Faire de la prévention du suicide un combat pour la vie
Depuis près de 25 ans, le psychologue clinicien Marc-André Dufour est devenu un visage connu au Québec : il a fait de la prévention du suicide son grand combat.
Au fil des années, Marc-André Dufour est devenu un visage connu de la prévention du suicide au Québec. À la télévision comme à la radio, cet explorateur de l’âme humaine démystifie nos peurs et nos tourments, dont ceux entourant ces violents départs vers la mort, particulièrement traumatisants pour les survivants. Celui qui a vu de près les horreurs du suicide en a fait son cheval de bataille, aussi bien dans son cabinet, à la Défense nationale, qu’auprès du grand public lors de débats ou de conférences. Rencontre avec un psychologue pour qui la souffrance n’est pas une fatalité de la vie, mais une alliée qui lui donne un sens.
Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à la question du suicide, et donc de la mort?
Dans toute existence, notre premier contact avec la mort est très significatif et survient souvent dans des circonstances que l’on ne contrôle pas. En première année du primaire, une amie est décédée de la leucémie : un matin tu arrives, il n’y a personne à sa place, juste un vide. Cet événement a produit un éveil quasi existentiel dans ma tête d’enfant : je me suis mê-me demandé si les pissenlits allaient au paradis! Je me disais que oui, puisqu’ils sont vivants! D’ailleurs je recommande souvent aux parents d’avoir des animaux domestiques, ne serait-ce que des poissons. Cet animal va mourir un jour, et les enfants vont apprivoiser la perte, le deuil ; cela leur rappelle, dans un contexte émotionnel sécuritaire, que la mort fait partie de la vie.
Pendant vos études en psychologie à l’Université Laval, et au début de votre carrière, vous avez été bénévole puis employé au Centre de prévention du suicide de Québec. Ce fut une expérience déterminante?
Lorsque j’étais intervenant, je me rendais chez les personnes en crise à la demande des policiers ; eux avaient une scène de crime à gérer, moi je devais m’occuper du volet psychologique. J’ai vu des choses très particulières : une mère en état de choc, un homme qui crie devant sa maison, une jeune femme qui fait les cent pas et répète sans cesse « Ça se peut pas! » en apprenant la mort de son père, etc. J’arrivais au cœur du cauchemar, comme si une bombe venait d’exploser. Quand une personne trouve son enfant suicidé, c’est toute sa vision de l’humanité qui est remise en question. Je suis sûr que les personnes suicidaires ne sont absolument pas conscientes de l’impact de leur geste, à cause de leurs souffrances, mais j’aimerais tellement qu’elles fassent autre chose…
Renseignez-vous sur le lien entre les cauchemars et le suicide chez les ados.
Vous avez pourtant déclaré que ce n’est pas la souffrance qui mène au suicide, mais plutôt le regard qu’on porte sur cette souffrance. C’est donc une question de perception?
Si c’était la souffrance qui conduisait au suicide, l’espèce humaine n’aurait pas survécu, car cette souffrance fait partie de la vie. Rien n’est plus personnel que la souffrance, qui reste un phénomène difficile à quantifier avec énormément de paramètres à considérer. Une personne peut avoir envie de mourir parce que toute sa famille est décédée, et l’autre à cause d’un échec à l’école : en prévention du suicide, on ne peut pas dire que c’est très grave pour la première, et pas du tout pour la seconde. Avec des interventions somme toute assez simples, on peut avoir un impact énorme, car être à l’écoute d’une personne, nommer le fait que sa vie est insoutenable, ça crée une ouverture. À partir de là, des choses commencent à se dénouer intérieurement, car l’autre se sent entendu dans sa souffrance.
Depuis 2005, vous êtes psychologue au Programme de soutien pour traumas et stress opérationnel à la base militaire de Valcartier. Les soldats sont souvent exposés à l’horreur, reviennent au pays avec des blessures morales profondes. Leur silence face à ces traumatismes n’est-il pas encore pire?
Les effets pervers sont catastrophiques. Ils sont entraînés à aller là où ni vous ni moi n’irions. Eux ne peuvent pas fuir, se montrer vulnérables, dire qu’ils sont fatigués ou ont mal aux pieds. [Et pour beaucoup d’hommes, se montrer vulnérable, c’est profondément honteux.] Comme individu, il faut être en contact avec ses besoins et savoir prendre soin de soi : chez eux, il y a une déconnexion pour laquelle il y a un prix à payer, et mon rôle, c’est de refaire ces connexions. Ce qui me motive, c’est de voir que j’obtiens des résultats, car sinon je ferais autre chose.
Est-ce que l’on doit nécessairement souffrir pour réussir à apprécier les moments de bonheur?
Trop de gens se réfugient dans la fuite, et ça ne fonctionne pas. Lorsqu’ils viennent consulter un psychologue, ils sont épuisés et perdus : ils ont rénové leur maison deux fois plutôt qu’une, ou sont partis un an en voyage et, au retour, redeviennent aussi déprimés qu’au moment du départ. Edwin S. Shneidman, le père de la suicidologie, disait : « Je souffre, donc je suis. » C’est un peu fort, mais on comprend la formule! Il ne s’agit pas de valoriser la souffrance, mais de l’intégrer dans nos vies. Avoir de la peine, c’est humain, et je dis souvent : pleurer quand c’est triste, c’est comme rire quand c’est drôle, car il n’y a pas d’émotions négatives, chacune a sa raison d’être.
Les émotions, voilà ce qui nous permet de nous rapprocher les uns les autres, et de nous rappeler que nous sommes tous humains : ce n’est vraiment pas une mauvaise nouvelle!
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