La femme d’affaires Danièle Henkel: de dragonne à rassembleuse
Femme d’affaires autant que de principes, Danièle Henkel s’élève contre l’emprise des médias sociaux et prône le rapprochement.
Une femme d’affaires redoutable
Bien avant que les téléspectateurs québécois la découvrent dans toute son assurance flamboyante comme investisseuse à l’émission Dans l’œil du dragon, Danièle Henkel savait déjà se démarquer, ne serait-ce que par son parcours cosmopolite. Née au Maroc, établie ensuite en Algérie, où elle travaillait pour le Département d’État américain, elle s’est installée au Québec au début des années 1990, et a bâti une entreprise florissante, et à son image.
Cette trajectoire personnelle et professionnelle, plusieurs maintenant en connaissent les détails, ainsi que les nombreux rebondissements, grâce à ses deux premiers livres, Quand l’intuition trace la route et Au cœur de mes valeurs (Les Éditions La Presse). Avec sa franchise habituelle, elle reprend la plume, observatrice attentive des mutations et des dérives qui façonnent autant le Québec que la France, deux sociétés qu’elle affectionne. Dans Ces différences qui nous rassemblent (Plon), son regard balaie tous les sujets: du monde du travail à celui de l’éducation, de la religion à la politique en passant par l’entrepreneuriat.
La femme d’affaires établit des constats implacables, pose des diagnostics sévères et invite ses contemporains au dialogue, à la curiosité, car «il a été prouvé que la capacité d’apprendre est proportionnelle à celle de s’émerveiller».
Votre histoire familiale ressemble à un condensé de celle du XXe siècle, particulièrement avec vos racines juives et allemandes, sans compter que vous avez été baptisée catholique. Est-ce que cela a fait de vous un objet de curiosité, ou une menace pour certains milieux?
Je suis autant invitée chez mes amis hassidiques que sépharades. J’ai osé leur avouer mon manque de connaissances de la culture juive; certains en ont été outrés, blâmant ma mère – encore plus quand ils ont su que mon père était allemand. Mais ils ont fini par m’accepter, et vous savez pourquoi? Parce qu’ils avaient devant eux un être humain qui s’assumait, qui ne leur a pas permis de le juger ni de juger ses parents. Ils avaient le droit de ne plus m’inviter, mais pas de me manquer de respect. Ma vie est à la mesure du respect que je me donne dans cette vie.
Cette notion est très importante pour vous, un thème récurrent dans votre livre: respect envers les aînés, les politiciens, les jeunes, les immigrants, etc.
Comment voulez-vous communiquer s’il n’y a pas de respect? Cela dépasse la compassion, l’affection et la bienveillance. Je dois prendre conscience de mes responsabilités face à l’autre, et je dois aussi me respecter en sachant qui je suis.
Car pour passer un message, rejoindre l’autre, arriver à un quelconque consensus avec qui que ce soit, il faut à la fois avoir une attitude d’ouverture, et la volonté de comprendre. Et peut-on laisser un peu de place au doute? Ce qui nous sépare des animaux, c’est notre conscience, notre capacité de choisir, dont celle de dire non, de refuser d’aller dans certaines directions.
Pour parvenir à cette lucidité et à ces échanges constructifs, vous ne semblez pas croire que les nouvelles technologies nous sont très utiles.
On ne se pose plus de questions, et nous avons tellement peu d’intérêt à nous mettre véritablement à réfléchir. L’appel de mon livre est très simple: est-ce que quelqu’un va susciter le dialogue? On reste à la surface des choses, et c’est pire avec l’arrivée d’Internet et des réseaux sociaux: on ne réalise pas à quel point nous ne sommes même plus conscients de cette emprise sur les décisions que nous prenons… mais qui ne sont pas forcément les nôtres. On a des opinions personnelles non informées, et on ne connaît même pas l’histoire, l’histoire globale, l’histoire du monde. Et à cette échelle historique, la société québécoise est comme un adolescent qui cherche sa voie, son identité, sa façon de faire, et de réagir.
Pour parvenir à la maturité, vous livrez un vibrant hommage à l’éducation, et à la valorisation du métier d’enseignant.
Mon rôle de parent, c’est que mon enfant soit en état de réceptivité, et surtout de ne jamais lui permettre de manquer de respect à l’enseignant. Sa place, il l’a méritée: c’est un guide qui transmet non seulement du savoir-faire, mais du savoir-être. C’est une responsabilité partagée entre l’école et la famille. Mais que se passe-t-il actuellement? Les parents engueulent les profs parce qu’ils n’ont pas donné une bonne note à leur enfant! Voilà pourquoi mon livre est un appel au rassemblement, parce que nous sommes face à tellement d’enjeux.
Soyons conscients, chacun d’entre nous, que nous avons un rôle en tant que collectif, et que la collectivité sera capable de changer les choses. N’attendons pas après le gouvernement! Le fric du gouvernement, il vient de nos poches. Au lieu de continuer à dire que les choses ne sont pas possibles, faisons-les! Chialer, ça ne fait que ternir, salir, décomposer.
On ne peut pas s’empêcher de lire votre essai comme l’ébauche d’un futur programme politique. Êtes-vous tentée de faire le saut?
J’ai retenu un enseignement très fort de ma mère: «Danièle, tu ne sais pas, et tu ne sauras jamais. Alors, garde ça en tête chaque fois que l’on te pose des questions. Fais de ton mieux, suis ton instinct, et la vie te mènera là où elle veut te mener.» Alors ma réponse est celle-ci: honnêtement, je ne le sais pas. Au moment où l’on se parle, non!