L’école de la vie
Craig Schellenberg apprend aux jeunes Autochtones à renouer avec l’apprentissage.
À 17 ans, Andre Bear avait déjà été expulsé de cinq écoles. Refusant d’abandonner, le grand adolescent au visage poupin, aux prises avec des problèmes de gestion de la colère, joua son va-tout en s’inscrivant à l’école secondaire Osk-ayak de Saskatoon, en Saskatchewan.
Fondée en 1981 pour venir en aide à la communauté autochtone de la région, cette école encourage l’utilisation de la langue, des traditions et de la culture autochtones en contexte scolaire. Cependant, les nobles intentions de l’institution n’avaient pas produit les résultats escomptés. Il y a cinq ans à peine, seul trois des 150 élèves avaient obtenu leur diplôme.
Alors elle a tenté, comme Andre Bear, de se réinventer. À son arrivée, en août 2010, Craig Schellenberg, le nouveau directeur, avait pour objectif d’accomplir la mission d’origine de l’établissement : « offrir un environnement stable et rassurant, propice à la réussite scolaire et à la guérison personnelle des élèves ». Il était prêt à faire les choses autrement pour y parvenir.
La première année d’innovation à l’école Osk-ayak a connu beaucoup d’essais et d’erreurs. « Nous ne voulions pas nous contenter d’ajouter toutes sortes d’artifices parascolaires », précise Craig. Pour lui, c’est ce qui se passe en classe qui a la plus grande influence sur la réussite d’un élève. « Nous avons décidé de remplacer le modèle classique de l’enseignant omnipotent qui décide du programme et de ce qu’apprendront les enfants. »
La clé, pour gagner la participation des jeunes, fut d’intégrer des traditions culturelles dans le cadre scolaire et de créer des liens de réciprocité entre élèves et enseignants (un véritable défi puisqu’il faut également respecter le programme). Tous les matins, le personnel et les élèves participent à une cérémonie traditionnelle de purification. Pour favoriser l’égalité, tout le monde, des recrues de neuvième année au directeur de l’école, se font appeler par leur prénom.
L’aménagement habituel des pupitres en classe est remplacé par des tables communes ; pour éviter l’isolement, on préfère les travaux en groupe aux exercices individuels. Au cours de ses 21 ans de carrière dans l’éducation, Craig Schellenberg s’est toujours impliqué auprès des communautés autochtones de la Saskatchewan.
« Le passé colonial du Canada a eu des effets dévastateurs sur elles, affirme-t-il. Nous avons une responsabilité et nous devons écouter ce qu’elles ont à nous dire et chercher comment nous pouvons devenir leurs alliés. »
Ses liens avec la communauté s’étendent au-delà des limites de l’école et lui ont servi de ligne directrice dans la transformation de l’école Osk-ayak. « Je crois que l’apprentissage et l’éducation reposent fondamentalement sur la qualité de la relation enseignant-élève : il s’agit de mieux se connaître et de comprendre comment s’entraider », déclare-t-il.
« Craig a créé un esprit de collaboration, témoigne Gabe Penna, qui enseigne les mathématiques et la musique.
Lors de la première réunion du personnel, il a dit une chose qui m’a libéré en tant qu’enseignant : « Si vous avez une idée, n’hésitez pas à l’essayer. » Il voulait qu’on expérimente pour trouver les ingrédients de la réussite. Les jeunes ont beaucoup de difficultés dans d’autres sphères de leur vie, mais ici, ils se sentent acceptés à tous les niveaux. »
Cette acceptation a eu un effet radical sur Andre Bear. En juin 2014, il était parmi les 55 élèves à recevoir un diplôme d’études secondaires, en plus d’être choisi pour prononcer le discours d’adieu. « Je n’aurais pas de diplôme si ce n’avait été de cette école », confie-t-il. Le temps qu’il a consacré aux cercles, notamment, l’a aidé à réussir en lui permettant de mieux connaître les enseignants. « Ils nous disaient à quel point notre réussite les réjouissait. On ne se sentait pas à l’école, mais comme au sein d’une seconde famille. »
Le succès de l’école Osk-ayak a attiré de nouveaux élèves – les inscriptions sont passées de 150 en 2010 à 320 en 2015 – et la reconnaissance de l’Association canadienne d’éducation qui lui a remis le prix Ken Spencer pour l’innovation en enseignement et en apprentissage. À l’été 2014, la Division des écoles catholiques de la région métropolitaine de Saskatoon confiait à Craig Schellenberg la mission d’instaurer dans six autres écoles secondaires un environnement tenant compte de la culture des jeunes.
« Il existe un écart important entre le taux de réussite des jeunes Autochtones et celui d’enfants issus d’autres communautés culturelles », affirme Craig Schellenberg. Dans un rapport publié en 2014, l’Institut C. D. Howe révélait que 10 % des Canadiens âgés entre 20 et 24 ans n’ont pas terminé leurs études secondaires.
Cependant, ce taux s’élève à 30 % chez les Autochtones vivant hors communauté et à 58 % chez ceux qui en font partie. « Nous sommes déterminés à combler cet écart, déclare Craig Schellenberg. Rien de moins. »