La Fée du Mile-End: celle qui tissait des liens
Pour rapprocher les gens de son quartier et lutter contre l’isolement, Patsy Van Roost, aussi appelée la Fée du Mile-End, a déployé toute sa magie.
Le 1er décembre 2012, dès l’aube, Patsy Van Roost se faufile discrètement sur le balcon d’une maison, rue Waverly, dans le Mile-End, à Montréal. Le plus silencieusement possible, elle ouvre la boîte aux lettres et y glisse une boîte d’allumettes et une enveloppe. À l’intérieur se trouvent les toutes premières lignes de La petite fille aux allumettes, le conte de Hans Christian Andersen, accompagnées d’une planchette vert lime et d’une missive.
Le message est simple: afficher l’extrait sur sa porte afin de permettre à tous les habitants du quartier de découvrir l’émouvant récit de Hans Christian Andersen, quelques lignes à la fois, chaque jour jusqu’à Noël.
Le soir venu, Patsy repasse devant la première résidence choisie. Victoire! Le premier morceau est là, bien en vue. En quelques jours, la rumeur se répand. L’enthousiasme gagne les voisins, qui se réunissent tous les soirs pour connaître la suite de l’histoire. La une du Devoir et une dizaine d’entrevues médiatiques plus tard, la Fée du Mile-End était née.
«À l’époque, je détestais Noël, raconte Patsy. Ma famille est éclatée à travers le globe, et cette période avait le don d’accentuer les absences.»
En 2012, monoparentale, sans travail et sans argent, la résidente du Mile-End se sent plus seule que jamais. «La petite fille aux allumettes, c’était moi!» Les moyens manquent pour créer un projet d’envergure. «Heureusement, dans une autre vie, j’étais designer de faire-part de mariage, et il me restait beaucoup de papiers et d’enveloppes. C’est tout ce que j’avais, et l’idée du conte a émergé.»
Le succès est instantané. Très vite, les gens arrêtent Patsy dans la rue pour la remercier et l’encourager à maintenir cette tradition. Enthousiasmée, l’artiste multiplie les initiatives, brisant tranquillement l’isolement et renforçant la cohésion des habitants.
«Je me suis rendu compte que la solitude que je ressentais était omniprésente.» Les expériences participatives qu’elle crée permettent donc non seulement aux gens de se rencontrer, mais aussi de se raconter.
Au cours des années suivantes, un bout de trottoir a été transformé en jardin épistolaire pour la fête des Mères, les recettes de l’amour de 150 résidents ont été dispersées en parcours poétique pour la Saint-Valentin, des anecdotes ont été affichées dans les lieux auxquels elles faisaient référence pour le jour du Souvenir, et ainsi de suite.
En 2016, Patsy veut aller encore plus loin. «À l’époque, j’avais une colocataire suisse. Dans son village, à Noël, les résidents participent à un calendrier de l’avent à échelle humaine. Chaque soir, une lumière s’allume et les voisins savent qu’ils sont les bienvenus dans cette maison.»
Ainsi naît le projet «Les portes qui s’ouvrent», où 23 habitants du Mile-End accueillent à tour de rôle des étrangers dans leur intimité et partagent leur magie avec tous ceux qui acceptaient d’en franchir le seuil. Chacun prépare quelque chose à boire ou à manger pour ses visiteurs.
«Je n’aurais jamais pu lancer une telle expérience au début de ma démarche. Rendus là, les gens me connaissaient et me faisaient confiance.» Les habitants du quartier atteignaient avec ce projet un degré de camaraderie et d’ouverture qui va se perpétuer avec le temps.
Le cerveau de Patsy, qui revient d’un séjour de deux mois au Sénégal, est en constante ébullition. «Mon travail n’aurait aucun sens dans ce pays où manger seul est une chose impensable. Tout le monde pige dans le même bol, il y en a toujours assez. Quand tu termines une conversation avec quelqu’un, il te dit immanquablement: on est ensemble. C’est d’une force!»
Cet hiver, la Fée a mis un point final à son centième projet et, depuis, elle est en jachère, à la recherche de l’étincelle d’inspiration qui lui permettrait d’entamer un nouveau projet. Mais pas question de reprendre la même formule. «Je suis une artiste, j’ai besoin d’être constamment en création. Au début, je n’aimais pas le surnom «fée». Une fée, c’est magique, ça n’agit pas. Mais j’ai compris que moi, je fée quelque chose. En ce moment, je travaille la terre, pour permettre à la nouveauté de pousser.»
Une chose est sûre, au Québec, Patsy ne peut que constater que se rassembler exige encore et toujours un effort. Heureusement, la volonté et les besoins sont là!
«Des gens m’écrivent pour me dire qu’ils sont inspirés par mes projets. Je songe depuis un moment à publier un livre où j’expliquerais ma démarche et qui permettrait aux gens de reprendre mes initiatives. Plus j’en parle et plus j’en suis convaincue. C’est ce que je dois faire!»