Gens d’ici: Nancy Audet
Nancy Audet est devenue le visage et la voix de tous ces jeunes que la vie et la société ne cessent de maltraiter.
D’Amos à Montréal en passant par l’Université d’Ottawa et La Sorbonne à Paris, le parcours de Nancy Audet pourrait ressembler à un conte de fées. Fougueuse, déterminée, aussi bien à Radio-Canada qu’au réseau TVA, la journaliste a beaucoup couvert le milieu sportif… tout en camouflant soigneusement ses blessures d’enfance. Maltraitée, abusée sexuellement, et rejetée par une mère qui n’a fait que reproduire sur elle la violence subie dans sa jeunesse, la petite fille apeurée, fugueuse, et ballottée d’un foyer à l’autre n’était jamais bien loin.
Un jour, Nancy Audet a tout balancé pour devenir ambassadrice de ces enfants dont le parcours chaotique ressemble tristement à celui qui l’a profondément marquée. Après deux livres, dont le plus récent, Ils s’appellent tous Courage (Éditions de l’Homme, 2022), une série documentaire (Être famille d’accueil), et de multiples conférences et interventions médiatiques, elle est loin de vouloir se taire, et surtout de laisser dans l’indifférence ces jeunes dont la détresse est énorme: la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) a reçu 132 632 signalements en 2021-2022, et en a retenu 43 700. Et lorsqu’ils sont pris en charge, leurs conditions de vie sont parfois lamentables, entre le roulement de personnel, les centres jeunesse tombant en ruines, et un manque criant de familles d’accueil. (Ainsi, un enfant mal-aimé peut-il apprendre à aimer?)
Quel fut l’élément déclencheur d’un engagement aussi grand de votre part pour la cause des enfants de la DPJ?
Juste avant le drame de la fillette de Granby, j’avais commencé à m’impliquer à la Fondation du Centre jeunesse de Montréal. On m’a fait comprendre que si je voulais être un exemple pour les jeunes du système, il fallait un jour que je parle, puisque je connais les séquelles que vivent trop d’enfants négligés et maltraités. Quelques jours après sa mort, le 30 avril 2019, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, et je me suis dit: le silence, plus jamais. Ce n’était plus possible pour moi de travailler dans une salle de nouvelles. J’ai alors écrit mon premier livre [Plus jamais la honte: le parcours improbable d’une petite poquée, Éditions de l’Homme, 2021], donné des conférences, et posé des gestes concrets.
Par exemple?
Les gens ont oublié jusqu’à quel point on peut avoir un impact dans la vie d’un enfant, et changer réellement son parcours. On peut le faire avec la plus belle chose qui soit, et qui ne coûte rien: du temps! Nos vies effrénées n’ont pas de sens, et pour moi, devenir mentor, ça fait toute une différence. Je vois l’impact sur leur vie, et ça enrichit beaucoup la mienne. Alors une partie de mon engagement, c’est aussi de convaincre les gens de donner du temps. Une amie m’a déjà dit qu’elle n’en avait pas, jusqu’à ce qu’elle comprenne qu’elle passait deux-trois heures par jour sur les réseaux sociaux…
Ce temps consacré aux autres vous détourne-t-il de votre famille? Ressentez-vous un certain tiraillement intérieur entre votre cause et le bien-être de vos proches?
Je prends toutes mes décisions en fonction de ma famille, et surtout de ma fille. Si un jour je vois que mon engagement peut s’avérer négatif, alors elle sera mon premier choix. Par contre, je veux aussi lui montrer que ce n’est pas tout d’avoir des convictions; quand quelque chose nous tient à cœur, il faut agir. Je vois trop de gens qui crient, qui s’indignent, mais après? Notre indignation, notre colère, doit se transformer en action. Mais j’avoue que je ne m’impliquerais pas autant si je n’étais pas aussi bien entourée, de même que ma fille.
Beaucoup de politiciens québécois affirment que l’éducation doit être une priorité. Or, dans Ils s’appellent tous Courage, parmi les nombreuses failles du système que vous dénoncez, il y a celui du famélique taux de diplomation des enfants de la DPJ.
Selon une étude publiée par l’École nationale d’administration publique, 17% d’entre eux avaient atteint le cinquième secondaire, comparativement à 75% des jeunes Québécois du même âge. C’est inacceptable! Ce sont des enfants de l’État, et l’éducation est encore plus importante lorsque l’on est fragilisé à ce point. Les envoyer dans le monde en étant sous-scolarisé, c’est effrayant, et c’est notre responsabilité d’améliorer les choses.
Justement, que pouvons-nous faire individuellement pour leur redonner espoir?
D’abord, il faut changer notre regard sur eux, et redevenir plus disponibles. Vous remarquez ce garçon dont les parents ne viennent jamais l’encourager quand il joue au baseball? Il faut lui dire qu’il a bien joué, qu’il a du talent. Pourquoi ne pas inviter dans une fête d’enfants le petit tannant ou la fille à problèmes? Ce qu’il faut leur montrer, ce sont des îlots de bonheur, pas des maisons où ça hurle tout le temps. Pour que ces jeunes se disent: l’acceptation, le respect, c’est ça que je veux dans ma vie.
Ouvrons nos portes! C’est peut-être simpliste, mais ça peut faire une grande différence. Pour qu’un enfant développe son plein potentiel, il a besoin de cinq adultes significatifs autour de lui : parents, grands-parents, oncles, professeurs, entraîneur, etc. Je croise beaucoup d’enfants qui n’en ont aucun. Plus que jamais, nous avons besoin de mentors. Je connais le propriétaire d’un garage qui, chaque année, engage un jeune vivant dans un centre de réadaptation. Encore récemment, un d’entre eux est revenu le voir pour le remercier de l’avoir accueilli comme s’il faisait partie de la famille. À partir de là, ce jeune a décidé de se prendre en main.
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