À mesure que mes enfants, Ben et Kate, grandissaient, j’ai souvent été frappé – et parfois attristé et préoccupé, comme tant d’autres parents – par leur difficulté à accepter la mort. Je savais en théorie qu’ils prendraient un jour conscience de la mort, mais je ne m’attendais absolument pas à ce que ce processus soit si explicite et déchirant.
Vers quatre ou cinq ans, un enfant commence à comprendre, vaguement au début, que la mort implique une sorte d’imprévisible perte, que cette perte est définitive et que des êtres aimés – mère, père, grands-parents – finiront un jour par disparaître. Dans notre famille, il a résulté de cette étape, comme c’est encore le cas aujourd’hui, des discussions honnêtes et adaptées à l’âge de nos enfants. J’ai appris que le processus par lequel les enfants apprennent à reconnaître et à accepter la réalité de la mort est terriblement traumatique et que leur vision naissante du monde joue un rôle essentiel dans leur manière de surmonter ce traumatisme. Mais alors, comment faire le deuil d’un parent dans l’enfance?
Ben a posé sa première question explicite au sujet de la mort à cinq ans et demi. Il était dans la baignoire et a soudain cessé de faire des éclaboussures dans l’eau pour demander à ma femme, Sarah, ce qui arrive après la mort de quelqu’un.
Sarah et moi avons nos convictions personnelles, mais nous ne prétendons pas avoir de réponses définitives à ces questions. Elle a donc répondu que certaines personnes pensent que les gens vont au paradis lorsqu’ils meurent, d’autres qu’ils renaissent sous la forme d’une autre personne, d’un animal ou d’une plante, et d’autres encore croient qu’il ne se passe rien du tout – que la mort est simplement la fin de la vie. Ben n’appréciait pas trop la dernière possibilité. «Je pense qu’ils vont au paradis», a-t-il fermement conclu. Sarah a concédé qu’il avait peut-être raison.
Elle m’a plus tard relaté cette conversation, et nous n’y avons plus repensé. Mais le lendemain, sur un morceau de papier bleu, Ben a dessiné un petit garçon vêtu d’un tee-shirt orange et d’un pantalon vert, le visage de profil. D’une entaille noire et irrégulière représentant la bouche émergeait une bulle de texte contenant les mots «MAMAN PAPA» en grosses lettres épaisses.
Sarah a demandé à Ben ce que représentait ce dessin. «C’est moi au paradis, maman. C’est du papier bleu parce que le paradis est dans le ciel. Et je vous appelle papa et toi en criant parce que je suis perdu.»
Notre fille, Kate, a commencé à songer à la mort un peu plus tôt dans sa vie. Sa perplexité et son malaise se sont manifestés autrement. Elle a commencé à demander «Est-ce que ça meurt?» au sujet des choses qui l’entouraient, animées comme inanimées – les arbres, les vers de terre, les pierres et les crapauds. Je n’avais pourtant pas encore saisi ses nouvelles préoccupations pour la mort jusqu’à ce qu’un matin, contrariée car tout n’allait pas comme elle voulait, je l’ai prise sur mes genoux et l’ai serrée contre moi:
«Parfois, on ne peut pas avoir ce que l’on veut. Cela fait partie des choses qu’on apprend en grandissant.
—Mais je ne veux pas grandir, a-t-elle vivement rétorqué.
—Pourquoi?
—Parce qu’après je devrai mourir.»
C’était l’un de ces moments – pas si rares pour des parents – où les mots nous manquent. La logique de Kate semblait incontestable: si elle demeurait une enfant, elle pouvait ignorer la possibilité de la mort.
J’ai trouvé que les difficultés que rencontrent nos enfants avec le concept de la mort étaient à la fois terriblement poignantes et instructives: elles m’ont aidé à comprendre que la peur de la mort est l’un de nos plus puissants moteurs. Nous travaillons dur à apprivoiser cette crainte et, ce faisant, nous accomplissons souvent d’authentiques exploits, la plupart merveilleux mais parfois aussi épouvantables.
Pourquoi avons-nous peur de la mort?
Je pense qu’il existe cinq raisons principales à notre peur de la mort. La plus évidente étant que nous craignons le malaise physique et la douleur qui accompagnent souvent le moment de mourir. On entend parfois les gens dire qu’ils ont peur de mourir mais pas tant de la mort. Je suis d’accord avec cette proposition, mais je suis certain que la mort nous effraie presque tous autant.
Nous redoutons en partie d’être séparés de nos amis et êtres chers, et surtout de ceux qui dépendent de nous. D’un point de vue plus métaphysique, nous sommes effrayés car la mort nous ramène à notre nature éphémère; si nous ne croyons pas en un au-delà ou une âme, nous pensons donc probablement que la mort effacera notre conscience – l’essence même de notre identité. Nous craignons également que la mort vide notre existence de sa signification – nos vies n’auraient finalement ni raison, ni sens, ni but. Nous pourrions même être oubliés, ou du moins ne pas occuper la place que nous voudrions dans la mémoire des vivants.
Enfin, et peut-être surtout, nous sommes terrifiés car nous n’arrivons pas à nous représenter la mort, et tout ce qui est inconcevable est généralement effrayant. En l’absence d’une doctrine spirituelle qui l’explique précisément, la mort demeure l’un des plus noirs et profonds mystères de la vie. Elle constitue l’ultime et définitive frontière entre le connu et l’inconnu.
Compte tenu de sa portée émotionnelle et métaphysique, la mort fait étonnamment peu partie de nos pensées conscientes. Dans les sociétés riches, nous pouvons aisément éviter de penser à la mort jusqu’à un certain âge, car elle est souvent dissimulée dans les hôpitaux et les maisons de retraite. En atteignant la cinquantaine et la soixantaine, on y songe peut-être un peu plus, car des amis commencent à mourir ainsi que nos parents et d’autres membres de la famille, et parce que les années qui nous restent semblent soudain se raréfier. Nous demeurons pourtant très peu conscients du fait que nous sommes constamment en train de gérer, d’une manière ou d’une autre, l’angoisse causée par la perspective de la mort.
Certaines personnes ont pu avoir une expérience de mort imminente, voici ce à quoi ressemble d’après la science.
Les projets d’immortalité
Tout être vivant, sans exception, possède un profond instinct de survie. Pour les premiers humains, la tension entre cet instinct et la conscience naissante d’un anéantissement ultérieur a produit une angoisse centrale.
Comprendre ensuite que la mort peut survenir n’importe quand, de manière aléatoire et incontrôlable, n’a fait qu’aggraver cette angoisse.
Aujourd’hui, elle fait toujours intrinsèquement partie de nos esprits modernes; et si nous n’adoucissons pas cette angoisse d’une manière ou d’une autre, elle risque de nous submerger et de nous paralyser.
Bien entendu, les êtres humains sont animés de nombreuses motivations, qui varient selon les circonstances et qui s’associent de diverses manières. Mais le besoin de surmonter la peur de la mort demeure puissant et commun à presque toute l’humanité. Nous nous racontons alors des histoires sur qui nous sommes et comment nous devrions agir pour nous permettre de croire que nous pouvons héroïquement transcender la mort.
Ces «récits héroïques» sont infinis dans leur diversité. On peut, par exemple, entrelacer une image de soi dans une histoire centrée sur une personne ou un sujet que l’on trouve noble, puissant et tenace. Dans ce type d’histoire, nous pouvons être le dévot d’un dieu, le disciple d’un dirigeant charismatique, un membre d’un groupe ethnique ou d’une nation, ou même le partisan d’une grande équipe sportive. Dans d’autres récits, nous jouons directement le rôle du héros. Ici, on peut par exemple élever un enfant, fonder une entreprise, combattre à la guerre, faire une découverte scientifique, bâtir un édifice, écrire un livre, sauver le monde… ou se contenter d’être un excellent employé ou ami.
Quel que soit le contenu de notre récit héroïque, il nous permet de croire que nous faisons partie d’un «projet d’immortalité», pour employer le terme de l’anthropologue culturel Ernest Becker: nous cultivons une immortalité grâce aux paradis, aux âmes et aux vies après la mort qui tiennent une place centrale dans la plupart des religions, ou bien nous permettons à une part symbolique de nous-mêmes de subsister au-delà de notre mort physique, dans un enfant, une entreprise, un bâtiment, un livre, un groupe ethnique, une nation ou les souvenirs d’un ami. Nous espérons et croyons, selon Becker, que les choses que nous créons possèdent «une valeur et un sens si impérissables» qu’ils «survivent à la mort et au déclin et les éclipsent».
Jusqu’ici, tout va bien. Mais nous ne pouvons créer ces récits héroïques et projets d’immortalité de toutes pièces. Pour qu’ils soient convaincants – pour nous-mêmes, mais surtout pour les personnes qui comptent pour nous –, ils doivent être connectés à notre culture environnante. En d’autres termes, ces histoires doivent avoir du sens dans la vision du monde que nous partageons avec les membres de notre groupe, qu’il s’agisse d’une association, d’un club de sport, d’un parti politique, d’une entreprise ou d’une nation.
Les projets de vie
Voilà le point central: pour savoir quels projets de vie nous aideront, en tant qu’individus, à résister au temps de manière littérale ou symbolique, nous cherchons ce qui possède du sens et de la valeur au sein des groupes dont nous sommes membres et qui comptent pour nous. Et pour découvrir ce qui possède du sens et de la valeur, les croyances communes de ces groupes nous servent de points de repère. Nous tentons d’être des héros selon ces codes; c’est ce qui nous donne le sentiment d’avoir un but et atténue notre peur du caractère éphémère de l’existence.
La religion, bien entendu, sert souvent cet objectif. Peu importe la véracité d’une conception du monde spécifique à telle ou telle religion, l’une des fonctions psychologiques de la religion – peut-être sa fonction primordiale – est d’alléger l’angoisse de la mort de ses adhérents. Les histoires qu’elles relatent donnent un sens à la vie de leurs croyants, rendent leur mort à venir plus compréhensible et promettent souvent l’immortalité par la survie de l’âme ou de l’esprit.
Plus généralement, et peut-être un peu cyniquement, on pourrait dire que nous avons appris à supporter l’angoisse de la mort en développant une prodigieuse capacité de déni.
Certains intellectuels avancent même que le déni de la mort est le secret du succès évolutif de notre espèce. En développant cette aptitude cognitive, ou du moins la compétence de tenir l’angoisse de la mort à distance, nous avons pu déployer notre intelligence au service de notre survie et de notre propagation – jusqu’à finir par dominer la planète – sans souffrir de l’angoisse paralysante que cette intelligence aurait autrement générée.
En tentant d’élaborer l’idée d’un espoir honnête et rusé dans un monde de plus en plus dangereux, nous devons reconnaître que la tension entre la conscience de notre mort certaine et notre instinct de survie est une caractéristique immuable de la condition humaine. C’est l’un des aspects impitoyables et inévitables de notre réalité, que nous devons accepter et avec lequel il nous faut vivre. L’angoisse de la mort s’immisce dans notre conscience durant l’enfance et nous accompagne tout au long de notre vie, même si nous faisons de notre mieux pour l’ensevelir sous nos occupations quotidiennes.
Certains d’entre nous parviennent à la «sublimer», comme le disent les psychologues, en une volonté d’accomplir quelque chose d’exceptionnel, voire noble. Mais même dans le cas contraire, pour notre santé mentale et sociale, nous avons tous besoin d’un récit héroïque et d’un projet d’immortalité, et ces projets et récits doivent avoir un sens et être partagés par les groupes qui comptent pour nous.
À défaut d’être immortel, ces astuces vous permettront de devenir centenaire!
Les récits héroïque
À l’âge de six ans, Ben a lu un article expliquant qu’un grand nombre de requins étaient tués chaque année pour utiliser leurs ailerons dans des soupes. Furieux, il a dessiné un petit sous-marin capable de parcourir les océans et de couper les lignes des pêcheurs de requins. Il écrivait ainsi les premières lignes d’un récit héroïque. Celui-ci prenait sa source dans la conception globale du monde de notre famille, avec sa conscience aiguë de la nature, et dans ce qui semblait être un élan moral visant à prévenir la souffrance et à promouvoir la justice. Cela lui donnait un objectif dédié au problème qu’il rencontrait, et allégeait ainsi peut-être une partie de son angoisse naissante de la mort. Pourtant, certaines personnes choisissent de mourir. Lisez notre entrevue avec le Dr Naud sur l’aide médicale à mourir.
Au cours des années suivantes, alors que Ben devenait un garçon attentionné, ses récits se sont transformés: plus détaillés et variés d’un point de vue émotionnel. À neuf ans, il voulait devenir océanographe – et découvrir l’Atlantide. Ses histoires continueront de changer à mesure qu’il grandira; trouver ce qui fonctionne exige de l’expérimentation, et nous révisons constamment nos récits selon l’évolution de nos vies.
Les récits héroïques que nous nous racontons en tant qu’adultes sont bien plus élaborés que ceux des enfants, car ils doivent rester connectés au réseau plus complexe de concepts, croyances et valeurs qui forment notre vision du monde adulte et celle des groupes dont nous faisons partie. Ils sont aussi souvent bien moins grandioses et narcissiques car ils doivent tenir debout face à nos dures réalités – l’Atlantide, après tout, n’existe pas – et parce que les autres n’apprécient généralement pas le narcissisme. Pour finir, ils sont bien moins accessibles dans nos réflexions quotidiennes, car on se sent un peu stupide lorsqu’on s’imagine en héros immortel.
Mais ces histoires sont toujours là, profondément ancrées en nous. La mienne évoque l’idée d’être un bon père, mari, enseignant et membre de mon groupe, oui, mais parle aussi de réduire les conflits dans le monde, de dénoncer la cupidité, l’égoïsme et l’imprudence ainsi que de protéger la nature contre la cupidité et la folie humaines. Ces engagements prennent en partie racine dans les idées de justice que je partage avec les mouvements libéraux et progressistes de la société canadienne dont je me sens membre.
Dans mes écrits, mes commentaires publics et mes discours, je participe régulièrement à des discussions avec des «climatosceptiques» qui rejettent presque entièrement le discours dominant de la science à propos du climat. Parfois, lorsque je m’adresse à un public d’individus issus de l’industrie des énergies fossiles, ils croisent les bras dès que je mentionne le consensus scientifique sur le sujet. En parlant avec eux, j’en suis venu à comprendre qu’ils possèdent leurs propres récits héroïques. Ils sont aussi membres de familles et de communautés – ce sont des enseignants, des agriculteurs, des employés subalternes, des gens d’affaires et d’autres encore qui pensent sincèrement que leur dur labeur et leur entreprise répondent aux besoins de la population et résolvent les problèmes de la société.
Le méchant de l’histoire
Pour ceux qui travaillent dans l’industrie des énergies fossiles, dans des endroits comme les sables bitumineux du nord de l’Alberta (des gens que je connais un peu pour avoir travaillé des années dans les champs de pétrole), extraire des boues bitumineuses et les transformer en carburant pour nos voitures n’est pas une hideuse spoliation de la nature mais une noble et passionnante expression de la volonté humaine, de son ardeur et de son autodétermination. Beaucoup considèrent qu’ils défient la nature brute et la transforment en quelque chose d’incroyablement utile pour le commun des mortels. Les éléments clés de leurs récits héroïques sont des engagements moraux envers la liberté et la responsabilité individuelles.
Quand j’apparais dans leur vie et que je commence à leur parler de changements climatiques, ils voient en moi le représentant de forces plus vastes qui pourraient leur arracher les fruits de leur entreprise et limiter leur liberté. Dans leur esprit, je soutiendrais que l’État s’empare de leurs richesses et les piège dans un réseau de réglementations et de règles, car il est difficile d’imaginer une réponse efficace aux changements climatiques qui n’implique pas un gouvernement plus puissant et intrusif – et pas seulement un gouvernement national, mais aussi un gouvernement mondial. Je menace donc d’arracher le cœur de leurs récits héroïques, des histoires qui les protègent de la peur universelle, omniprésente et potentiellement accablante de la mort et de l’insignifiance.
Les solutions généralement proposées aux changements climatiques représentent à peu près tout ce qu’ils craignent le plus: la contrainte, l’appauvrissement et l’asservissement – peut-être même un asservissement à des étrangers. Il n’est donc pas étonnant que cela les mette en colère, pas étonnant non plus qu’ils veuillent faire tout leur possible – y compris faire passer des preuves scientifiques irréfutables pour des inepties et même déclarer que les scientifiques sont des menteurs – pour se défendre et défendre leur vision du monde et tout ce qu’elle signifie pour eux.
De mon côté, lorsque mes interlocuteurs rejettent les faits et attaquent les scientifiques, ils menacent d’arracher le cœur de mon propre récit héroïque puisque je combats la cupidité et l’imprudence pour protéger une planète que je crains de voir mourir. J’ai alors tendance à considérer leurs engagements moraux envers la liberté individuelle, la propriété privée et le droit à la croissance personnelle comme de simples excuses pour masquer un égoïsme nauséabond – et pour piller la nature tant qu’ils le peuvent encore.
L’expression de ces engagements, selon ce point de vue, ne fait que confirmer une attitude répréhensible.
C’est là l’essence d’une image en miroir: chaque côté joue le méchant dans le récit héroïque de l’autre. Ces antagonistes et nos notions individuelles de justice rendent notre héroïsme possible; nous considérons tous – il le faut – que nous luttons pour le bien contre le mal, même si nous ne l’admettons pas de manière consciente. Et ce genre d’autoperception apparaît à tous les niveaux de l’échelle socioéconomique et de la hiérarchie de pouvoir de chacune des parties, des ouvriers irrités par le poids des taxes carbone aux classes moyennes qui se querellent à propos des changements climatiques, jusqu’aux milliardaires américains – comme Tom Steyer et Charles Koch – qui s’écharpent au sujet des politiques climatiques en soutenant des personnalités politiques opposées lors des élections au Congrès américain.
Nous tournons donc en rond dans un cycle d’attaques et de contre-attaques, et le débat devient de plus en plus hostile et polarisé sans aborder efficacement le problème des changements climatiques en lui-même. Percevant cette dynamique psychologique sous-jacente à l’œuvre, certains grands commentateurs et universitaires ont lancé que «la peste soit sur les uns et les autres». Ils en ont conclu que la vérité au sujet des changements climatiques devait se trouver quelque part entre les deux. Le problème, soutiennent-ils, n’est ni aussi catastrophique que les défenseurs d’une action pour le climat l’affirment ni aussi insignifiant que ce que leurs opposants imaginent.
Mais il s’agit d’une erreur de logique. Ce n’est pas parce que chaque côté fait à peu près preuve de la même ferveur vertueuse qu’ils ont tous deux tort à propos des changements climatiques. Le psychodrame social qui entoure cette question nous en apprend beaucoup sur ce qui nous fait réagir, mais à peu près rien sur le fond du problème.
Pour en apprendre plus à ce sujet, nous avons besoin de la science, et la science affirme que les partisans de l’action radicale ont très certainement raison: les changements climatiques sont une menace colossale pour l’avenir de l’humanité.
Peut-être que le progrès arrivera à mettre fin à la mort en s’inspirant d’une espèce de méduse immortelle. Vous serez surpris par ces faits incroyables qui semblent faux, mais qui sont bel et bien vrais!
Dépasser la peur
Le changement d’humeur que presque toute l’humanité a connu ces 20 dernières années – de l’enthousiasme pour les possibilités sans limites de l’avenir vers un profond pessimisme concernant la progression de l’insécurité et la diminution des possibilités – semble toujours en cours; il gagne peut-être même en importance dans le sillage de la pandémie de COVID-19. Cette transformation a lieu, j’en suis convaincu, car beaucoup d’entre nous, peut-être même la plupart désormais, sommes de plus en plus effrayés. Et nous sommes de plus en plus effrayés en grande partie car nous ne parvenons pas à concilier les changements profonds et rapides que nous sentons se produire autour de nous et les notions d’ordre social, d’équité, d’opportunité et d’identité qui demeurent souvent au cœur de notre vision du monde.
Un problème tel que celui des changements climatiques est profondément controversé, pas seulement en raison de sa complexité et des graves conséquences qu’il entraînera certainement sur la population et les sociétés, mais aussi parce que nous savons que s’il se produit réellement, toute réponse significative affectera chaque facette de notre vie et mettra inévitablement à mal certains des principaux engagements de notre vision du monde, qu’il s’agisse (pour l’idéologie de droite) d’engagements envers une réglementation gouvernementale limitée et le droit absolu d’acquérir des richesses, ou (pour l’idéologie de gauche) d’engagements envers une production de nourriture et d’énergie locale et à petite échelle, et même de l’égalité sociale et de la démocratie, toutes deux probablement plus difficiles à maintenir à mesure que la crise climatique empirera.
Nos conceptions du monde nous lient à nos groupes d’appartenance, stabilisent notre sentiment d’identité individuelle et collective au cours du temps, ancrent notre idée d’un avenir optimiste et désirable et, enfin, fournissent la matière première de nos récits héroïques personnels. Nous sommes donc terrifiés lorsqu’ils sont menacés et les défendons avec passion et parfois même aveuglement.
Il est ainsi compréhensible que certains d’entre nous transforment cette peur en colère. Pis encore, plutôt que d’admettre que «nous sommes aussi notre propre ennemi» pour expliquer les nombreux changements perturbateurs que nous éprouvons, certains d’entre nous créent dans notre esprit un ennemi externe et personnifié – un équivalent de Sauron dans Le seigneur des anneaux, sous des étiquettes telles qu’écologiste et capitaliste, blanc et noir ou encore chrétien et musulman – que nous pouvons alors accuser de ces perturbations et ériger en antagonistes de nouveaux récits héroïques débordant de colère.
Mais en fin de compte, comme nous le savons tous au fond, des réactions aussi aigries ne font que nous effrayer encore plus et compliquer la résolution de nos problèmes communs. Nous avons plutôt besoin de conceptions du monde suffisamment complémentaires pour nous unifier autour d’un projet d’immortalité visant notre espèce entière afin d’œuvrer à interrompre puis inverser la rapide détérioration des systèmes naturels vitaux de notre planète – des conceptions du monde qui nous aideront à surmonter la peur en inspirant plutôt qu’en étouffant l’espoir qui anime notre pouvoir d’action.
L’humanité ne dispose peut-être que d’une décennie ou deux pour faire évoluer ses visions du monde dominantes dans la bonne direction. Pour agir aussi vite, il est indispensable de mieux comprendre l’essence de notre propre conception du monde, ainsi que celle d’autres personnes et d’autres groupes. Nous pourrons ensuite mieux distinguer nos alliés naturels, ceux qui pourraient être convaincus de devenir nos alliés, et ceux qui risquent de s’opposer implacablement à nous dans les luttes sociales et politiques à venir pour un avenir plus radieux.
Savez-vous quelles sont les réactions étranges de notre corps après la mort?
Extrait de Commanding Hope de Thomas Homer-Dixon. ©2020, resource & conflict analysis inc. Publié par Alfred A. Knopf Canada, une division de Penguin Random House Canada Limited. Reproduit en accord avec l’éditeur. Tous droits réservés.