Drame vécu: Se sauver des flammes
La vie de Nick Bostic n’avait rien d’héroïque. C’était un jeune homme perturbé. Sans projets d’avenir. Mais un soir, tout a basculé lorsqu’il a fallu qu’il se sauve des flammes.
Par une soirée chaude de juillet, Nick Bostic rentre chez lui, à Lafayette, dans l’Indiana. Soudain quelque chose se passe, à peine perceptible. Une lueur orangée au bord de son champ de vision. Puis au moment de passer devant une maison, il comprend. Freine à fond. Ça brûle!
L’homme a connu des jours meilleurs. Des mauvais aussi. Il a aujourd’hui 25 ans – 1,90m, forte carrure, barbe peu soignée encadrant le plus souvent un sourire malicieux – et se demande encore quoi faire de sa vie qui n’a pas toujours été facile.
Il a passé son enfance à faire la navette entre sa mère, à Lafayette, et son père, dans l’Arkansas, sans qu’aucun des deux foyers ne lui apporte amour et sécurité. Pour décrire l’enfant qu’il était, ceux qui le connaissaient l’auraient sans doute qualifié de «bouffon», raconte-t-il. Il savait s’attirer des ennuis, se comportait comme un idiot, comptait sur l’humour pour se faire des amis, sans grand succès.
Ses ennuis se sont aggravés à l’adolescence. Il a pris des métamphétamines. Certains de ses camarades se sont suicidés. Il a pu trouver par moments que la vie ne valait pas la peine d’être vécue. Il s’est pourtant ressaisi il y a quelques années. Il a cessé les drogues dures. Aujourd’hui, il vit avec sa compagne, Kara, et travaille à la pizzeria Papa Johns. On dit que c’est un homme au grand cœur qui ne sait pas trop quoi en faire.
Ce 11 juillet 2022, après une dispute insignifiante avec Kara, il quitte en trombe leur appartement sans emporter son téléphone pour ne pas être joignable. Il prend la voiture de sa compagne, fait le plein, puis va fumer un peu d’herbe dans le stationnement d’un magasin de pièces d’auto où il va se réfugier quand il a besoin d’être seul. Pendant une quinzaine de minutes, il contemple les étoiles en silence, puis décide de rentrer.
Il est un peu après minuit quand il aperçoit la maison en feu, s’arrête, fait marche arrière, se gare dans l’allée devant la maison. Des flammes sortent de la véranda et viennent lécher les murs. Il bondit de la voiture, regrettant aussitôt son téléphone. «Au feu!», hurle-t-il dans la nuit. Il fait signe à une voiture qui passe dans la rue, mais ne s’arrête pas. Il court à l’arrière de la maison, redoutant de trouver la porte verrouillée. Non, il peut l’ouvrir. Il s’engouffre dans le brasier.
Une mauvaise surprise
Les Barrett forment une joyeuse bande. Une famille nombreuse. Leur maison de location dispose de cinq chambres à coucher et elle résonne toujours des cris et des rires d’amis et de cousins qui y viennent à l’occasion de barbecues, pour y passer la nuit ou jouer au volley-ball dans le jardin. Ils vont à l’église tous les dimanches.
Ce soir, c’est le soir de sortie. David, 39 ans, directeur adjoint de l’école secondaire Tecumseh, et sa femme Tiera sont partis chez des voisins à quelques maisons, jouer une partie de fléchettes. Quatre des six enfants sont à la maison. Seionna, leur fille de 18 ans, est chargée de veiller sur les plus jeunes. Elle s’occupe de Kaleia, sa petite sœur d’un an et demi. Shaylee, sa sœur de 13 ans, a invité une copine à dormir. Kaylani, la petite de six ans, va d’une pièce à l’autre à la recherche de quelqu’un avec qui dormir.
Kaylani déteste s’endormir seule. Débordante d’énergie, elle est si curieuse et confiante que son père craint toujours qu’elle ne suive le premier venu. Cette fois, elle tente la chambre de Seionna au rez-de-chaussée dans l’espoir de se glisser dans le lit de sa grande sœur. Mais Seionna n’est pas en forme et doit travailler tôt le matin. La petite est priée d’aller dormir dans sa chambre, mais, promis, on se rattrapera demain soir.
C’est une sorte de bruit d’explosion qui réveille Seionna. Les enquêteurs découvriront plus tard que l’incendie a débuté sur la véranda et fait exploser le réservoir de propane à côté du gril. Pour l’heure, la jeune femme sait seulement qu’il y a de la fumée dans sa chambre. Le salon juste à côté est la proie des flammes et elle sent la chaleur sur sa peau. Je rêve? se demande- t-elle. Puis elle bondit hors de son lit. Les enfants! Elle s’élance dans l’escalier, arrache Kaleia à son berceau et se précipite dans la chambre d’à côté où Shaylee et son amie dorment à poings fermés.
Dans la chambre voisine, le lit de Kaylani est vide. Où est-elle ? Seionna est saisie d’une angoisse indicible. La petite aime bien dormir dans le salon, qui est envahi par les flammes.
Secourir à tout prix
Les rideaux fondent. C’est une des visions surréalistes que Nick Bostic retiendra de sa course dans les couloirs de la maison où il va de pièce en pièce à la recherche des survivants. Après avoir ratissé le rez-de-chaussée, il se dirige vers l’escalier. Il est déjà presque en haut quand il voit sortir d’une chambre à l’étage quatre figures aux yeux grand ouverts qui le dévisagent. «La maison brûle, il faut sortir!», hurle Nick.
Soutenues par lui, les filles dévalent l’escalier, sortent. Elles se regroupent en cercle sur la pelouse pour reprendre leur souffle. «Il y a quelqu’un d’autre?», demande-t-il. «Oui, une autre fille!», lance Seionna, mais personne ne sait où se trouve la petite de six ans. Nick s’engouffre de nouveau à l’intérieur.
Le feu dévore maintenant tout un côté de la maison. L’odeur est infecte et intense. Une fumée noire s’accumule au plafond et redescend en volutes. La chaleur est insupportable. Nick se heurte à un véritable mur d’air brûlant.
Il remonte à l’étage. Tout semble étrangement normal. Ici, aucun signe de l’incendie qui, ailleurs, avale tout. Il cherche sous le lit superposé et dans le placard. Personne. Il fouille les chambres une à une en tendant l’oreille, surpris de ne pas entendre le moindre gémissement.
L’homme se prépare à redescendre. Mais, tel un rideau de poison, la fumée, épaisse, noire, opaque, s’est maintenant frayé un passage jusqu’en haut de l’escalier. La bouche et le nez couverts avec son tee-shirt, il hésite sur le palier. Puis il entend des pleurs. Ça vient du bas, de l’autre côté de la fumée.
Il s’engage dans l’escalier en titubant et plonge dans l’obscurité. Il est en mission de recherche et sauvetage, l’ouïe en alerte. Il se dirige de son mieux vers le bruit, les bras tendus. Soudain, la petite est là, devant lui. Il la soulève rapidement, cherche à tâtons la porte. Mais dans la fumée et la chaleur, il trébuche, désorienté. Par où sortir? Où est la porte? Il ne distingue que les ampoules de l’escalier qui va à l’étage, des lanternes dans ce brouillard.
Nick remonte. En posant le pied sur la dernière marche, il trébuche et s’écroule. Le feu l’entoure. Est-ce la fin? Il réussit à se relever. Kaylani est toujours dans ses bras. Il se souvient d’avoir vu une fenêtre sur le côté de la maison encore épargné par l’incendie. C’est là qu’il faut aller.
Il finit par trouver la pièce et s’attaque aussitôt aux rideaux et aux stores devant la fenêtre. Un cordon de rideau s’enroule autour d’une cheville de Kaylani. Il interrompt sa précipitation. Il réussit enfin à se débarrasser des stores et des rideaux. L’homme et l’enfant ne sont plus qu’à une vitre de l’air pur.
La petite blottie contre lui, Nick donne un coup de la main droite sur la vitre. Rien. Son poing rebondit. Il recommence, plus fort. Cette fois, la vitre éclate et lui entaille le bras. Une bouffée d’air emplit la pièce. Il débarrasse rapidement le cadre des éclats de verre.
Derrière eux, les flammes s’avancent dangereusement. Par la fenêtre, on voit une bande de pelouse s’étendre entre la maison et la palissade des voisins. La petite jette un coup d’œil. «Je ne veux pas sauter», dit-elle. Nick pense exactement la même chose.
Mais ont-ils le choix? Les flammes s’approchent, la chaleur augmente. Nick recule alors de quelques pas, puis, tenant toujours serrée la petite Kaylani dans un bras, se jette dans le vide. Dans sa chute, tête baissée, il fait un rapide mouvement de torsion de manière à tomber sur l’autre épaule pour protéger l’enfant.
Une famille sauvée
Entre–temps, à l’extérieur, les pompiers arrivés en renfort s’affairent. Ils ont éloigné Seionna et les enfants de la maison – désormais entièrement engloutie par les flammes. «Il semble qu’il y ait une petite fille de six ans et un homme de 23 ans à l’intérieur», crie un pompier à ses collègues qui s’empressent d’enfiler leur équipement.
Nick surgit alors d’un côté de la maison, Kaylani dans les bras. «Prenez-la!», hurle-t-il. Il leur tend la petite en pleurs qui, hormis une coupure au bras, s’en sort miraculeusement indemne. Nick s’effondre sur le trottoir et réclame de l’oxygène. Alors qu’il peine à respirer et que la maison s’écroule, il n’a qu’une inquiétude en tête. «Est-ce que l’enfant va bien? demande-t-il aux pompiers. Dites-moi qu’elle va bien.» Toute la scène est filmée par les caméras de corps des pompiers.
Un héros est né
Nick ne conserve qu’un vague souvenir des minutes, des heures et des jours qui ont suivi. Il se souvient cependant du garrot appliqué sur son bras tailladé par les éclats de verre. Et d’avoir été conduit en fauteuil roulant jusqu’à l’ambulance. Mais il a tout oublié de l’hôpital où il a été pris en charge pour inhalation de fumée et brûlures au premier degré à la cheville, à la jambe et au bras.
Quand il s’est réveillé, il avait un tube enfoncé dans la gorge et Kara était à son chevet. Allongé dans son lit, il songeait aux événements. J’ai agi comme n’importe qui aurait agi dans les mêmes circonstances. Mais son histoire s’était déjà répandue hors de l’enceinte de l’hôpital. C’était un héros – le pizzaïolo qui est entré non pas une, mais deux fois dans une maison en flammes.
Quelques jours plus tard, après que Nick a pu quitter l’hôpital, les Barrett l’ont invité avec Kara à dîner chez les gens qui les hébergent. David voulait remercier en personne celui qui avait sauvé sa famille.
En voyant Nick Bostic, David a éclaté en sanglots. «Il s’est avancé vers moi les bras tendus et m’a serré très fort en me remerciant, dit le jeune homme. Il ne cessait de répéter: merci, merci.»
Durant cette même semaine, les Barrett ont demandé à Nick de les accompagner à l’église. Ensuite, ils l’ont invité de nouveau à dîner, puis encore et encore. «J’ai le sentiment que Dieu nous a envoyé Nick pour nous aider, dit David. Et que Dieu m’utilise à mon tour pour que je l’aide.»
Les Barrett se sont relevés lentement après avoir perdu tout ce qu’ils possédaient. La famille est plus unie depuis l’incendie qui l’a également rapprochée de la communauté. Tout le monde s’est serré les coudes pour les héberger et les nourrir en attendant qu’ils trouvent un nouveau toit.
Se sentant courageuse et célèbre, Kaylani qui s’en est tirée avec une simple petite coupure au bras, est plus exubérante que jamais. «Elle se voit comme une héroïne, dit David. Dès qu’il y a des gens, elle leur dit: “J’étais dans ma maison en feu et j’ai sauté par la fenêtre.”»
Aujourd’hui, les brûlures de Nick sont presque cicatrisées, même s’il sent ses yeux plus sensibles à la lumière depuis l’incendie. Les autres changements sont plus importants. Kara et lui attendent un enfant. Et la nouvelle de son héroïsme s’étant répandue, le compte GoFundMe lancé pour couvrir ses frais d’hospitalisation a explosé à quelque 600 000$, une somme qui pourrait changer sa vie.
Nick en a offert une partie aux Barrett pour les aider à se remettre sur les rails, mais David est resté ferme. Cet argent est à lui. Il en aura besoin pour son enfant et ce cadeau lui servira à passer du temps avec sa famille. Il a présenté un conseiller financier au jeune homme.
Quand Nick songe à ce qui s’est passé, il a l’impression d’avoir vécu à la fois une expérience de mort imminente et de renaissance. C’est bien lui qui est entré dans la maison en feu, mais c’est aussi lui qui a été sauvé.
«J’ai eu droit à une seconde chance», confie-t-il. S’il lui est arrivé par le passé de se sentir idiot, ce qu’il éprouve aujourd’hui est très différent. La vie ne lui a pas fait de cadeau et l’avenir sera difficile. «Mais je commence à savoir ce que je veux», dit-il. Pour la première fois, il sait qu’il trouvera un moyen d’y arriver.
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