Un employé de Canada Fibers donne l’alarme
Le 3 mai 2016 au matin, un employé de Canada Fibers a remarqué quelque chose d’anormal et a donné l’alarme. C’est dans cette vaste usine du nord-ouest de Toronto que sont triées les 800 tonnes de matières recyclables collectées quotidiennement par le service de gestion des déchets de la ville. Dans un vacarme assourdissant, une machinerie complexe sépare les contenants d’aluminium et d’acier, le verre, le papier, le carton, le polystyrène et de nombreux autres plastiques.
Une fois triés, ces produits sont comprimés en gros ballots et expédiés à des acheteurs, qui les défont et les revendent à des fabricants. Ceux-ci en tirent de nouveaux produits, qui seront commercialisés… puis jetés à nouveau dans des bacs de recyclage, où l’un des 800 camions-bennes de la ville les ramassera. Puis tout recommencera.
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Macabre découverte
Le processus a été perturbé il y a deux ans, lorsque les machines n’ont pas réussi à identifier et à trier ce que la police qualifiera de « partie de corps humain ». Quelques minutes plus tard, le bruit a cessé, et l’usine a dû fermer pendant 24 heures.
Pour Derek Angove, le directeur de la gestion des déchets solides de la ville, le problème immédiat n’était pas tant la macabre découverte – affaire relevant de la police – mais bien de trouver un endroit qui accueillerait le flux constant de matières recyclables qui se déverse normalement sur les lieux au rythme de deux tonnes à la minute.
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Avoir un plan B
Dès la fermeture, M. Angove s’est tourné vers le sud de l’Ontario et Buffalo. « Mon travail est de veiller à ce que tous les déchets amassés – des restes de cuisine aux sapins de Noël, en passant par les matelas, les tapis et les cuvettes de toilettes – arrivent à bon port. À la moindre interruption, les postes de tri saturent rapidement, les camions ne peuvent plus décharger et tout devient très vite compliqué. »
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« Suicide par les ordures »
Dans un monde de plus en plus enclin au « suicide par les ordures », comme l’a écrit l’américain Jim Harrison, Toronto semble être un simple point sur la voie de l’autodestruction mondiale. « Son cas est trompeur, objecte Myra Hird, spécialiste en gestion des déchets à l’École d’études environnementales de l’Université Queen’s à Kingston, en Ontario. La gestion municipale est si efficace qu’on ignore leur quantité et leur destination ; on ne les voit pas, on n’y pense pas. »
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720 kg
Un néophyte assistant à ces opérations sera frappé par leur volume, leur variété et leur coût (plus d’un million de dollars par jour). Mais le plus effarant, c’est la cadence infernale à laquelle arrivent les détritus. Malgré l’image écologique flatteuse qu’on a du pays, le Canada est le deuxième plus grand producteur de déchets par habitant au monde, tout juste derrière les États-Unis.
« On croit souvent que si les autres pays ressemblaient davantage au Canada, la planète pourrait être sauvée, dit Myra Hird. En réalité, elle serait encore plus polluée. » Chaque Canadien produit 720 kg de déchets par année, soit deux fois plus qu’un Japonais.
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Toronto : au coeur de la question
« Métropole canadienne, Toronto est naturellement au cœur de la question, continue la spécialiste. Elle traduit bien visiblement ce qui se fait ou ne se fait pas, dans l’ensemble du pays, en ce qui a trait aux détritus domestiques. »
Aux 200 000 tonnes de matières recyclables traitées chaque année par la ville s’ajoutent les 10 000 tonnes hebdomadaires de déchets que produit sa population. Pour une efficacité maximale, le trafic des poids lourds – transportant chacun près de 40 tonnes – est soigneusement synchronisé afin qu’ils arrivent toutes les 10 minutes au dépotoir municipal de Green Lane, près de London, en Ontario.
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130 hectares de déchets
Situé au nord de l’autoroute 401, 200 km à l’ouest de Toronto, ce lieu d’enfouissement public de 130 hectares – le plus grand au Canada – répand une odeur nauséabonde à travers la campagne environnante. Toutefois, il est à peine visible pour qui ne le cherche pas expressément.
Depuis la longue rampe d’accès qui conduit au bord de la décharge, la vallée peut évoquer un immense chantier de fouilles archéologiques, mettant au jour une civilisation plutôt familière, ou plutôt ce qui en reste lorsqu’elle entasse dans des sacs les résidus du pillage de la planète, puis les jette dans un grand trou de 11 millions de mètres cubes.
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Convertir le méthane en énergie utilisable
Ce dépotoir loue des oiseaux de proie pour éloigner les goélands. Néanmoins, comme tous les autres, il contient une multitude de micro-organismes qui se nourrissent d’ordures et produisent chaque minute 96 m3 de méthane, un gaz à effet de serre. Le méthane est capté par des dizaines de conduits verticaux et horizontaux puis brûlé à la torche – on prévoit toutefois de construire une centrale qui le convertira en énergie utilisable. À Keele Valley, l’ancienne décharge de Toronto mise hors service il y a 16 ans, le méthane continue de s’échapper, alimentant une centrale fournissant de l’électricité à plus de 20 000 foyers.
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L’enfouissement des déchets
Le Canada compte environ 2400 lieux d’enfouissement actifs (grands, petits, publics et privés). La plupart sentent mauvais ; certains produisent des substances chimiques et des métaux lourds qui s’infiltrent dans le sol et les nappes phréatiques ; d’autres sont propices à la vermine ou aux incendies ; la majorité favorise la circulation lourde et produit de la poussière.
Il y a pire
À Toronto, les déchets résidentiels, y compris les matières recyclables, ne représentent que le tiers des déchets urbains. Les deux autres tiers proviennent de l’industrie, des commerces et de divers établissements privés et publics (restaurants, écoles, centres commerciaux, usines, bureaux, chantiers de construction et de démolition).
Le coût des ordures
Ces matières résiduelles ne sont pas toujours ramassées par les municipalités, qui établissent des programmes responsables, mais par des transporteurs de déchets privés. Or les recherches ont démontré qu’ils ne recyclent que 13 % des matières collectées ; le reste est envoyé dans des dépotoirs et des incinérateurs privés (le taux de recyclage de la ville est, lui, de 52 %). « Rediriger des ordures vers le recyclage coûte cher, explique Daniel Hoornweg, professeur en systèmes énergétiques à l’Institut de technologie de l’Université de l’Ontario à Oshawa et ancien conseiller en gestion des déchets de la Banque mondiale. Le seul souci de ces entreprises privées est de s’en débarrasser au plus bas coût. Et la négligence des municipalités en est en partie responsable : “Peu importe ce que vous en faites pourvu que nous n’ayons pas à les ramasser ni à les voir.” »
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La contamination du sol et de l’eau
Le plus troublant est que l’ensemble des déchets urbains du Canada ne représente que le tiers des matières résiduelles du pays. « Une part importante est générée par les mines, l’agriculture et l’armée », explique Myra Hird.
Certaines compagnies minières responsables ramassent leurs résidus miniers, mais beaucoup restent sur place, répandant leurs poisons dans le sol et l’eau. « Il est question de chlore, de dioxines, de furanes ; des substances parmi les plus toxiques qui soient. »
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Des solutions temporaires
Pourquoi l’État ne force-t-il pas les sociétés minières à se conformer aux lois environnementales? Au Canada, quelque 28 000 exploitations ont été abandonnées par des entreprises qui ont pris tout ce qu’elles pouvaient avant de déclarer faillite ou de disparaître, déclare Myra Hird. Par exemple, les résidus de la mine d’or Giant, près de Yellowknife, contiennent un quart de million de tonnes d’anhydride arsénieux mortel, qu’on s’est contenté de congeler afin de limiter la contamination. « Ils ont peut-être contenu le problème temporairement, mais en réalité, ils l’ont simplement transmis aux générations futures. »
Les principaux responsables
L’agriculture répand autant de déchets que l’industrie minière. Il s’agit principalement d’eau contenant nitrates, hormones et médicaments, qui s’infiltre dans les nappes phréatiques, puis contamine lacs et rivières.
« L’accès aux documents militaires étant limité, on ne connaît pas tout de suite la quantité générée par l’armée. Mais nous le découvrons peu à peu. Entre autres, sur la ligne DEW, dans l’Arctique : véhicules, unités de logement, batteries, infrastructures, réservoirs de carburant, circuits imprimés, et substances chimiques extrêmement toxiques ont été laissés derrière. »
Fermer les yeux sur les multinationales
Selon Myra Hird, si on accorde plus d’importance aux déchets résidentiels c’est uniquement parce qu’on a davantage d’informations à leur sujet. « Et jusqu’à un certain point, cela fait l’affaire de nos dirigeants, qui préfèrent probablement fermer les yeux sur les résidus miniers, nucléaires ou industriels. Il est beaucoup plus facile de transformer les habitudes des ménages que celles des multinationales. »
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« Tu ne jetteras pas »
Difficile d’imaginer un avenir sans dépotoirs face à cette situation cauchemardesque. Pourtant, dans beaucoup de services de gestion des déchets municipaux, la règle du « zéro déchet » est devenue une sorte de mantra aux résonances évangéliques : « Tu ne jetteras pas. » Toronto a récemment publié une brochure intitulée Les déchets solides : notre trésor caché, où on exprime l’espoir que d’ici 30 ans seulement, la totalité des ordures résidentielles collectées connaîtront une nouvelle vie après la poubelle ou le bac bleu. La ville de Toronto s’étant fixé cet objectif de récupération totale, elle ne prévoit pas ouvrir de nouvelles décharges.
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Réduire la consommation
Le recyclage, au sens d’une « exploitation de mines urbaines », peut réduire une partie des déchets, remarque Myra Hird. Selon des recherches menées en Suède, « il y a autant de métaux de valeur dans les infrastructures désuètes de nos villes que dans beaucoup de mines », bien que leur extraction puisse entraîner d’autres contaminations.
Daniel Hoornweg reconnaît que le recyclage est une stratégie efficace pour réduire les déchets solides, mais la véritable solution est de réduire la consommation en amont. « Lors du recyclage, 95 % des dommages environnementaux ont déjà été faits, pendant la fabrication, l’extraction du pétrole, la pollution de nos rivières et de l’air. »
Y a-t-il une véritable solution ?
« Consommer moins », répond calmement M. Hoornweg. Le problème, ajoute-t-il, « est que notre économie est fondée sur la production continuelle d’objets de pacotille. Nos dépotoirs en témoignent : ces choses ne se retrouveraient pas là, si ce n’était pas le cas! Personne ne veut que notre économie s’effondre ; on ne peut dire aux entreprises qui emploient des Canadiens de cesser de produire des biens, ou aux magasins de cesser de les vendre. Mais notre économie est déjà défaillante car elle détruit la planète pour produire ces détritus. Et le cycle se poursuit : fabriquer, consommer, jeter. »
Le mythe d’une solution miracle
« En matière de gestion des déchets, on répète sans cesse la même histoire : un jour, les ingénieurs, les scientifiques ou peut-être les sociologues trouveront une solution. En répandant ce mythe, on met sur les épaules de nos enfants une immense responsabilité quant à l’avenir du monde. On leur dit : “réduisez, réutilisez, recyclez”, alors que nous, les adultes, recyclons un peu, réutilisons à l’occasion et ne réduisons rien du tout. On veut continuer à consommer », résume Myra Hird.
Quel avenir pour la planète?
Ceux qui se préoccupent du problème ne font-ils pas face à une situation qui est peut-être déjà irréversible ? « Je ne me qualifierais pas d’optimiste. Mais je crois qu’il existe un avenir plus modeste que notre présent. Le changement climatique à lui seul s’en chargera », répond vivement Myra Hird.
Quand je lui dis, en plaisantant, que des extraterrestres nous conduiront peut-être à une nouvelle planète, elle éclate de rire. « Je ne crois pas que nous aurons cette chance. Peut-être réussiront-ils à nous convaincre d’être plus responsables. Jusqu’à présent, les scientifiques n’y sont pas arrivés. »
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