Docteur François Marquis: de tout coeur avec ses patients
Entre ses ambitions littéraires et son amour du whisky, le Dr François Marquis reste au chevet de la société québécoise.
Au cégep, ses professeurs de littérature furent déçus d’apprendre que leur étudiant, François Marquis, voulait devenir médecin plutôt qu’écrivain, car il en avait l’étoffe.
Déjà pragmatique, et pourvu d’un grand esprit de synthèse, il leur a simplement répondu: «Si je me dirige en littérature, je ne pourrai jamais faire médecine; si je vais en médecine, un jour j’arriverai à y glisser des livres.»
Tous ses patients, de même que les téléspectateurs qui ont suivi ses péripéties dans la série documentaire De garde 24/7 à Télé-Québec, aiment qu’il soit finalement devenu chef du service des soins intensifs de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Maintenant bien connu du grand public depuis le début de la pandémie, toujours d’une franchise désarmante à l’heure d’expliquer les grands enjeux de santé publique, le Dr François Marquis a senti le besoin de raconter son quotidien à l’heure de la COVID-19. Entre un édifice vétuste, des collègues à bout de souffle, des patients trop rapidement au seuil de la mort et un système de santé sens dessus dessous, il a pris la peine de décrire son parcours du combattant dans Mes carnets de pandémie (Les Éditions du Journal, 2021), avec la collaboration de Marie Lambert-Chan, alors rédactrice en chef du magazine Québec Science. Des pages de confidences, parfois sombres, parfois lumineuses, pour ce copropriétaire d’une distillerie, amateur de gin et de whisky, qui songe déjà à un deuxième livre. Et pas seulement pour redonner le sourire à ses anciens professeurs.
La COVID-19 a révélé la fragilité du réseau de la santé et celle des soins aux aînés. Mais n’a-t-elle pas selon vous mis aussi en lumière les carences du système d’éducation?
Ce virus, c’est un monstre complexe avec beaucoup de ramifications, et la difficulté de l’appréhender fut tout aussi grande pour mes jeunes collègues, les résidents, et les infirmières qui ont pourtant un bon bagage médical. Pour beaucoup de gens, la science est un élément acquis, une sorte de religion, qui arrive avec des réponses et des solutions. Ils ignorent sa dimension dynamique, qui passe par l’argumentation, les échanges d’idées et les débats. Tout à coup, la science avait du retard face à la réalité, ce que les gens n’avaient jamais vu auparavant. Cela dit, la science est présente partout, dans les arts comme en agriculture, et a son mot à dire partout. La méthode scientifique devrait donc être expliquée aux jeunes dès le niveau primaire. Malheureusement, nous avons assisté à la mort de l’expertise: sur les réseaux sociaux, chacun est son petit roi, sa petite reine, maître de son propre royaume. On peut bien croire ce que l’on veut, cela ne changera rien aux faits.
En l’espace de quelques années, et surtout depuis le début de la pandémie, vous êtes devenu la coqueluche des médias. N’est-ce pas ironique de la part de quelqu’un qui, pendant longtemps, n’avait aucune confiance à l’égard des journalistes?
Comme beaucoup de gens, j’ai fait une belle grosse généralisation, ouvert un grand sac et jeté tous les journalistes dedans! Mais je suis doucement entré dans le monde des médias grâce à De garde 24/7 qui montrait parfaitement ma réalité de médecin intensiviste à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Nous faisons œuvre utile, une émission avec des gens très professionnels, sans sensationnalisme. Lorsque les journalistes couvrant l’actualité ont commencé à m’interpeller, j’ai constaté leur grand professionnalisme, l’intelligence de leurs questions et leur connaissance des dossiers. Et il m’arrive aussi de leur dire non et d’expliquer pourquoi. Par exemple quand on veut mon avis sur la vaccination des enfants: je n’en ai pas et je ne suis pas pédiatre.
Beaucoup auraient souhaité rendre la vaccination contre la COVID-19 et ses nombreux variants obligatoire. Une bonne idée selon vous?
Si notre réflexion était uniquement basée sur l’épidémiologie, vacciner tout le monde en même temps au Québec et au Canada serait scientifiquement valable. Mais ça n’a pas vraiment le même impact que de vacciner la planète entière. La Cour suprême aurait pu décréter que la COVID-19 est une maladie à vaccination obligatoire, comme la variole l’a été et comme l’est la tuberculose. Nous aurions eu certains avantages, mais aussi des inconvénients, dont la confiance minée de la population envers les gouvernements, les institutions et même la médecine. Quant aux anti-vaccins, ils n’ont pas été inventés avec la COVID-19, mais ils ont trouvé là le terreau le plus fertile au monde et tout à fait d’actualité. La vaccination devenait le symbole du contrôle autoritaire pour cette armée de gens complètement disparates, unis par un seul point commun: s’opposer.
Dans Mes carnets de pandémie, vous écrivez une phrase à la fois toute simple et très forte sur le plan symbolique: «Je n’ai jamais vu autant de gens mourir seuls.» Est-ce qu’être exposé aussi souvent à la mort en a changé votre perception?
J’ai vu des gens mourir d’à peu près toutes les façons: des morts paisibles, colériques, souffrantes, etc. Parfois, on ne voudrait vraiment pas partir comme ça, ou alors on assiste à de très beaux moments. Mais fondamentalement, on finit toujours par mourir un peu seul. Par contre, ceux et celles qui partent sans peur, sans crainte et sans regret ont tous une chose en commun: cette conviction personnelle qu’ils avaient fait ce qu’ils avaient à faire. Je ne suis pas rendu là, ayant encore cette urgence de vivre. J’aspire à être capable de rester assis tranquille, ou d’avoir la sagesse de me retirer de la médecine le moment venu. J’ai vu trop de médecins qui auraient dû prendre leur retraite cinq ou dix ans plus tôt, et je ne veux pas leur ressembler.
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