« JE POURRAIS vous en parler pendant des heures », lâche-t-il au bout du fil. Mais ces heures-là, l’avocat québécois ne les a pas. Nous l’attrapons avant son départ pour le Guatemala et le Honduras, en mission pour Avocats sans frontières Canada (ASFC), organisation qu’il a cofondée en 2002.
« Je suis avocat parce que j’ai toujours été choqué par l’injustice. Ce n’est pas forcément facile à porter, une telle colère, ironise-t-il, alors je me soigne en agissant. » Pour cet ancien avocat en droit des affaires mi-quarantaine, le passage à l’action se concrétise lorsque sa collègue Dominique-Anne Roy revient inspirée d’un voyage en Europe, au cours duquel elle a rencontré des groupes d’ASF France. À ses collègues Pierre Brun et Pascal Paradis, portés comme elle par des idéaux de justice, elle lance l’idée de fonder une section québécoise. «Nous voulions mettre à profit nos connaissances juridiques pour faire du droit un levier de changement. J’étais constamment outré de voir les inégalités dans les pays que je visitais.»
En 2015, pour la deuxième année consécutive, Me Paradis est désigné par la publication Canadian Lawyer comme l’un des 25 avocats les plus influents du pays. Humble, il veut parler d’ASFC, pas de lui. Cette reconnaissance, il l’attribue au travail de la cinquantaine de personnes qui œuvrent pour l’organisation (14 employés au siège social à Québec, 18 à l’étranger, en plus d’une quinzaine de coopérants). La reconnaissance ultime vient forcément avec les victoires, les causes arrachées à l’impunité. Pascal Paradis ressent encore l’étreinte d’une des victimes lors de la condamnation historique de l’ex-dictateur guatémaltèque José Efraín Ríos Montt. « On ne se connaissait pas, mais elle savait que j’étais de l’équipe d’ASFC. Cette étreinte était sa façon à elle de dire « vous venez de loin pour nous aider, et on le reconnaît ». »
« Pascal est un homme obstiné qui travaille sans relâche, observe Me Claudia María López David, première procureure adjointe du service du Procureur des droits humains au Guatemala, autrefois chef de mission pour ASFC. Il est aussi à l’origine du Bureau des avocats des droits de l’homme au Guatemala. Auprès des populations les plus vulnérables, sa devise est que justice soit faite. »
Dossier emblématique, puisque c’est la première fois qu’un ex-chef d’État était condamné pour génocide par la justice de son propre pays. Dans un autre procès, les responsables du massacre de la communauté de Las Dos Erres sont aussi déclarés coupables. « Cette décision était un symbole très fort, elle a ouvert une brèche importante.» En 1982, sous le régime de terreur de Ríos Montt, environ 200 habitants du village de Las Dos Erres ont été massacrés en une fin de semaine. Les familles des victimes, représentées par des associations et leurs avocats guatémaltèques, eux-mêmes appuyés par ASFC, se sont battues pour demander justice. « Ces gens ont cherché la vérité et tenté de retrouver leur dignité pendant 30 ans. Pour ça, ils avaient besoin que l’histoire soit écrite. Que cela soit dit : « ce que vous avez subi est incontestable parce qu’une décision du tribunal établit la responsabilité de l’État et d’individus. » »
Claudia María López David demeure aujourd’hui encore très impressionnée par l’engagement de Me Paradis dans ce dossier. En témoigne selon elle le temps pris par l’avocat pour « citer le nom de chacune des victimes ». Massacres, exécutions extrajudiciaires, torture, violence sexuelle systématique, enlèvements : des réalités qui « dépassent souvent l’entendement de juristes qui travaillent dans un contexte comme celui du Québec. On nous demande parfois ce que nous allons faire à l’autre bout du monde. Certes, la misère existe aussi en Amérique du Nord ; il faut s’y consacrer, des organisations œuvrent en ce sens et c’est très important. Mais en même temps, ce qui se passe à 10 000 km de chez nous peut avoir un impact demain ici. » L’actualité et son lot de réfugiés ne font pas mentir Pascal Paradis. « C’est aussi une question de solidarité, poursuit-il. C’est notre devoir humain que de s’émouvoir devant des atrocités qui se passent ailleurs dans le monde. Si on les laisse faire, si l’on n’agit pas, on perd un peu de notre humanité. Nous avons au Québec une grande richesse juridique à partager, des outils, une vision des droits et libertés bien intégrée. C’est notre devoir de faire en sorte que cette richesse contribue à élever le niveau de justice partout dans le monde. »
Avec une vingtaine de missions par an, ASFC combat sans relâche, armé du droit international. Pour l’organisme qui intervient dans deux types de dossiers, les causes emblématiques (comme celle du Guatemala) et l’appui aux avocats locaux dans leur offre de services juridiques de base, la lutte ultime reste la même : défendre les droits humains fondamentaux. Et le nerf de la guerre, tout aussi commun : financer les services. Il faut souvent des années pour voir aboutir une cause, des ressources incommensurables pour réunir les preuves dans des dossiers éminemment délicats, mais aussi assurer la sécurité du personnel sur le terrain. Avec l’aide d’agences gouvernementales et de dons, ASFC a un budget annuel qui oscille entre 700 000 et 3 millions de dollars, non sans une constante fragilité.
Dans les bureaux adjacents à celui de Me Paradis, on est en ligne avec Bogota, on prépare un projet au Mali, un autre en Haïti. Les besoins sont partout. Éternel optimiste, l’avocat se réjouit. Il y a eu des avancées extraordinaires les dernières années. En juillet 2015, quand une coalition internationale réunie à Québec pour établir une stratégie contre l’État islamique met au cœur de ses préoccupations les violences envers les femmes, pour Me Paradis c’est un véritable progrès. « Cette violence a toujours existé, mais on en parlait peu. Or, on commence à voir la nécessité d’agir. Il y a 25 ans, la Cour pénale internationale était un rêve auquel on croyait difficilement. Aujourd’hui, elle existe ! » Son prochain combat, Pascal Paradis voudrait le mener pour les droits des minorités sexuelles, « dossier en émergence. J’aimerais qu’on se reparle dans quelques années et qu’on se dise qu’on a contribué à des gains dans ce domaine. » C’est un rendez-vous !
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