Les suppositions sur l’état de la Grande Barrière de corail
Depuis quelques années, les rapports alarmants se succèdent sur le blanchissement du corail de la Grande Barrière australienne, le plus vaste et célèbre ensemble de récifs coralliens du monde. Des commentateurs affligés l’ont déclaré agonisant, sinon déjà mort à cause du réchauffement climatique. Un organe de presse a même publié sa «nécrologie».
De leur côté, les climatosceptiques jugent le blanchissement exagéré ou comme faisant partie d’un cycle naturel – ou les deux. Pour ajouter à la confusion, les nombreuses réfutations de la «mort» de la Grande Barrière ont donné l’impression que la menace qui pèse sur elle n’est pas si sérieuse. Qui croire?
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Ce qui en est vraiment
«Les uns et les autres sont loin de la vérité, affirme David Wachenfeld, directeur du rétablissement du récif pour l’Autorité du parc marin de la Grande Barrière de corail. Elle n’est pas morte, mais elle ne va pas bien. Les menaces sont sérieuses, et il faudra faire plus que ce que nous faisons déjà. Mondialement.»
Les dimensions mêmes de la Grande Barrière de corail sont un aspect qu’on escamote facilement. «Elle est gigantesque, rappelle David Wachenfeld. À cette échelle, il n’est pas facile de comprendre. Pour certains, il s’agit d’une destination touristique comme la tour Eiffel. Mais jusqu’à présent – et je croise les doigts –, aucun cyclone ni blanchissement ni aucun autre événement n’a eu un impact sérieux sur toute la Grande Barrière.»
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Visible depuis l’orbite terrestre
En 1814, l’explorateur Matthew Flinders évoquait la Grande Barrière au pluriel. Elle compte en effet 2900 récifs distincts disséminés sur un territoire grand comme la Pologne. La plupart des visiteurs n’en voient qu’une infime fraction. Elle s’étend sur 2300 kilomètres le long de la côte orientale de l’Australie et forme la plus grande structure vivante du monde. Ces milliards de coraux minuscules constituent la seule faune visible depuis l’orbite terrestre.
Le corail occupait une superficie deux fois plus vaste dans les années 1980. Parmi les causes de sa régression, le ruissellement des terres agricoles qui dégrade la qualité de l’eau et l’invasion d’acanthaster pourpre, une étoile de mer qui se nourrit de corail et prolifère dans l’eau de ruissellement, sont au cœur des plans de sauvetage.
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Un problème mondial
La Grande Barrière de corail fait face à une crise existentielle que l’Australie ne peut affronter seule. «La plus grande menace, c’est le réchauffement climatique», confirme David Wachenfeld. Pour la première fois, le blanchissement massif des coraux a touché la Grande Barrière deux années successives, en 2016 et en 2017.
Le phénomène se produit lorsque le corail en situation de stress thermique expulse les algues zooxanthelles avec lesquelles il vit en symbiose et qui lui donnent sa couleur. Quand les zooxanthelles se trouvent surexposées à la lumière et à la chaleur, elles produisent une trop grande quantité d’oxygène, toxique pour le corail.
Mais sans elles, le corail blanchit et, si la température de l’eau reste trop élevée trop longtemps, il meurt, car en plus d’être une source de nutriments, ces algues recyclent les déchets. Après le blanchissement et si la température de l’eau baisse, le corail retrouvera peu à peu ses zooxanthelles et sa couleur. Sinon, il mourra. Avec une augmentation de seulement 1°C de la température de l’eau, certains coraux blanchissent en seulement quatre semaines et meurent après huit semaines.
2017: l’année de la plus importante disparition de corail
En général, les récifs coralliens se remettent d’un épisode ponctuel de blanchissement à petite échelle, mais les événements extrêmes restaient inconnus il y a encore 20 ans. Celui de 2017 a été dévastateur, bien qu’il n’ait pas blanchi 93% du corail total, comme on l’a cru. En réalité, il s’agit du résultat mal interprété de l’inspection de 911 récifs, dont 93% présentaient un blanchissement variable. Les études de suivi ont montré que la mortalité totale a plutôt été de 22%. Ça reste la plus importante disparition de corail jamais enregistrée.
Les dégâts faisaient peine à voir, surtout sur la côte nord-est de l’Australie. «Nous avons survolé les eaux les plus cristallines sur 4000 kilomètres et seuls quatre récifs n’avaient pas souffert de blanchissement», déplore le professeur Terry Hughes, écologiste des récifs coralliens, qui a qualifié son enquête dans le nord «du voyage de recherche le plus triste de [son] existence».
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Pourquoi cet écart entre le nord et le sud?
Les eaux plus fraîches qui abritent des coraux dans le sud offrent-elles une meilleure protection contre le blanchissement induit par la chaleur? Non. C’est simplement que le corail blanchit à des températures plus basses dans le sud que dans le nord. Le sud a connu un sursis en 2016 quand le cyclone Winston a amené des pluies tropicales qui ont agi comme un tampon et fait baisser les températures maritimes sous les normales locales tout en augmentant la couverture nuageuse.
«Nous l’avons échappé belle», se rassure Sara Keltie, guide naturaliste à Heron Island où les récifs coralliens restent éclatants. L’île est connue pour les tortues qui viennent y pondre et pour son hôtel écoresponsable.
Le corail va-t-il migrer?
El Niño, un phénomène climatique qui se caractérise par une élévation des températures des océans, n’est pas étranger au blanchissement massif de 2016. Et comme nous réchauffons déjà les océans avec le dioxyde de carbone, cela accélère encore plus le seuil de blanchissement. Certains prévoient que le corail finira par se déplacer vers le sud.
David Wachenfeld n’est pas de cet avis. «Les coraux existent depuis 400 millions d’années, fait-il remarquer. Ils ont connu de nombreux changements climatiques. Sauf que le climat n’a jamais changé aussi rapidement. Le fait que, par le passé, des animaux se soient adaptés et aient survécu sur une échelle de temps géologique ne signifie pas qu’ils y arriveront quand la situation change plus rapidement.
Par ailleurs, des centaines de millions de gens comptent sur les récifs coralliens pour l’alimentation, pour la protection du littoral contre l’énergie marémotrice et pour les revenus du tourisme, entre autres. Il serait absurde de dire à ces gens: oui, bon, le récif va sans doute mourir d’ici 20 ans à cause des changements climatiques, mais, pas de panique, dans 5000 ans, il sera de nouveau là.»
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La hausse de température n’est pas le seul problème
Ce n’est pas tout. Un changement climatique trop rapide pour être géré par le corail fait planer une autre menace sur les récifs: l’augmentation de l’acidité de l’océan. «Environ 30% du dioxyde de carbone que nous envoyons dans l’atmosphère en brûlant des combustibles fossiles est absorbé par les océans», explique David Wachenfeld.
Dans l’eau de mer, le dioxyde de carbone forme de l’acide carbonique. Celui-ci libère des ions hydrogène qui se lient aux ions carbonate flottants dont le corail dur a besoin pour fabriquer son squelette composé de carbonate de calcium. Plus la concentration de dioxyde de carbone est élevée dans l’océan, moins le corail dur est en mesure de constituer des récifs. Si la réserve flottante de carbonate vient à manquer, les ions hydrogène iront jusqu’à dissoudre le corail dur et les coquillages pour s’en procurer.
Deux hypothèses
Sur Heron Island, une expérience a permis d’observer l’effet de différentes températures sur la reproduction d’un écosystème corallien. Deux projections ont été testées: la première avec une élévation de 4°C de la température mondiale par rapport à la moyenne à l’époque préindustrielle, une réalité attendue avant 2100 si rien n’est fait pour réduire les émissions de dioxyde de carbone; et la deuxième avec une élévation de 2°C, le maximum visé par l’Accord de Paris. L’acidité des océans causée par les niveaux de dioxyde de carbone atmosphérique responsables de ces élévations de température a également été étudiée.
«Dans ces deux hypothèses, tous les coraux ont blanchi, mais en suivant des trajectoires différentes, dit Sara Keltie. Dans celle où l’on ne fait rien, les coraux sont morts de faim et ont commencé à se dissoudre.»
Si l’avenir à +4°C paraît fatal, tout espoir n’est pas perdu pour les récifs coralliens dans un monde qui respecte-rait les objectifs fixés par l’Accord de Paris. «Dans cette projection interventionniste, certains coraux survivent – notamment ceux qui se développent plus lentement comme les coraux de rocher, qui ont besoin de moins d’énergie, ajoute Sara Keltie. Au terme de l’expérience, ils continuaient à se développer et à se reproduire.»
Voici ce qu’il faut savoir pour lutter contre les changements climatiques.
Au delà de l’Accord de Paris
Pour David Wachenfeld, les efforts mondiaux ne doivent pas s’arrêter avec l’Accord de Paris. «Aucune des prévisions ne reste en deçà de 2°C d’ici 2100, fait-il remarquer. Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour dire qu’à court terme le réchauffement climatique atteindra +2°C. Mais pour préserver la santé des récifs coralliens de demain, il faudrait qu’il se limite à +1,5°C. Et même alors, le stress thermique sera énorme pour les récifs coralliens – la Grande Barrière a en effet connu son pire épisode de blanchissement avec environ +1°C. La Grande Barrière est vivante, mais subit une pression énorme et a désespérément besoin qu’on l’aide davantage.»
Vous serez surpris de voir comment les changements climatiques affectent votre santé.