La force de l’amitié
C’est l’une des relations les plus complexes et les plus profondes qui soient. Elle peut être plus forte que les liens du sang et survivre aux sentiments amoureux. En voici huit exemples.
Des équipes gagnantes : Quand la chance mène la danse
En général, on n’associe pas les stratégies obscures de la lutte comme l’« étau de l’anaconda », le « coup de la corde à linge » ou le « Mongolian Chop » à de solides bases pour bâtir une amitié durable. On leur préfère souvent l’empathie et le respect, à raison, j’en suis certain. En revanche, une descente du coude vrillée sépare efficacement les prétendants des vrais candidats.
À l’automne 1984, j’étais étudiant de premier cycle en arts à l’Uwniversité de l’Alberta. La bibliothèque Rutherford était ma seconde maison. Un après-midi, mon attention a été attirée par la une de l’édition du 24 septembre de l’Alberta Report, traitant des derniers jours de la célèbre émission télévisée en direct Stampede Wrestling. J’ai vite commencé à pleurer de rire, et le type assis à ma gauche a voulu connaître la cause de mon hilarité.
Incapable de parler, j’ai pointé du doigt la section relatant le notoire combat par équipes de six opposant les héros de Bret Hart aux méchants de la bande d’Archie « The Stomper » Gouldie, dont le détesté Bad News Allen faisait partie. La raclée précoce évitée de justesse, l’équipe de Hart montait quand Bad News Allen commit une trahison scandaleuse. Le journaliste le résumait ainsi : « Bad News Allen, hagard, a sorti une FOURCHETTE de son short et l’a brandie devant la foule médusée avant de s’en prendre au visage d’Archie « The Stomper » Gouldie, SON PROPRE COÉQUIPIER ! »
Mon voisin a retiré ses lunettes embuées par des larmes de bonheur, avant de répéter plusieurs fois ce paragraphe à voix haute. Chaque fois qu’il en arrivait à « SON PROPRE COÉQUIPIER ! », nous nous tordions de rire.
Un quart d’heure plus tard, nous nous sommes présentés. Il s’appelait Bruce. Les jours suivants, j’ai appris qu’il jouait au squash (comme moi), au ping-pong (comme moi), qu’il lisait beaucoup (comme moi) et voulait être écrivain (comme moi). À présent, je le connais depuis plus longtemps que j’ai connu mon père, décédé à 60 ans. Bruce fut le maître de cérémonie de mon mariage, il y a 22 ans, et moi du sien quelques années après.
Aujourd’hui encore, toute conversation (qu’elle soit au sujet de la paternité, d’un projet d’écriture ou des résultats de hockey des jumeaux Sedin) est prétexte aux fous rires généralement provoqués par ces petits codes que les intimes se créent pour affronter les moments difficiles. Un message de Bruce aussi simple que « BUUUUT ! » sur mon répondeur éclaire ma journée.
J’ai toujours pensé qu’il existait une force, une sorte d’empathie gravitationnelle, qui rapproche les esprits de même sensibilité. Au secondaire, j’avais peu d’amis (j’étais petit, gros et l’objet de moqueries), mais à l’université, j’étais plus ouvert aux autres (j’avais grandi et minci). J’avais traversé une période difficile, mais j’étais maintenant au bon endroit, au bon moment. J’imagine que Bruce aussi.
Et c’est un moment agréable à évoquer, car l’essence même d’une relation émerge, en quelque sorte, de ses premiers instants fortuits. Si un conflit devait jamais menacer notre complicité, je sais qu’il me suffirait de sortir une fourchette de mon short et de la brandir devant Bruce pour rétablir la paix. De vrais amis devraient toujours pouvoir retourner à la source de leur amitié.