Ballottée comme une bouteille à la mer, Mylène Paquette rage à bord de son monocoque jaune d’à peine 7 mètres sur 2. Cela fait six jours qu’elle est tenue à sa couchette par des sangles, coiffée d’un casque, face à face avec elle-même et cloîtrée dans la cale du frêle bateau à rames. Un seul mouvement, sortir un bras au mauvais moment, par exemple, comporte le risque d’une blessure fatale. Elle établit la communication avec son routeur météo et les nouvelles sont démoralisantes. Deux autres dépressions se dessinent dans son coin d’Atlantique Nord.
« Ce ne sera pas beau cette semaine, lui dit Michel Meulnet depuis son poste de communication à Lyon, en France.
-Michel, ça fait trois semaines que tu me dis cela, c’est une blague ?
-Je suis vraiment désolé, tu as des vents de face. Il faut que tu attendes. Encore.
-Ça fait un mois que j’ai des vents de face ! Je n’ai fait que 100 miles en un mois. Je suis censée faire ça en deux jours, 100 miles ! »
Les pensées à la dérive, elle patiente dans sa cabine, véritable cocon de survie au milieu d’une mer démontée. On dirait un bunker, avec son enceinte capitonnée grise qui renferme quantité de matériel de sécurité, de communication et de navigation à la fine pointe de la technologie, et quelque 100 kg de nourriture déshydratée. Tout ou presque dans ce refuge à peine plus grand qu’un placard se trouve à portée de main… ou d’orteil.
La jolie gaillarde dont les jambes et les bras sont ankylosés faute de mouvements possède une force déterminante : sa persévérance à toute épreuve. Mais au jour 60 de sa traversée en solo, Mylène Paquette n’a toujours pas franchi les hauts-fonds de Terre-Neuve en raison des conditions météo d’une rare sévérité.
Elle broie du noir. « Peux-tu me laisser ramer ? Je suis là pour ça ! » crie-t-elle en pleurs à son incommensurable adversaire, la mer. « J’ai ruiné ma vie ! Cinq ans de ma vie ! Je n’ai pas d’enfants, pas de copain ! Il n’y a rien devant moi. Si je ne réussis pas, je suis finie. J’ai tout perdu. J’ai vendu le condo, je n’ai que des dettes, je n’ai pas de travail, pas de formation ! Ce n’est pas vrai ! »
Le découragement devant la stagnation et l’inaction imposées par Dame Nature est tel que Mylène songe à rentrer et ainsi mettre fin à l’aventure en mettant le cap sur Terre-Neuve. Elle demande à son routeur de lui tracer une route. Mais une fois encore, la mer a le dernier mot : 24 heures plus tard, Michel Meulnet lui annonce que rentrer est tout simplement impossible, les conditions météo ne le permettent pas. Seule option envisageable : continuer vers l’Europe et devenir la première Nord-Américaine à franchir cet océan à la rame, en solo ! Fin de la communication. Mylène Paquette se retrouve à nouveau seule, prisonnière de ses sangles.
Pourtant, cette préposée aux bénéficiaires auprès d’enfants de l’hôpital Sainte-Justine à Montréal n’a pas grandi dans le monde de la navigation. Intrépide, toujours à comploter des projets d’aventures. Toute petite, elle s’entêtait à suivre son père dans les pistes de ski « double experts », rapporte sa sœur Evelyne. Plus tard, elle s’est initiée au parachutisme. « On sentait qu’elle avait le goût de l’aventure et du risque, ajoute-t-elle. Elle aurait pu grimper le mont Everest et je pense qu’elle aurait réussi ! Elle fait face à ses peurs. Elle a toujours été comme cela. »
Pourtant, quand Mylène annonce à sa sœur aînée son plan, le premier réflexe de celle-ci est de se dire « encore un autre projet qu’elle ne finira pas ». Car si Mylène est entreprenante dans ses coups de cœur sportifs, elle est également téméraire dans sa trajectoire étudiante et professionnelle. Cinéma, design d’intérieur, diverses inscriptions dans des programmes d’études qu’elle abandonne parfois avant la fin de la première session. « Au fond, elle se cherchait, confie Evelyne, 38 ans, représentante de produits de mobiliers. Mais en même temps, je me disais qu’il y avait juste elle qui pouvait accomplir une telle aventure. »
Le déclic
« Tu vois tout ça, c’est de ta faute ! » s’est écriée Mylène à sa sœur, à son arrivée. Été 2005, Evelyne qui possède un voilier sur le lac Champlain, invite Mylène à plusieurs reprises en escapades. Ce ne sera qu’à l’automne qu’elle acceptera l’invitation… qui changera sa vie. Coup de cœur : elle veut devenir navigatrice. Aussitôt rentrée, elle se lance dans d’infatigables recherches et découvre une discipline méconnue : la rame océanique. En voyant une photo de l’embarcation, elle se dit que c’est exactement ce qu’elle veut faire. Le petit bateau sport en forme de cigare, conçu pour être autoredressable en cas de chavirage, a une seule place assise, entre deux immenses rames de 4,5 kg chacune.
Son choix s’arrête sur la route du Nord, d’ouest en est, la plus redoutée des navigateurs : à ce jour, seules 14 traversées en solo ont été complétées, contre 25 tentatives infructueuses, dont trois disparitions en mer. Des statistiques qui, malgré tout, ne la rebutent pas, au contraire.
Mais il y a une autre ombre au tableau : un tel voyage exige que le navigateur plonge sous l’embarcation en cours de traversée afin de nettoyer la coque des coquillages qui la ralentissent. Or, Mylène a une peur bleue d’être immergée. Toute jeune, elle frôlait la panique quand elle tombait à l’eau lors des sorties familiales à skis nautiques. « À un moment donné, il faut affronter ses peurs », glisse la rameuse de 35 ans.
Cette leçon, elle l’apprend en 2008, à l’hôpital Sainte-Justine. Cynthia Lagacé, alors âgée de 15 ans, lutte contre la leucémie (bataille que l’adolescente a perdue en février 2009). Quand Mylène lui dit : « Je sais ce que c’est », la jeune malade lui balance : « Non. Tu ne sais pas ce que c’est de se battre. » Des paroles qui donnent un élan de plus à l’aventurière en devenir. « Je savais déjà ce que je voulais faire. J’y rêvais et je me réveillais la nuit en me disant « je ne peux pas faire ça, j’ai peur de l’eau ». Mais les mots de Cynthia sont venus me fouetter. » Et lui inspirer le courage de foncer.
Mylène intensifie ses recherches afin de réaliser son rêve en secret, en camouflant même la couverture des livres qu’elle commande sur le web. « Je racontais n’importe quoi pour cacher mon rêve, pour essayer de le préserver. C’était trop précieux, trop fragile encore. »
Le 24 octobre 2008, 2 h 30 du matin, lors d’une soirée entre amis pour son 30e anniversaire, les copains lui posent la question qui tue :
« Mylène, qu’est-ce que tu comptes faire pour ta trentaine ? »
Silence. Son amoureux de l’époque, Jason, qui a vu clair dans son jardin secret, la presse de se dévoiler.
« Je vais traverser l’Atlantique à la rame, c’est ce que je veux faire », lâche-t-elle enfin.
Voilà, c’est parti ! Le lendemain matin, elle s’inscrit au club d’aviron de l’Université de Montréal. Le lundi, elle s’entraîne sur un rameur intérieur. « Je m’étais engagée, je n’avais plus le choix. »
Restait à l’annoncer à sa famille. « Tu es folle ! Qu’est-ce que tu fais ? Je ne te parle plus, tu es cinglée ! » lui lance son père, sur le coup. Conscient de l’esprit aventurier de sa fille, c’était probablement sa façon d’essayer de l’en dissuader. « Mais quand il a compris qu’elle le ferait, il l’a soutenue dans son projet », dit Evelyne.
Mylène peaufine son plan. Octobre 2009, elle suit une formation en Angleterre (RYA – Essential Navigation & Seamanship Course), ainsi qu’un cours de survie et de mesures d’urgence en mer, à temps pour participer à une traversée de l’Atlantique à la rame au sein d’un équipage de six rameurs. Du 12 janvier au 10 mars 2010, Mylène, seule femme et seule francophone à bord, parcourt en 58 jours les 2 700 milles nautiques (5 000 km) qui séparent le Maroc de la Barbade.
Elle récidive en 2012, à la voile cette fois, pour développer ses aptitudes en navigation et en météorologie. Du 30 juillet au 9 septembre 2012, elle franchit plus de 3 000 milles nautiques (5 500 km) entre la France, le Groenland et le Québec, en six semaines.
Ces voyages en équipage sont déterminants, car ils lui permettent de gagner en confiance et de mesurer ses apprentissages. Elle développe aussi d’importantes aptitudes en vue de sa grande odyssée en solo : apprivoiser son embarcation et mesurer la vie au large en solitaire.
Du 24 juin au 8 septembre 2011, elle amorce une tournée de reconnaissance sur plus de 700 milles nautiques (1 300 km), de Montréal aux îles de la Madeleine, sur le Saint-Laurent. C’est lors d’une escale pour donner une conférence à la marina de Rimouski qu’elle retrouve celui qui deviendra son mentor, Hermel Lavoie, rencontré un an plus tôt après une allocution au même endroit. « C’était la première fois de ma vie que j’entendais parler de quelqu’un qui entreprenait une traversée de l’Atlantique à la rame, dit-il. Les oreilles grandes ouvertes, je l’écoutais et ce projet venait me chercher. J’ai toujours aimé les affaires un peu extravagantes », dit ce membre de la Garde côtière auxiliaire canadienne qui s’empresse de lui faire part de son intérêt pour le projet.
Vieux loup de mer, Hermel Lavoie plonge d’abord dans l’aventure comme mécano. Il sera à même de prendre le pouls du comportement marin de l’embarcation, et de sa navigatrice, l’accompagnant pendant deux jours de navigation entre Rivière-au-Renard et l’Anse-à-Beaufils en Gaspésie. De retour à Montréal, Mylène se casse un bras, ce qui retarde son projet d’un an. Le 12 juillet 2012, la voilà qui débarque chez Hermel Lavoie avec son bateau. Il passera près d’un an à astiquer et perfectionner l’embarcation de Mylène.
Un port d’attache
De fil en aiguille, un lien de confiance et de complicité se tisse entre l’homme de 76 ans et la jeune femme. De mécano à conseiller technique et administratif, à coach, à « monsieur mode solution », à maître d’œuvre du projet, mais aussi ami et confident, Hermel Lavoie devient sans contredit le plus important port d’attache, le point d’ancrage de Mylène dans sa formidable épopée. Elle baptise son bateau Hermel, en son honneur.
Cet expert maritime, qui croyait que sa contribution serait bouclée une fois le bateau prêt pour le large, s’est tranquillement laissé prendre entre les mailles du filet de ce projet fou. « Quand le bateau était prêt à partir, j’étais soulagé, je pensais que mon travail était fini. Ce fut intense et j’étais fatigué, raconte-t-il. Mais je ne pouvais pas la laisser partir et m’en désintéresser. Parce qu’à la moindre chose qui arrivait, elle savait que je pouvais intervenir, et donc assurer le succès de la traversée. » Contaminé par cet irrésistible rêve qui a porté Mylène durant toutes ces années de préparation, Hermel Lavoie est devenu le plus grand complice de la capitaine.
« Je ne pouvais pas me permettre d’aller en mer sans Hermel, dit Mylène. C’est mon phare, il m’aide à prendre des décisions. C’est comme un coach. Il est tellement intelligent. » Et durant la traversée, la connexion entre eux est telle que Mylène sent que son Hermel est littéralement à bord avec elle. Dans son lit, à des milles de sa protégée, il se réveille la nuit lorsqu’elle éprouve des pépins. « Ça ne s’est pas bien passé cette nuit, le bateau a brassé, je l’ai senti », s’enquiert-il au petit matin, au bout fil.
En solo
Mais qu’est-ce qui pousse une jeune femme à partir seule dans son embarcation pour franchir les méridiens et les intempéries ? « C’était ça le rêve. D’être capable de le faire toute seule. Le trip, c’était de me sentir seule face à l’océan, d’être la tête du projet, dit-elle. Le solo, c’est l’ultime. »
Être seule lui donne tout le loisir de réfléchir, d’écrire, d’aller à son rythme, sans avoir d’attentes externes à combler. Mais les conditions sont difficiles.
Elle se sent souvent prisonnière, dans un environnement des plus hostiles à l’extérieur, et d’une insalubrité inquiétante à l’intérieur. « Dormir dans la rue, sous la pluie, c’est presque mieux », dit-elle. De l’eau s’est en effet infiltrée dans sa cabine, ce qui signifie enfiler des vêtements mouillés, des bottes humides. Pis, la moisissure se répand partout, jusque dans son sac de couchage. « Je ne suis pas capable de me laver, c’est impossible, ça brasse trop ! Est-ce dangereux pour ma santé ? » demande-t-elle à son médecin, le Dr Sylvain Croteau, qui a lui-même participé à une traversée de l’Atlantique à la rame en équipage, en 2011. Sans parler de l’asthme, de la difficulté à respirer, des abcès causés par l’humidité, des infections urinaires, du mal de mer, des contusions, et même d’une intoxication au monoxyde de carbone. Malgré tout, elle se dit : « Tu es là. Tu es en train de réaliser ton rêve ».
Et lors des jours plus cléments, il faut avancer. Un effort de volonté. « Personne ne va ramer à ta place et il faut que t’avances. Il faut vraiment être fort. »
Ne pas lâcher
Par trois fois, elle veut tout abandonner. Et elle ne rame pas lors de ces épisodes de découragement où elle se répète qu’elle a ruiné sa vie avec ce projet. « Comment des gens se ramassent-ils dans la rue sans le sou ? Comme ça, avec de grands projets et en ratant leur coup. » Mylène a mis cinq ans à financer son expédition. Cinq ans à tenter de convaincre les mécènes de croire à son projet, à frapper des murs, à essuyer des refus, ou pis, l’absence même de réponse et l’indifférence. Quantité d’entreprises ont été approchées afin d’obtenir des gratuités, des produits, des services et des ressources financières, peu répondront à l’appel. C’est entre autres grâce à Bio-K+, Iridium Communications, Zorah biocosmétiques et Cushe, à une importante collecte de fonds menée auprès du public, à la vente de son condo et à un emprunt à la banque que Mylène réussit à amasser le matériel et les 208 000 dollars nécessaires au projet.
Pendant la longue phase des préparatifs au cours de laquelle la navigatrice constate qu’« il y a plus de requins sur terre qu’en mer », elle peine à manger à sa faim. « J’ai eu de la difficulté à payer l’épicerie pendant longtemps. La priorité était de payer le bateau, les salaires, et manger passait après. » Si elle affiche une volonté quasi sans faille, c’est surtout grâce à ceux qui ont cru en elle.
Ramer. Ramer.
Contrairement au métro-boulot-dodo de la vie sur terre, la vie en mer et l’humeur de la rameuse sont dictées par les conditions météo, en d’autres mots par le fait de pouvoir avancer ou pas.
Mylène a affronté une trentaine de systèmes dépressionnaires, huit tempêtes majeures avec des vents de plus de 100 km/h, et des vagues de 12 m. « Les conditions étaient extrêmement difficiles ; ce qu’elle a réalisé est donc un véritable exploit. Beaucoup d’autres à sa place auraient abandonné », confie son routeur météo, Michel Meulnet, qui a approché la navigatrice au retour de sa traversée en équipage de 2010. Le météorologue a supervisé plusieurs navigateurs en carrière, en équipage ou en solo, en navigation à la voile ou à la rame. Il en a vu des navigateurs abandonner.
« C’est très particulier de travailler avec des navigateurs en solitaire. Ils passent parfois par des phases euphoriques et puis dans le quart d’heure qui suit, tout peut s’écrouler et ils sont complètement démoralisés. Il faut parfois très peu de choses pour passer d’un état à l’autre », explique-t-il. Et ces humeurs sont en fait entièrement dictées par la météo.
Un mirage
Jour 83, Mylène n’a toujours pas atteint le seuil symbolique de la mi-parcours. Près de trois mois sans voir âme qui vive, seule dans son engin. Quatre jours plus tôt, une dépression suivant la tempête tropicale Humberto lui inflige son premier chavirage, trois fois plutôt qu’une, lui fauchant notamment l’un de ses deux téléphones satellites, une rame, et la laissant avec quelques côtes endolories et une contusion au bras. Aujourd’hui, elle ne tient pas en place à son poste de ramage. Elle attend de la visite.
De la grande visite. À 2,5 milles de son embarcation, une cathédrale des
mers se pointe dans son champ de vision, comme dans un songe : le Queen Mary 2.
Un peu plus d’une heure s’écoule entre l’apparition fantastique de ce gros navire de 158 000 tonnes et 345 mètres de long venu la ravitailler après l’avarie, et sa disparation dans l’horizon. La bande audio captée en direct de cette rencontre inespérée est saisissante d’émotions. « On dirait un mirage ! C’est capoté ! lance-t-elle à la vue du mastodonte. Ah ! des humains ! des humains ! » crie-t-elle en pleurs.
Si cette traversée s’avère une aventure en solitaire, le périple est avant tout une histoire humaine. Les vidéos filmées par les voyageurs à bord du bateau de croisière ne tardent pas à proliférer sur le web. « Ma mère, mon père et ma sœur ne m’avaient jamais vue ramer. Ils ne m’avaient jamais vue faire ce que je fais de mieux », confie-t-elle, émue de savoir que ses proches la voient enfin dans son élément. La rencontre avec le Queen Mary 2 s’inscrit comme le moment le plus émouvant de son existence. Et il provoque un effet monstre sur son moral. D’autant plus que, dans les ballots jaunes lancés à la mer qu’elle a récupérés sous les applaudissements de centaines de personnes sur le pont, se trouvent le matériel de remplacement espéré, mais aussi des douceurs, comme du savon, du chocolat, des fruits frais et une bouteille de vin.
Le retour
Mylène me donne rendez-vous dans un café de Montréal près de deux semaines après son arrivée sur la terre ferme. Non, exactement 16 jours, me précise d’emblée la navigatrice qui, après avoir compté ses jours en mer, dénombre maintenant ceux qui la séparent des bras de l’océan. Parce qu’évidemment elle a déjà une autre aventure en tête. Mais ce sera la voile cette fois-ci. En attendant, la rameuse s’affaire avec joie et disponibilité dans le tourbillon médiatique qui découle de son arrivée. Elle répond aux demandes de conférences – déjà plus d’une centaine sont confirmées – et rencontre des éditeurs, car elle projette de raconter son exploit dans un livre. « Je n’ai pas eu le temps de me reposer, et je ne le veux pas non plus, sinon, tu manques le bateau, donc tu surfes sur la vague », souffle-t-elle, peu après m’avoir accueillie, lumineuse, en me faisant la bise et l’accolade comme à une vieille amie. Tout le contraire du personnage introverti et même un peu sauvage auquel on s’attend d’une aventurière en solitaire. Et la belle brune s’ouvre, sans se faire prier.
Partage
Cette attitude pourrait étonner. « Ce type d’aventure peut paraître au premier abord un peu égoïste, dit Michel Meulnet, mais Mylène a la particularité de vraiment vouloir faire partager à un maximum de gens ce qu’elle a vécu sur l’océan. »
Grâce au téléphone satellite et à son équipe au sol, elle a raconté son expérience en direct, par le biais de ses comptes Twitter et Facebook, de photos, de vidéos, de clips audio, de billets de blogue, de multiples entrevues avec les médias, d’une cartographie de son positionnement, etc.
La mobilisation que suscite le périple de Mylène sur les médias sociaux est phénoménale, avec plus de 31 000 « J’aime » sur Facebook et plus de 15 000 « abonnés » sur Twitter. Remarquable en nombre, mais également par les messages qui y sont véhiculés. « Des affirmations telles « Le Québec compte sur toi », ce n’est pas rien. C’est comme si on avait besoin d’avoir quelqu’un qui nous redonnait la foi, la volonté de croire en quelque chose, d’accomplir quelque chose de grandiose. Et elle n’a pas encore mesuré à quel point elle est allée chercher les gens », note sa conseillère en communication, Dominique Ladouceur. Investie à fond depuis deux ans dans le projet, cette dernière porte plusieurs chapeaux, d’attachée de presse à gestionnaire de projets, à confidente, à première répondante en cas de pépin. La jeune femme a passé 129 jours le portable sur l’oreiller.
Au fil de l’aventure, ils seront des dizaines à donner de leur temps et de leur savoir à Mylène, parfois de façon ponctuelle, certains plus assidûment. « Une telle aventure ne serait pas réalisable sans mon équipe au sol », s’empressera-t-elle de réitérer en étant couronnée Personnalité de l’année 2013 au gala La Presse/ Radio-Canada.
« Personne n’a donné le minimum avec Mylène, rapporte Dominique Ladouceur. Tu en arrives à te dire que c’est peut-être la seule fois dans ta vie où tu auras la chance de faire partie d’un projet aussi grand, alors tu te lances. Chaque jour, tu parles avec elle qui repousse ses limites, alors tu te dis que toi aussi tu pourrais ne pas avoir peur de plonger sans filet de sécurité, car elle, elle le fait quotidiennement. Ce projet nous a tous amenés ailleurs, à faire une introspection à laquelle on ne s’attendait pas. »
Mylène s’est fixé l’objectif de sensibiliser la population à l’importance des écosystèmes marins en témoignant de leur détérioration et de l’impact de nos habitudes de vie. Ce n’est pourtant pas uniquement en raison des multiples capsules éducatives sur l’environnement, des enregistrements audio de chants de baleine, qu’une centaine de bénévoles se sont greffés au projet en cours de route, que Mylène, ambassadrice du fleuve Saint-Laurent pour la fondation David Suzuki, s’explique l’adhésion qu’elle a su créer. Selon elle, ces derniers sont animés par le désir de vivre par procuration ce projet grandiose en y apportant leur contribution et, ce faisant, ils se nourrissent de la satisfaction qui découle de l’importance de leur apport. « Je veux pouvoir dire, ce projet-là, j’y ai apporté mon grain de sel », lui diront-ils. Certains n’ont pas lésiné sur la dose.
« Elle a la capacité d’aller chercher le meilleur de nous-mêmes. On s’est exprimés en elle dans tout ça », dit de sa Floride d’adoption Jean-Pierre Lavoie, le fils d’Hermel, chargé de projets en systèmes informatiques, qui a servi de véritable fil conducteur faisant le pont entre Mylène et les médias sociaux.
Le boulot des rêves
Jusqu’à la toute fin, rien n’était gagné. La mer n’en avait pas fini avec elle, lui ayant réservé quatre chavirages en une journée à 10 jours de l’arrivée, un autre à six jours de la côte française lui infligeant une commotion cérébrale et lui fauchant son éolienne, la laissant donc sans électricité, et à bout de souffle. Contre vents contraires et intempéries, la Québécoise Mylène Paquette partie de Halifax le 6 juillet 2013 a rallié la ligne d’arrivée à Lorient, en France, le 12 novembre, au terme d’un périple de 129 jours.
Jusqu’à ce qu’elle envoie sa première fusée de détresse à la ligne d’arrivée, Mylène s’est demandé si elle avait pris une bonne décision en se lançant corps et âme dans ce projet. « Finalement, j’ai su que c’était une bonne décision. C’était une révélation, confie-t-elle. Je savais que j’étais capable de le faire, mais tu n’es pas arrivée tant que tu n’as pas les pieds à terre. Jusqu’à la fin, tu peux te faire mal. Jusqu’au podium aux Olympiques, tu ne sauras pas si tu as remporté la médaille d’or, donc il faut que tu travailles jusqu’au bout, jusqu’au fil d’arrivée. »
« Réaliser ses rêves, c’est du travail », lance la navigatrice, bien sérieusement. Et la concrétisation de ce rêve, elle compte bien en faire sa vocation. Profession : navigatrice. « Je ne passe pas à autre chose ! C’est trop gros dans ma vie ce rêve pour que je retourne travailler à Sainte-Justine. Tu fais quelque chose que personne n’a fait avant toi, vas-tu retourner dans la vie où tu étais malheureuse avant ? » dit la femme qui s’est hissée dans la catégorie des gens d’exception, des pionniers de projets plus grands que nature. « Je serais folle d’arrêter là ma carrière. Elle commence au fond. »
« On va juste faire un gros voyage sur terre », a dit Mylène à son embarcation avant l’arrivée…