Devenir un traqueur d’ovnis
Les souvenirs qu’a Jason Guillemette de l’événement sont flous, comme un rêve à demi oublié. Il avait 13 ans à l’époque et vivait avec sa famille à Cadillac, une ville minière en Abitibi-Témiscamingue. C’était en septembre, vers 21h. Il se souvient qu’il était perché sur le guidon d’un vélo, comme E.T., tandis que son frère jumeau pédalait. Ils rentraient de la maison d’un ami et se sont soudain retrouvés baignés d’une intense lumière rouge.
«Elle jaillissait directement au-dessus de nous», raconte Jason, aujourd’hui âgé de 40 ans. Habitant à Chilliwack, en Colombie-Britannique, ce barbu aux cheveux blonds poursuit: «Mon frère a aussitôt arrêté son vélo, et je me rappelle avoir levé les yeux parce que je pensais que le transformateur d’un lampadaire venait de sauter.» Mais ce n’était rien d’aussi aisément explicable.
Flottant 20 à 30 mètres au-dessus d’eux, assure-t-il, se trouvait un vaisseau spatial de la taille d’un autobus scolaire. Il était de forme oblongue, et son ventre rougeoyait comme un serpentin de cuisinière très chaud. Le vaisseau se déplaçait en silence, jetant une lumière pourpre sur la rue. Les deux frères sont demeurés bouche bée tandis qu’il les dépassait, s’éloignant au-dessus d’une rangée de maisons à l’horizon. Puis il a disparu.
Au cours des décennies qui ont suivi, Jason Guillemette et son frère ont raconté cette histoire à d’innombrables personnes. Certaines les ont crus, mais pas la majorité. Le scepticisme au sujet des extraterrestres est bien ancré dans les esprits, et à raison – en dépit de siècles d’observations supposées, aucune preuve concluante de leur existence n’a jamais émergé.
Ce moment marque cependant un tournant dans la vie de Jason. Il a vu quelque chose que tous les haussements de sourcils du monde ne pourraient changer. «Il n’existe pas une personne sur cette Terre qui puisse m’affirmer que je n’ai pas vu ce que j’ai vu», me dit-il. Cet événement a marqué le début de ce qu’il décrit comme l’obsession d’une vie pour les ovnis: lire des livres, regarder des documentaires et visiter d’obscurs sites internet ou des forums en ligne. Il a fini par intégrer la communauté canadienne d’ufologie.
N’hésitez pas à lire ces témoignages qui affirment que ces personnes ont vraiment vu des ovnis.
Qu’est-ce que l’ufologie?
Les ufologues étudient les objets volants non identifiés. On estime qu’il y aurait aujourd’hui 10 000 ufologues amateurs en Amérique du Nord, et l’intérêt pour cette discipline ne cesse de croître.
Depuis des dizaines d’années, les ufologues comme Jason opèrent à la périphérie de la science et du monde universitaire. Ils organisent des réunions virtuelles et échangent sur Facebook des vidéos d’étranges lumières dans le ciel nocturne. Ils mènent leurs propres recherches. La vérité est là-haut, insistent les ufologues, si seulement on prenait la peine de la chercher.
L’expérience de Jason peut sembler un peu invraisemblable. Mais les observations d’ovnis sont étonnamment courantes. Près de 10% des Canadiens affirment en avoir vu un. En moyenne, on rapporte trois observations d’ovnis chaque jour au Canada, selon l’organisme Ufology Research situé à Winnipeg. Ce groupe a comptabilisé 1243 apparitions en 2020, soit presque 50% de plus que l’année précédente.
«Peut-être parce que durant la pandémie, les gens avaient plus de temps pour observer le ciel», avance Chris Rutkowski, qui a fondé Ufology Research en 1979.
Chris dirige son organisme de recherche bénévole de chez lui, dans un bureau encombré de bibliothèques, de figurines de E.T. et de poupées de Marvin le Martien. Il n’a jamais aperçu d’ovni lui-même, me dit-il, mais a commencé à recueillir des témoignages lorsqu’il était étudiant en astronomie à l’université du Manitoba, dans les années 1970. Il parlait à des personnes de tous horizons – des agriculteurs aux pilotes de ligne en passant par des opérateurs de radar. «Il est devenu évident qu’il existait un phénomène fascinant qui méritait d’être étudié», déclare-t-il.
Vous serez surpris d’apprendre que ces observations d’ovnis restent inexpliquées à l’heure actuelle!
Comment prouver que les ovnis existent?
Dans ses rapports, Ufology Research classe les dossiers selon le nombre de témoins, la couleur et la forme de l’ovni (des sphères jusqu’aux boomerangs), le degré «d’étrangeté» (une rencontre avec des «extraterrestres à la peau grise» serait considérée comme très étrange, au contraire d’une simple lumière dans le ciel), la fiabilité de l’observation (basée sur le nombre de témoins et le degré de documentation) et sa durée. En 2020, l’observation typique a duré plus de 20 minutes et comptait entre un et deux témoins.
La majorité de ces événements s’explique par un aéronef, des satellites, des drones ou un simple reflet dans l’objectif d’un appareil photo. Malgré tout, environ 5% de tous les rapports d’observations d’ovnis reçus par Chris Rutkowski demeurent mystérieux. Ce sont ceux-là – ceux qui ne peuvent être aisément expliqués – qui enthousiasment les ufologues.
Mais comment prouve-t-on que les ovnis existent? C’est un éternel casse-tête pour les ufologues. La vérité est peut-être là-haut – mais elle est désespérément insaisissable. Les observations d’ovnis sont souvent brèves. Les souvenirs des événements sont souvent incertains et les photos, floues.
Jason Guillemette travaille bénévolement comme enquêteur pour le Mutual UFO Network (MUFON, «réseau de partage sur les ovnis»), un organisme américain de plus de 4000 membres. Il estime passer plus de 15 heures par semaine à enquêter sur des observations, à lire les dernières nouvelles du monde de l’ufologie et à produire un podcast mensuel sur le sujet. Il accomplit tout cela en jonglant avec une vie de famille (il a deux enfants) et son emploi d’agent d’assurances.
«Lorsque j’ai commencé à parler d’ufologie à ma femme, elle n’était pas certaine de me suivre», admet-il. Mais elle le soutient, affirme-t-il, et le rejoint même parfois pour observer le ciel nocturne devant leur maison.
Les enquêtes de Jason commencent généralement de deux manières: soit quelqu’un envoie une demande sur le site du MUFON, soit on le contacte sur l’un des nombreux groupes Facebook dédiés à l’ufologie, comme UFO BC.
La plupart du temps, il est capable de trouver une explication rationnelle. Il envoie souvent des vidéos à d’autres bénévoles du MUFON spécialisés dans l’analyse des images numériques. Il se réfère à des sites internet qui traquent les trajectoires de vol des satellites, des avions et de la Station spatiale internationale – les premiers suspects lors d’observations d’ovnis, explique-t-il. Jason décrit une affaire récente: un couple déclarait avoir vu d’étranges lumières flotter au-dessus d’un lac voisin. Les lumières décrivaient des cercles sur le lac, puis ont plongé dans l’eau avant de remonter quelques instants plus tard et de disparaître au loin. Il s’agissait en fait d’un avion qui remplissait ses réservoirs d’eau pour combattre un feu de forêt.
Rien que sur Terre, il y a eu des découvertes archéologiques vraiment bizarres!
Légendes et phénomènes inexpliqués
Mais à l’instar des observations soumises à Ufology Research, certaines défient les explications simples. Récemment, plusieurs témoins ont rapporté avoir observé un ovni triangulaire portant trois lumières sur son ventre dans la vallée du Fraser, relate Jason Guillemette. Dans des cas comme celui-ci, l’homme fait ce qu’il appelle une «ronde de nuit». Il emporte son équipement – une caméra, un trépied et des jumelles – sur les lieux de l’observation et s’installe pour la soirée en espérant apercevoir quelque chose d’inhabituel.
Jusqu’à présent, Jason n’a obtenu aucune preuve tangible d’une vie extraterrestre. Les mystérieuses lumières triangulaires continuent de lui échapper – apparaissant ici et là, comme un incessant jeu de cache-cache.
L’humanité observe d’étranges phénomènes dans le ciel depuis la nuit des temps. Il existe de nombreux récits de rencontres cosmiques dans les cultures autochtones. Prenez par exemple la légende de «l’homme venu du ciel» des Anichinabés du centre de l’Ontario, dont une version a été enregistrée en 1917 par un ethnologue, le colonel G.E. Laidlaw. Il y a 500 ans, deux Ojibwés sont tombés sur un inconnu assis dans une prairie herbeuse. Ce personnage, décrit comme «propre et resplendissant» a déclaré: «Je ne viens pas de cette Terre. Je suis tombé du ciel hier, et me voilà ici.» Les Ojibwés ont invité l’homme du ciel à les rejoindre dans leur village, où il est resté un moment, visiblement agité. Un après-midi, il a levé les yeux et annoncé: «Ils arrivent.» Les villageois ont levé la tête et ont vu ce qui ressemblait à une étoile très brillante descendre du ciel et flotter près du sol. L’homme du ciel est entré dans l’étoile et a disparu hors de vue. Le vaisseau a ensuite fusé dans l’azur pour s’évanouir dans le lointain.
Les premières observations d’ovnis
La première observation d’ovni de l’ère moderne est souvent attribuée à un pilote américain du nom de Kenneth Arnold. Le 24 juin 1947, il pilotait son avion à hélices de Yakima vers Chehalis, dans l’État de Washington. À mi-chemin, il prétend avoir vu neuf objets quitter le sol près du mont Rainier et le dépasser à une vitesse supérieure à 1600 km/heure. Ils tourbillonnaient comme des «soucoupes», a-t-il affirmé aux journalistes le lendemain.
Dans le sillage de Kenneth Arnold, les Américains se sont mis à apercevoir toutes sortes d’objets non identifiés au-dessus de leur tête. Au même moment, les forces aériennes du pays ont commencé à recueillir des observations d’ovnis dans le cadre de ce qui s’appelait le projet Blue Book. Ce programme de recherche a duré près de 20 ans, collectant plus de 12 000 observations. Le projet Blue Book a été classé quand l’armée a conclu qu’elle n’avait trouvé aucune preuve de l’existence d’ovnis (un fait que les ufologues réfutent encore aujourd’hui).
En 1950, le gouvernement canadien a lancé un programme de recherche similaire appelé projet Magnet. Un observatoire d’ovnis a même été construit à Shirleys Bay, aux abords d’Ottawa. Cette cabane de quatre mètres carrés abritait plusieurs instruments, dont un compteur de rayons gamma, un magnétomètre, un récepteur radio et un amas d’antennes. Le programme a pris fin à peine quelques années plus tard, le gouvernement concluant que les ovnis «ne se prêtent pas à l’investigation scientifique».
Vers la même époque, dans le village de Shag Harbour, en Nouvelle-Écosse, plusieurs habitants ont affirmé avoir vu un objet brillant voler au-dessus du port avant de plonger dans l’eau, dans la nuit du 4 octobre 1967. Les témoins auraient entendu un sifflement «comme celui d’une bombe», suivi d’un souffle, et enfin une forte détonation. L’objet n’a jamais été identifié.
La même année, à Falcon Lake, au Manitoba, le mécanicien Stefan Michalak a soutenu avoir vu deux vaisseaux brillants en forme de cigares lors d’un voyage de prospection en forêt. Selon sa description des faits, l’un des vaisseaux a atterri, mais lorsqu’il a tenté de s’en approcher, il a été sévèrement brûlé. Il s’est rendu à l’hôpital avec d’étranges cloques en forme de grille sur le corps. Pendant des semaines après les faits, Stefan Michalak a souffert de maux de tête, ainsi que de pertes de connaissance et de poids.
Le saviez-vous: les extraterrestres sont interdits dans les vignobles de Châteauneuf-du-Pape en France! Oui, c’est l’une des lois les plus bizarres à travers le monde!
Sommes-nous seuls dans l’univers?
Aujourd’hui, les gouvernements et les universités étudient plus sérieusement la possibilité de l’existence de vie sur d’autres planètes. Le domaine de recherche connu sous le nom de Search for Extraterrestrial Intelligence, ou SETI («Recherche d’intelligence extraterrestre») est désormais reconnu dans le monde universitaire. Les projets de SETI impliquent de pointer des télescopes radio géants vers des recoins éloignés de la galaxie pour écouter les signaux pouvant provenir d’une vie intelligente. Ce domaine a récemment pris son essor, alimenté par des donateurs privés et par la découverte de milliers d’exoplanètes, semblables à la Terre, ailleurs dans la galaxie. L’un des plus grands télescopes du monde se trouve près de Penticton, en Colombie-Britannique. En 2019, des scientifiques ont fait les gros titres après avoir enregistré là-bas de mystérieux signaux répétés en provenance d’un lointain système solaire, un phénomène encore inexpliqué.
Serons-nous un jour étonnés d’avoir cru jadis être seuls dans l’univers? Peut-être. Il n’y a pas si longtemps, des scientifiques croyaient que des extraterrestres vivaient sur Mars. Au XIXe siècle, un astronome italien appelé Giovanni Schiaparelli jurait avoir observé des canaux à la surface de la planète rouge. Ils avaient forcément été creusés par quelqu’un, arguait-il (en réalité, il s’agissait de particularités topographiques de la planète). Quelques siècles plus tôt, nous pensions que l’univers entier tournait autour de la Terre. Tout cela pour conclure que la science ne cesse d’évoluer. Ce qui était autrefois considéré comme une hérésie peut se muer en vérité communément admise. Ou pas.
Il est difficile de savoir quoi répondre lorsqu’on vous affirme avoir vu un ovni. Cela ne colle tout simplement pas avec notre vision du monde. Pour cet article, j’ai discuté avec trois personnes qui avaient observé des objets inexplicables dans le ciel. Chacune m’a livré un témoignage honnête, décrivant son expérience avec une certitude irréfutable. J’y suis allé chaque fois d’un «wow», un raccourci signifiant: Je ne sais vraiment pas quoi vous dire.
Mais d’une certaine manière, je pouvais comprendre. Enfant, j’ai vécu une expérience plus ou moins similaire, bien qu’il ne s’agisse pas vraiment d’un ovni. Voici ce dont je me souviens: j’avais six ou sept ans à l’époque, et je me tenais sur les marches du perron arrière d’un voisin, en compagnie d’un ami qui vivait dans la même rue. C’était en début de soirée, et un orage venait de passer. L’air était lourd, le sol encore humide. C’est alors que nous l’avons aperçue: une boule de feu, flottant comme une comète à environ trois mètres du sol. Elle faisait la taille d’un ballon de basket et semblait glisser sur l’air en défiant la gravité.
Je ne me rappelle pas où est allée cette boule de feu ni à qui nous avons raconté cela, si nous l’avons fait. C’est un souvenir qui semble hors du temps. Mais cet événement m’a toujours suivi. Des années après, en feuilletant des livres dans la bibliothèque de mon université, j’ai trouvé une réponse: un phénomène connu sous le nom de «foudre globulaire». Il existe de nombreux témoignages historiques de boules de foudre – entrant par une fenêtre ouverte, surgissant d’un foyer, et même flottant dans l’allée d’une église – bien qu’il n’existe toujours pas de véritable explication scientifique. Malgré tout, trouver une réponse plausible était un vrai soulagement pour moi.
Mais peut-être que la quête de réponse est une erreur. Peut-être que l’observation d’un phénomène inexplicable dans le ciel a le pouvoir de nous rappeler que nous ne savons pas tout, et que les mystères existent toujours. Ainsi, l’ufologie se rapprocherait plus d’une religion moderne ou d’une philosophie – ancrée dans la croyance que nous ne sommes pas seuls et que la salvation (sous la forme d’un visiteur extraterrestre) est encore possible.
«Les gens désirent croire qu’il existe une vie là-haut, m’a dit Chris Rutkowski, de Ufology Research. Cette croyance modèle notre culture et notre société. Elle fait partie de notre identité. Je pense que nous en sommes venus à espérer qu’il y ait quelqu’un dans l’univers souhaitant entrer en contact avec nous.»
J’ai demandé à Jason Guillemette, l’ufologue qui a aperçu le vaisseau de la taille d’un autobus lorsqu’il était enfant, quand il pensait qu’on prouverait l’existence des ovnis. Il m’a parlé d’un récent reportage sur deux pilotes de l’armée américaine qui ont enregistré plusieurs interactions avec ce que le Pentagone a décrit comme un «phénomène aérien non identifié». Les vidéos montrent un objet rond ressemblant au sommet d’une toupie léviter puis fuser devant la cabine des pilotes (on peut entendre l’un d’eux intervenir d’une voix traînante: «Regarde ce truc»). Selon un article du New York Times, le mystérieux objet était capable d’atteindre une vitesse supersonique, sans fumée d’échappement ni moteur visible. Ces vidéos valent la peine d’être regardées, mais ne représentent pas vraiment l’irrésistible démonstration que je cherchais.
«Je parle de preuve irréfutable», ai-je rétorqué – une preuve qui convaincrait même des sceptiques de l’ufologie. «Je dirais certainement dans les cinq prochaines années, a fini par prédire Jason Guillemette. Cinq ans, c’est sûr.» Il a marqué une pause avant de conclure: «Enfin, espérons-le.»
©2021, Maisonneuve. Tiré de «I Want To Believe», par Brad Badelt, Maisonneuve (17 juin 2021), Maisonneuve.org
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