans pour vol à main armée, le double de la sanction recommandée par le procureur de la couronne. Beau gosse, avec des cheveux châtains et des yeux clairs, il pénètre dans une prison pour la première fois.
Il a 19 ans.
Quelques mois après le début de son incarcération, il réussit à faire le mur. Il est pris quelque temps après s’être enfui et, du coup, sa sentence s’alourdit. On le transfère au « vieux pénitencier » Saint-Vincent-de-Paul, une institution à sécurité maximale. Datée du 26 avril 1971, sa photo d’identité judiciaire indique qu’il porte le numéro de matricule 7086. Dans sa nouvelle prison, il côtoie Jacques Mesrine que ses codétenus appellent « le Français » et Richard Blass, un dur de dur surnommé l’ennemi public numéro un par la police québécoise. Il fait également connaissance avec les felquistes Jacques Rose, Paul Rose, Francis Simard et Bernard Lortie.
Sans être un Robin des Bois, Léo se déclare régi par un code d’honneur. Avant un coup, il a toujours pris la peine de vérifier s’il y avait des enfants à l’intérieur de la banque. Auquel cas, il arrêtait tout. Ces temps sont révolus. « De nos jours, déplore-t-il, plus personne ne croit à la parole donnée. Dans les prisons, ni les chums ni la loyauté ne comptent. La drogue gouverne tout. »
« À 19 ans, tu as une vision romantique du crime, poursuit-il. On voulait tous être en haut de l’affiche, sortir de l’ordinaire. Mais les grands caïds qu’on idolâtrait sont tous morts aujourd’hui. J’ai fait le décompte avec un chum : sur les 30 gars qui occupaient notre rangée au pénitencier Saint-Vincent-de-Paul, nous sommes les deux seuls survivants. »
Décidé à ne plus retourner sous les verrous, il confesse avoir gâché sa vie impulsivement, par orgueil. Et par bravade. Ses rêves sont devenus modestes : un atelier de peintre avec, dans un coin, une boutique de tatouages où il recevrait les clients. « J’ai évolué, il y a plein d’affaires que je regrette d’avoir faites, même envers des gens de mon milieu. J’aimerais me racheter, mais on vit toujours avec ses démons. »
Ironiquement, la peinture est l’une des méthodes qui ont permis à Léo Simard de se procurer de l’héroïne lorsqu’il était en cellule. « Avec l’argent des toiles que je peignais, je m’achetais du smack ». Inscrit à un programme de réadaptation, il est actuellement traité à la méthadone et diminue sa consommation de drogue progressivement. « Sans la méthadone, j’aurais probablement sauté sur un gun », constate-t-il avec une colère sourde.
Pour ses tableaux, Léo demande entre 500 $ et 3000 $ selon le format et le genre souhaités. Grâce à « son talent à couper le souffle », de plus en plus de gens misent sur lui. Parmi ces inconditionnels, l’écrivain et scénariste d’origine suisse Pierre Billon lui a commandé une reproduction de La Tour de Babel de Pieter Bruegel l’Ancien : une fresque où grouillent plusieurs centaines de minuscules personnages ! Léo Simard a mis trois mois pour exécuter la réplique de cette scène biblique censée représenter les dangers de l’orgueil humain.
Pierre Billon a été à ce point enchanté qu’il a soumis Léo à un nouveau défi : reproduire à l’échelle L’Art de la peinture de Vermeer, un canevas regorgeant de prouesses picturales et, à l’égal de la Joconde, l’un des grands chefs-d’œuvre de l’humanité. Chargé d’histoire, le tableau a été convoité par Hitler et retrouvé dans une mine de sel après la guerre.
Signé Léo Simard, le Vermeer aux tons d’ocre et de bleu trône sur un des murs en pierre de l’appartement montréalais de Pierre Billon, entre une table Napoléon et deux vases Ming. « Je ne m’en fatigue pas », lance son propriétaire manifestement aux anges. « Moi j’aime cette œuvre pour ce qu’elle est. Imaginez, si c’était un original, je serais pas mal nerveux. Tandis qu’à présent, il ne reste que le plaisir. »
Selon le philosophe installé à Londres Alain de Botton, commissaire avec John Armstrong de l’exposition Art as Therapy à l’affiche au Musée des beaux-arts de l’Ontario, à Toronto, on peut tirer entre 80 et 90 pour cent des bienfaits d’un chef-d’œuvre en contemplant sa copie. « L’establishment artistique minimise les liens affectifs entre l’objet et celui qui le regarde.»
Pour Pierre Billon, son Vermeer évoque également son amitié avec l’ancienne matricule 7086. « Léo est un être exquis, juge-t-il. C’était un brigand, mais c’est aussi un homme délicat et très poli… »
À la petite fête donnée en son honneur pour saluer l’achèvement de son dernier Vermeer, Léo Simard expliquait au petit groupe d’amis réunis autour de lui les caractéristiques de la signature de l’artiste hollandais dans La Fille au chapeau rouge. Penché sur la petite toile, chacun examinait le monogramme – dans la majorité de ses tableaux, Vermeer entrelace ses initiales.
Discret, Léo Simard s’est éloigné. À la contemplation de sa dernière œuvre (une reproduction honnête et non une copie frauduleuse), il préférait la vue du jardin, des fleurs et du hamac. Il a sorti un petit appareil photo de sa poche. « La verdure, j’aime ça ‘au bout’ ! » a-t-il lancé avec bonheur.