Fraude alimentaire : sur la piste des criminels

La fraude alimentaire est florissante en Europe et elle fait des victimes. Mais des enquêteurs font la vie dure aux organisations criminelles, en suivant la piste des criminels de l’alimentation.

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Fraude alimentaire : un colis contenant des hormones de croissance a été intercepté.
Napaphat Kaewsanchai/Shutterstock

Le colis ne pesait que cinq kilos et provenait de Chine. Selon la déclaration d’importation, il contenait du carbonate de potassium, un produit chimique utilisé en pâtisserie. Les agents de la douane néerlandaise de Nimègue, près de la frontière allemande, l’ont ouvert parce qu’ils soupçonnaient de la cocaïne. Le laboratoire a identifié une autre substance tout aussi nocive : de l’œstradiol-17ß, une hormone de croissance utilisée pour le bétail et interdite par l’Union européenne depuis presque 30 ans.

Cette quantité de poudre, d’une valeur de 115 000 $, aurait suffi pour traiter 250 000 veaux, de quoi mettre en péril toute la chaîne alimentaire européenne. Interdite, elle est considérée comme « totalement cancérigène ». C’était la première fois qu’on en voyait une telle quantité aux Pays-Bas.

Le moment était venu d’appeler les enquêteurs des fraudes alimentaires de l’Office de la sécurité des aliments et des produits de consommation, ou NVWA-IOD, dont le quartier général est situé sur un grand boulevard bordé d’arbres, à Utrecht. Dans leurs bureaux ultrasécurisés, les agents croulent sous le travail, analysant rapports de renseignement, enregistrements de caméras de surveillance et transcriptions d’écoute téléphonique.

Parmi eux se trouve Karen Gussow, 39 ans. « Nous avons exactement les mêmes pouvoirs d’arrestation, de surveillance et de renseignement que la police, dit-elle. La seule différence est que nous ne portons pas d’arme. » La fraude alimentaire est pourtant meurtrière : « Toutes les recherches prouvent que même un petit résidu d’hormones de croissance dans du bœuf peut ­provoquer des cancers », dit Karen Gussow. Les enfants sont particulièrement exposés.

« Nous avons demandé au procureur général des appareils de localisation et d’écoute ainsi que l’autorisation de remplacer le contenu du colis suspect par de la levure chimique, raconte Karen. Nous l’avons ensuite réintroduit dans le système de distribution. »

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Des coupables de fraude alimentaire ont été arrêtés.
ChiccoDodiFC/Shutterstock

Sous surveillance

Le colis a été livré à un centre logistique à Roden, un village près de Groningue. Par un sombre après-midi de novembre, un homme âgé de 69 ans s’est présenté pour réclamer le paquet, ignorant que sept inspecteurs l’observaient depuis des voitures banalisées. Puis, il a roulé 85 km vers le sud, jusqu’à Emmeloord, où il a pris une chambre dans un hôtel quatre étoiles.

Dans un poste de police voisin, des enquêteurs qui avaient mis le suspect sur écoute l’ont entendu effectuer une série d’appels depuis différents téléphones. Il était sur le point de transmettre le colis. Ce soir-là, deux inspecteurs dînaient à une table voisine de la sienne.

Le transfert ayant échoué, les agents ont fait irruption dans sa chambre et ’ont arrêté. L’homme a prétendu posséder une entreprise en règle de médicaments vétérinaires, mais ce n’était qu’une couverture. En 2016, il a été condamné à 18 mois de prison.

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La fraude alimentaire n' pas de frontière.
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Un crime sans frontières

Aussi lucrative que le trafic de drogue ou d’êtres humains, la fraude alimentaire explose en Europe et dans le monde. Elle prend plusieurs formes et touche les consommateurs directement.

« Des criminels altèrent des produits, en ajoutant à du bon vin de l’alcool pur ou, par exemple, en mélangeant de la viande de cheval à celle du bœuf, puis ils les vendent pour faire le plus de profits possible sans se soucier de la sécurité des consommateurs », explique Chris Vansteenkiste.

Ce Belge de 54 ans dirige l’unité chargée de la lutte contre les atteintes à la propriété intellectuelle d’Europol (Unité de coopération judiciaire de l’Union européenne), qui coordonne les opérations antifraude alimentaires des différents pays.

« Parfois, des criminels falsifient les informations quant au pays d’origine ou la certification de produit biologique, dit-il. Ils impriment de faux codes-barres ou de fausses dates de péremption sur des aliments impropres à la consommation. Et qu’il s’agisse de poisson, d’œufs ou d’épices, les faux emballages sont assez convaincants.

Mais la riposte s’organise. Depuis 2011, Europol et son pendant international Interpol mènent une opération mondiale annuelle pour combattre le crime alimentaire. Baptisée opération Opson, elle a connu un début modeste avec seulement 10 pays participants.
En 2017, Opson en comptait 65, dont 22 États membres de l’UE. En quatre mois, des milliers de raids ont permis de saisir 13 400 tonnes et 26,3 millions de litres de nourriture et de boissons contrefaits ou non conformes aux normes, pour une valeur totale de 360 milliards dollars.

« Tout ce qui est produit peut être contrefait, dit Chris Vansteenkiste, qui a coordonné l’opération Opson l’année dernière depuis le siège social d’Europol, à La Haye. Tous les secteurs sont touchés. »

Au Portugal, une opération de surveillance de l’Autorité de sécurité alimentaire a révélé qu’une usine alimentaire de Porto, qui s’était vu retirer sa licence, était encore en activité. « Quand les enquêteurs sont entrés, ils ont trouvé des bacs de sardines et autres poissons impropres à la consommation humaine. Il y avait 300 000 boîtes de conserve et 24 000 étiquettes portant de faux codes-barres et dates de péremption indiquant que le pois­son était destiné à l’exportation en Europe, raconte Chris Vansteenkiste. Les conditions étaient dégoûtantes, l’odeur inimaginable – aucune considération pour la sécurité humaine. »

En Italie, l’unité antimafia de Florence est intervenue dans une ferme isolée de Toscane. Les carabiniers ont trouvé des caisses de millésimes des meilleurs vignobles italiens. Les bouteilles, les bouchons et les étiquettes semblaient authentiques, mais les tests ont révélé qu’elles contenaient un vin de qualité médiocre rallongé d’alcool pur pour gonfler le volume et les profits.

« C’était une entreprise très professionnelle, menée par un groupe bien organisé», dit Chris Vansteenkiste. Trois personnes ont été arrêtées. Et ce n’est pas fini!

L’opération Opson a révélé l’omniprésence de la fraude alimentaire : 170 000 faux cubes de condiments ont été saisis par les douanes françaises ; de la viande non étiquetée passée en contrebande dans un camion non réfrigéré a été interceptée en Irlande ; en Allemagne, on a découvert 1,3 tonne de noisettes contenant des arachides, connues comme allergènes.

En 12 mois, on a démantelé trois importantes organisations criminelles européennes, et sept autres agissant à l’échelle internationale.

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La fraude alimentaire peut avoir des conséquences mortelles.
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Conséquences mortelles

La lutte contre la fraude alimentaire se poursuit sans relâche. La plupart des pays européens ont mis sur pied des unités similaires à la NVWA-IOD, qui traque les crimes alimentaires depuis 20 ans aux Pays-Bas. Europol contribue en offrant des ateliers pour les entreprises, les enquêteurs et les autorités afin de renforcer les réseaux et de partager les renseignements en Europe.

« Les gangs internationaux délaissent le trafic de drogue et d’armes pour l’agroalimentaire parce que c’est très payant et qu’ils risquent moins de passer 20 ans en prison s’ils se font prendre, dit Michael Ellis, consultant en crimes alimentaires. C’est pourquoi nous avons besoin de coordination internationale pour les arrêter. De plus en plus d’États et de services policiers ont compris que ce n’est pas un crime sans victimes. Cela tue littéralement des gens. »

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) rapporte que la République tchèque, la Pologne, la Norvège et l’Estonie sont ravagées par des décès et des dommages aux organes imputables au méthanol dans les boissons alcoolisées. Selon l’OMS, ces vagues d’intoxications ont fait entre 20 et 800 victimes en 2014, avec des taux de mortalité de plus de 30 %.

Utilisé dans l’industrie et dans les antigels, le méthanol est un alcool peu coûteux et extrêmement toxique. En 2012, en République tchèque, des dizaines de personnes sont mortes dans une vague d’empoisonnements attribués à la vodka et au rhum contaminés au méthanol et vendus dans les marchés et des kiosques.

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Fraude alimentaire : la police scientifique remonte jusqu'à l'origine des chaînes d'approvisionnement.
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La science à la rescousse

La difficulté du travail des enquêteurs est décuplée par la complexité des chaînes d’approvisionnement d’aujourd’hui.

« Nous ne savons plus d’où vient ce que nous mangeons », dit le professeur Chris Elliott, qui a fondé en 2013 l’Institut pour la sécurité alimentaire mondiale à l’Université Queen’s de Belfast, en Irlande du Nord. Dans son laboratoire de pointe, il analyse l’empreinte moléculaire de la nourriture et peut la comparer à des milliers de profils d’espèces collectés par son équipe dans le monde entier, dont 2000 échantillons pour le riz seulement.

Derrière les portes d’acier blindées qui protègent le monde extérieur des toxines sur lesquelles ils travaillent, les 40 membres de son équipe élaborent des technologies de lutte contre la fraude alimentaire.

« Beaucoup de plats préparés contiennent jusqu’à 50 ingrédients, et les chaînes d’approvisionnement sont si complexes que chaque transaction offre une occasion aux criminels, dit Chris Elliott. C’est pour les retracer que nous intervenons. »

Il prend l’exemple de la pêche. Les bateaux-usines norvégiens et russes retirent les têtes et les entrailles des poissons qui sont ensuite congelés, expédiés en Chine, décongelés et coupés en filets par de la main-d’œuvre bon marché, recongelés en énormes blocs et envoyés en Corée du Sud. « Là-bas, ils ont des entrepôts frigorifiques grands comme des stades de football, et les négociants viennent acheter, dit-il. À leur tour, ils revendent à d’autres négociants, qui vendent aux détaillants. »

« Sur plusieurs milliers de kilomè­tres de transport, les criminels ont amplement l’occasion d’injecter de l’eau salée dans les filets pour les alourdir, de substituer les espèces ou d’étiqueter des poissons pêchés au filet comme pêchés à la ligne, dit Chris Elliott. Les chaînes de supermarchés s’efforcent de sécuriser leurs approvisionnements et mènent leurs propres tests, mais rien n’est efficace à 100 %. »

Chris Elliott assure avoir déjà été menacé à cause de son travail. « Quand le crime organisé est là, comme la mafia dans le trafic d’huile d’olive frelatée, il y a toujours un risque. Peu importe où vous cherchez la fraude, vous la trouverez. »

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Fraude alimentaire : Les peines sont-elles assez sévères?
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Des peines plus sévères

Les peines sont-elles assez sévères? En privé, les enquêteurs soutiennent que non. Prenons le cas de Willy Selten, un négociant arrêté en 2013 par Karen Gussow et ses collègues. Derrière les portes de son usine, Selten désossait de la viande provenant de toute l’Europe, dont 300 tonnes de viande chevaline qui se sont retrouvées dans des burgers et des pains de viande de supermarchés.

Ce scandale a touché la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Irlande, les Pays-Bas, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni. Les procureurs ont réclamé une peine de cinq ans, Selten a été condamné à la moitié. En 2018, il est toujours libre et attend son procès en appel.

« La sentence de Selten est plus sévère que les précédentes, dit Karen Gussow. Les policiers trouvent les peines sont trop légères. On sait pourtant que des sentences plus lourdes ne sont pas aussi dissuasives qu’on le pense. La détection est bien plus efficace, de même que la confiscation d’un million de dollars, en moyenne, chaque fois que nous attrapons un criminel. »

Ainsi, le combat continue. « La fraude alimentaire n’est pas un crime sans victimes, conclut l’inspectrice. Elle est une atteinte à un droit fondamental, celui de savoir que nous mangeons sans risques. »

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Contenu original Selection du Reader’s Digest

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