Georges Laraque : Militant de choc
Racisme, indifférence, détresse, gaspillage: pour l’ex-guerrier de la LNH, Georges Laraque, les vraies batailles se gagnent hors des patinoires
Pendant 12 ans, il a fait partie des terreurs de la LNH; d’un crochet du gauche, il pouvait arracher le casque de son adversaire. En 2008, quand l’homme que Sports Illustrated avait sacré policier numéro un de la Ligue a enfin endossé l’uniforme des Canadiens de Montréal, sa ville natale, on s’attendait à ce qu’il distribue une pluie de coups de poing. Mais, victime d’une double hernie discale lors de son premier camp d’entraînement, il a dû carburer à la cortisone pour surmonter la douleur. C’est à peine si on le voyait sur la glace, au grand dam de ses admirateurs. Et, quand il jouait, il semblait réticent à se battre. «Le Rock serait-il devenu mou?» se demandaient les commentateurs sportifs.
Le 21 janvier 2010, au milieu de sa deuxième saison à Montréal, l’attaquant a été retranché de l’alignement. Il était devenu une «source de distraction» pour l’équipe, justifiait Bob Gainey. Le joueur l’a mal pris sur le coup, mais, aujourd’hui, il estime que c’était la meilleure chose qui pouvait lui arriver.
«J’ai annoncé que je ferais encore une saison parce que je voulais choisir mon moment, mais, quand on se laisse guider par son ego, on prend souvent la mauvaise décision. La bonne vient toujours du cœur. Une fois calmé, je me suis dit que j’allais prendre ma retraite et passer à autre chose.»
Il ne lui a pas fallu longtemps pour trouver d’autres raisons de se battre. Un an après son départ précipité, Georges Laraque est devenu chef adjoint du Parti vert du Canada et porte-parole de TerraSphere Systems, un fabricant de systèmes de culture hydroponique. Il a réuni deux millions de dollars afin de reconstruire l’Hôpital Grâce pour enfants en Haïti. Il a même remis ses patins pour un concours de danse sur glace – mais là encore, c’était uniquement pour la bonne cause.
Comment l’ex-bagarreur s’est-il si vite reconverti en entrepreneur, activiste et chef politique? A priori, on dirait une métamorphose. En fait, c’est la suite logique d’un parcours ancien. Fils aîné de deux immigrants haïtiens, le petit Georges a découvert le hockey en 1980, à l’âge de quatre ans. Contrairement à la plupart de ses camarades de Tracy, la ville du Québec où il a grandi, il n’aspirait pas à devenir hockeyeur professionnel. «Le hockey n’était pas mon sport favori, confie-t-il. Mon père était joueur professionnel de soccer en Haïti, et je voulais faire comme lui.»
C’est pour se faire accepter dans une ville où le hockey régnait sans partage qu’il s’y est mis. Il a dû batailler ferme. «Je me suis fait traiter de tous les noms, même de nègre. J’avais parfois l’impression d’avoir été rebaptisé», raconte-t-il en évoquant l’année où il n’a pas pu jouer parce qu’aucun entraîneur ne voulait d’un jeune Noir dans son équipe. Les moqueries et la discrimination l’ont aidé à relever le défi. «Le racisme était si répandu que je me suis juré de réussir pour donner l’exemple à tous les garçons qui vivent ce que j’ai subi.»
Devenu l’un des rares joueurs noirs de la LNH après son repêchage par les Oilers en 1997, il s’empresse d’appliquer ce programme de motivation aux jeunes de sa ville d’adoption. En huit saisons passées au sein de l’équipe d’Edmonton, il visite plus de 50 écoles pour haranguer les élèves ou leur faire la lecture. Il s’implique dans un nombre incalculable de bonnes œuvres, dont l’hôpital Stollery pour les enfants, l’Armée du Salut et DARE – une campagne de lutte contre la toxicomanie, où il explique à des groupes de jeunes pourquoi il a banni l’alcool et les drogues de sa vie. «Les bagarres que je livrais me stressaient tellement, se rappelle-t-il, que j’étais tout content de faire autre chose; rencontrer des gens me permettait de montrer que j’étais davantage qu’un joueur de hockey.»
Georges Laraque se fait remarquer aussi dans d’autres domaines. Il devient membre d’une équipe d’impro, les Die-Nasty, et anime cinq émissions à la radio, dont Summer Lovin’, une tribune téléphonique sur les relations sentimentales, qui devient l’une des émissions les plus populaires d’Edmonton en 2006. «Elle était tellement suivie que les gens m’arrêtaient à l’épicerie pour me parler de leur vie amoureuse, raconte-t-il. J’ai arrêté à la fin de l’été parce que c’était trop.»
Le départ de Georges Laraque pour Phœnix en 2007 ne passe pas inaperçu. Depuis quatre saisons, son travail auprès des jeunes lui vaut chaque année le prix du joueur le plus dévoué à la collectivité. «Ce n’est pas mon boulot qui me définit, c’est ce que je fais hors de la patinoire, dit-il. Ramener le sourire sur le visage d’un enfant qui souffre, ça n’a pas de prix.»
Le retour du hockeyeur à Montréal coïncide avec une réorientation de son bénévolat: l’aide aux jeunes cède la place à la défense des animaux. La révélation lui est venue au printemps 2008, lorsqu’il a vu Terriens, un documentaire sur le traitement inhumain des animaux par les producteurs agroalimentaires, l’industrie de la mode et les chercheurs médicaux. «Après 10 minutes, je braillais, avoue le colosse de 1,91 m et 125 kilos. Je me trouvais idiot. J’ignorais que les animaux souffrent. Je ne savais pas comment on les élevait.»
Scandalisé et dégoûté, il se convertit sur-le-champ au végétalisme. Au cours de l’année suivante, il fait la narration de la version française du film et organise des projections et des conférences dans la région de Montréal pour partager ses idées sur l’alimentation, la santé, le respect des animaux et l’environnement. «Ce documentaire a bouleversé ma vie», déclare Georges Laraque, aujourd’hui copropriétaire de Crudessence, une chaîne biovégétalienne qui possède deux restaurants à Montréal.
Le dévouement de l’athlète au bien-être des animaux et à la cause environnementale attire l’attention d’Elizabeth May, chef du Parti vert. «Je ne connaissais pas le hockeyeur, dit-elle, mais nous avons entendu parler de lui par des membres québécois de notre parti qui avaient collaboré avec lui sur la question des droits des animaux.» Elle a appris à le connaître après l’annonce de son adhésion au parti, en février 2010. «Il m’a paru très réfléchi et attentionné, dit l’avocate écologiste. Quand mon adjoint Jacques Rivard a quitté son poste, nous avions besoin d’un remplaçant. Nous avons rencontré Georges, et il nous a paru un bon candidat.»
A titre de chef adjoint (le Parti vert en a deux), Georges Laraque n’a pas l’intention de passer son temps à rédiger des projets de loi derrière des portes closes. «Ma première tâche, c’est d’inciter les gens à voter, dit-il. Nous vivons en démocratie; un taux d’abstention de 41 pour 100, c’est une tragédie et une honte nationale.»
S’il ne demande qu’à parler d’environnement, il n’a pas tellement envie de discuter de politique; son boulot, c’est de promouvoir le parti. «Là où il peut nous être le plus utile, c’est en nous faisant connaître et aimer des gens qui ne s’intéressent pas à la politique, dit Elizabeth May. Il est connu de tellement de Canadiens!»
Parmi les causes qui tiennent le plus à cœur au vétéran de la Ligue nationale figure la reconstruction de l’Hôpital Grâce pour enfants de Port-au-Prince, détruit par le séisme qui a tué près de 300000 personnes en janvier 2010. Pour atteindre son but, Georges Laraque a collaboré avec l’association des joueurs de la LNH et Vision mondiale Canada. «Nous voulons trouver quatre millions de dollars pour construire un bâtiment plus grand, plus solide et offrant plus de services.»
Un an après la catastrophe, le déblaiement – à la main – des décombres n’est pas encore terminé. La reconstruction devra attendre. Mais Georges Laraque est résolu à ce qu’elle se fasse. Il y tient tellement, en fait, qu’il a accepté de participer à la série Battle of the Blades de la CBC, un concours de danse sur glace opposant des duos formés d’ex-hockeyeurs et de patineuses artistiques de classe mondiale. A la clé, un don de 100000$ aux œuvres caritatives choisies par les gagnants.
Pendant le mois précédant l’émission, Georges Laraque et sa partenaire, Anabelle Langlois, se sont entraînés cinq heures par jour, cinq jours par semaine. A ce régime s’ajoutaient pour l’ancien hockeyeur des cours de danse et des séances de yoga de 90 minutes. Malgré cet entraînement intensif, le couple a été exclu après le deuxième épisode, mais Georges Laraque y a récolté 25000$ pour son hôpital.
En septembre dernier, il s’est rendu en Haïti pour la seconde fois depuis le séisme. Il était accompagné de Nick Brusatore, le cofondateur de Terra Sphere, société qui conçoit et fabrique des fermes verticales. «Son système hydroponique peut produire des millions de tonnes de légumes sans engrais chimiques ni fumier – à partir d’énergies nouvelles, explique Georges Laraque. Cette technologie pourrait sauver le monde.» Les deux hommes ont fait le voyage pour étudier la possibilité d’implanter l’agriculture verticale en Haïti sans priver les paysans locaux de leur gagne-pain. Ils ont également passé quatre jours à distribuer des stocks de nourriture produite sur place aux habitants de deux camps de réfugiés.
«Il y a encore beaucoup de travail à faire, admet Georges. La reconstruction du pays prendra de cinq à dix ans. Mais le moral des gens est bon. Ils ne pleurent pas sur leur sort, ils se débrouillent pour survivre.»
Son dévouement aux causes charitables et son engagement dans le Parti vert pourraient faire croire que Georges Laraque a des ambitions politiques, mais il n’en est rien. «Je milite pour une foule de causes, et si je me faisais élire, je devrais tout lâcher juste pour démontrer que je vaux mieux que le gars d’à côté.» Il balaie l’idée du revers de sa gigantesque main: «Je veux pouvoir toucher à tout, être partout. À ceux qui disent que j’en fais trop, je réponds que je le fais pour ceux qui n’en font pas assez.»