Elle frôle la mort dans un accident d’avion
Tout aurait pu s’arrêter brutalement le 29 mars 1979 pour Johanne de Montigny après un accident d’avion. Ce jour-là fut celui d’une incroyable renaissance.
Bras droit fracturé, genou gauche arraché, fractures au bassin, poumon droit perforé, colonne abîmée, hémorragie interne: ce ne sont là que quelques-uns des graves sévices subis par Johanne de Montigny lors d’un tragique accident d’avion il y a plus de 40 ans. Alors âgée de 29 ans, secrétaire principale du ministre Rodrigue Tremblay dans le gouvernement de René Lévesque, sa confiance en la vie était inébranlable… jusqu’à ce qu’une fissure dans le moteur droit d’un appareil de 36 places, un Fairchild F-27, cause une explosion en plein vol.
Juste avant l’écrasement, elle a tenu la main d’un passager terrifié, mort à ses côtés en une fraction de seconde, et elle-même croyait vivre ses derniers instants au milieu d’une immense boule de feu. Il lui a alors fallu des années de soins hospitaliers, psychiatriques et psychologiques pour réapprendre à marcher, éloigner ses cauchemars et vaincre sa peur – légitime! – de l’avion. Sans compter son grand sentiment de culpabilité d’avoir été une des rares survivantes d’un accident où 17 passagers ont perdu la vie.
Au milieu de tous ses combats, Johanne de Montigny a trouvé, comme le veut l’expression consacrée, sa vocation: devenir psychologue et accompagner les gens en fin de vie. Pour continuer d’être cette main tendue auprès de cet inconnu avec qui elle a partagé, un fugace et fulgurant moment, une expérience d’une intensité exceptionnelle. Et dont l’impact émotionnel ne l’a jamais quittée depuis toutes ces décennies.
Vous arrive-t-il d’imaginer votre vie sans ce tragique accident?
J’aurais quand même eu une belle vie, car j’étais heureuse, choyée de travailler pour un ministre et dans le monde politique; mon avenir, je le voyais lumineux. Après l’accident, j’ai été obligée de plonger à l’intérieur de moi-même pour puiser des potentiels que l’on n’a pas dans la vie de tous les jours. Disons que j’ai été chanceuse d’avoir une bonne santé mentale et physique, et d’être bien entourée.
Mais on ne peut pas s’attendre à ce que tout le monde trouve une joie de vivre renouvelée dans la survie. Imaginez une personne avec une vie déjà difficile, usée par la maladie, une séparation, un milieu familial toxique, des idées noires: vous n’allez pas avoir tout à fait le même parcours.
Vous avez déjà écrit qu’après l’écrasement, vous étiez autant effrayée de prendre l’avion que de penser que des avions pourraient vous tomber sur la tête. Comment avez-vous réussi à surmonter toutes ces peurs?
Mes toutes premières expériences de psychologue m’ont obligée à prendre l’avion dès 1986 pour me rendre utile auprès des survivants d’un accident ferroviaire en Alberta. J’ai peu à peu repris l’avion, parfois pour le plaisir de voyager, pour donner des conférences, mais surtout pour aider les autres. Avoir des objectifs nous aide à surmonter nos peurs. Faire les choses juste pour soi, ça n’en vaut pas la peine, et ça donne beaucoup moins de courage.
Votre réadaptation apparaît remarquable aux yeux de ceux et celles qui connaissent votre histoire. Diriez-vous que vous êtes une exception?
Après plus de 30 ans d’écoute psychologique, mon épreuve ne fait pas toujours le poids à côté de ce que d’autres ont pu vivre. Lorsque je vois toutes ces personnes qui quittent des pays où les conditions sont épouvantables et qui doivent entièrement reconstruire leur existence, mon expérience pâlit devant la leur. Mais je ne suis pas allée dans ce domaine pour me guérir, mais parce que j’étais capable de dépasser ma propre souffrance. Et comme me disait un médecin en soins palliatifs: je me ressource à travers la confiance et les confidences de mes propres patients.
La crise de la COVID-19 a été un grand révélateur sur une foule de choses, dont les rituels funéraires. Pour les survivants que vous accompagnez, est-ce que la nécessité apparaît encore plus grande?
Ces rituels marquent la séparation entre les morts et les vivants. J’ai bien l’intention d’écrire un jour sur le thème suivant: à qui appartient un défunt? À son conjoint? À sa mère? Est-ce que l’urne peut être en garde partagée? Déposer un mort dans un lieu précis, comme un cimetière par exemple, ça invite toute la société à s’y promener, à voir les dates sur les pierres tombales qui racontent une histoire. Des cendres répandues n’en racontent pas, car il n’y a pas de lieu de recueillement; le défunt n’est nulle part et partout à la fois.
Le rituel funéraire, c’est au fond une période transitoire pour les survivants?
J’ai imaginé une symbolique qui ressemble à celle de l’envoi de colombes ou de ballons dans le ciel. Un enfant apprend à tenir un cerf-volant, le fait flotter dans les airs, lâche la corde par mégarde et le regarde partir sans trop savoir où il va. J’utilise cette analogie pour expliquer à mes patients que le défunt, on ne le voit plus, mais il existe encore, et je leur demande d’imaginer où il pourrait bien être.
Les humains ont ce grand potentiel de visualiser plus haut que la cruelle réalité, celle de l’absence de celui ou de celle qu’on aime. Les rituels sont fantastiques parce qu’ils nous permettent de créer quelque chose de fabuleux à l’intérieur de nous. D’où l’importance de ne pas faire n’importe quoi. Beaucoup de mes patients me disent à quel point les funérailles ont été difficiles, mais qu’ils se sentaient mieux après que cette boucle fut bouclée. Même si dans notre cœur, et dans notre âme, il y a beaucoup de larmes. Mais la joie profonde reprend avec la vie qui, elle, reste en nous.
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