Denis Coderre, 5e parmi les personnalités en qui les Québécois ont le plus confiance
« Il n’a plus ma confiance », répète le maire, tandis que les caméras et les magnétophones tournent. Et vlan ! Le ton est sans équivoque. Monsieur le maire n’est pas content et le fait savoir aux journalistes présents. Le 23 mars, c’est jour d’assemblée ordinaire du conseil municipal, à l’hôtel de ville de Montréal. Une petite bombe est tombée pendant que la soixantaine d’élus débattaient : le directeur général de la Société du parc Jean-Drapeau, Daniel Blier, est blâmé par le Bureau de l’inspecteur général (BIG).
Me Denis Gallant, nommé par Denis Coderre au lendemain de son élection, a relevé des « irrégularités majeures » dans l’attribution de contrats liés au projet de revitalisation de l’île Sainte-Hélène.
M.Coderre, lui, jouit de l’estime des Montréalais, mais aussi du reste de la province. Il se classe cinquième parmi les personnalités en qui les Québécois ont le plus confiance, selon les résultats du sondage réalisé par la firme Ipsos Reid pour Sélection du Reader’s Digest. Il devance ainsi tous les autres politiciens, même son ami Régis Labeaume. Denis Coderre, le maire, a réussi là où Denis Coderre, le député et le ministre, a échoué : une quasi-unanimité en sa faveur. Les Montréalais, encore échaudés par la corruption et les scandales des dernières années, sont agréablement surpris. Ça bouge dans la métropole, après des années d’inertie. De la venue du pape François pour les célébrations du 375e anniversaire de Montréal au retour des Expos, en passant par le recouvrement partiel de l’autoroute Ville-Marie et l’aménagement d’une plage dans le Vieux-Port, les Montréalais en prennent plein la vue. Ils en oublient les « nids de poule », les « cônes orange », la saleté.
La phrase qu’on entend le plus souvent à son sujet depuis son élection en novembre 2013 – par la plus faible majorité de l’histoire -, est parfois dite du bout des lèvres, constate l’animateur Paul Arcand : « Eh bien, il n’est pas si pire que ça. Denis Coderre n’a pas que des amis, mais même ses ennemis reconnaissent son efficacité, ajoute-t-il. Tu peux être en désaccord avec lui, mais au moins tu dis : « Il se passe quelque chose. » »
« Un des meilleurs moments que je vis comme maire, c’est quand les gens me disent : « on n’était pas de votre côté, mais là, on est avec vous ». Je n’ai jamais vu autant d’enthousiasme ! » Nous sommes attablés dans le vaste bureau décoré de boiseries de M. Coderre, un vendredi soir de mars, quelques jours avant l’assemblé du conseil municipal.
Souriant, affable, il fait sentir à son interlocuteur qu’il a toute son attention, voire son amitié. Il reçoit « humblement » la confiance des Québécois, l’attribuant à son « authenticité ». L’homme qui « a déjà perdu avant de gagner », comme il le dit lui-même, qui portait des bretelles quand plus personne ne le faisait, était fédéraliste au début de la vingtaine, membre des Chevaliers de Colomb et du Club optimiste de Montréal-Nord, est désormais dans l’ère du temps. Il est cool.
Un chef d’orchestre rassembleur
Peu avant son point de presse mouvementé, Denis Coderre a connu une assemblée ordinaire plutôt calme. Aux questions sur des sujets aussi divers que les crédits d’impôt, l’industrie du multimédia, les ratés du déneigement ou la ville intelligente, les responsables de ces dossiers se lèvent à tour de rôle pour établir l’état des lieux. Le maire de Montréal délègue. « Denis Coderre est un chef d’orchestre. Et il y a pas mal d’harmonie dans son orchestre. C’est un homme d’équipe », affirme Danielle Pilette, professeure au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, et spécialiste de la gestion municipale et métropolitaine. Le fait de « survoler » ainsi les tracasseries de la ville lui permet de magnifier son rôle. « Il est maire de Montréal, mais il agit comme un premier ministre », conclut-elle.
C’est lui le boss. Ceux qui l’ont côtoyé au fil de sa carrière sont unanimes : sous ses dehors débonnaires et joviaux se cache un politicien très habile, intimidant pour les uns, sympathique pour les autres.
C’est d’ailleurs ce qualificatif qu’a utilisé Richard Bergeron pour le décrire, à la demande d’un quotidien, lors de la campagne électorale. « Mes conseillers ont trouvé que j’avais été gentil, mais c’est ce que je pensais. Je l’ai découvert, et j’ai été agréablement surpris. » Depuis, le principal adversaire du maire n’a cessé d’être conquis, au point de se joindre à son équipe. Il a été nommé, coup sur coup, président de la Commission sur l’inspecteur général, responsable du recouvrement de l’autoroute Ville-Marie et de l’aménagement du système léger sur rail (SLR) du futur pont Champlain. « Avoir Richard dans mon équipe était très symbolique », confie Denis Coderre, ajoutant que les Montréalais ne veulent plus de confrontation. « On n’a pas besoin de partis politiques. Je place les meilleures personnes aux meilleurs endroits. J’ai vécu 16 ans au Parlement et maintenant, je ne suis plus dans la partisanerie. »
« Partisan ? Oui, il est partisan, on est en politique ! Mais c’est d’abord un rassembleur, déclare Richard Bergeron. C’est fou les talents qu’il a réunis autour de lui. En 12 ans à l’hôtel de ville, c’est la première fois que je vois un maire aussi ouvert aux motions de l’opposition. La moitié est adoptée unanimement ! » Sans Denis Coderre, Richard Bergeron ne serait plus en politique municipale. Le moment déterminant, raconte-t-il, fut lorsqu’il a accepté l’approche qu’il préconisait pour le dossier qui lui tenait le plus à cœur : le système léger sur rail (SLR) sur le pont Champlain et dans l’ouest de l’île. « Au moment où il a été convenu que j’étais la personne désignée pour mettre en œuvre cette approche et que je devais donc passer dans l’équipe du maire, nous nous sommes fait une accolade ! »
Denis Coderre, le « Jean Drapeau 2.0»
Denis Coderre est omniprésent dans les médias. « Il est partout, tout le temps, sur tous les sujets », affirme un journaliste affecté à la couverture municipale. « Il est capable de s’insinuer dans les nouvelles du jour, de sortir une citation percutante », confirme Alex Norris, conseiller pour Projet Montréal et porte-parole en matière d’éthique et de gouvernance pour l’opposition. Ça donne l’impression qu’il est dynamique. Sauf que, pour lui, chaque dossier se résume en 140 caractères ! » Celui qu’on surnomme le « Jean Drapeau 2.0 » a en effet quelque 39 000 tweets à son actif depuis son arrivée à la mairie, et son compte recense près de 200 000 abonnés. C’est une star des médias sociaux, qui maintient une moyenne de 13 tweets par jour, avec un pic entre 20 h et minuit, selon une analyse réalisée en mars dernier par Radio-Canada. Et il ne parle pas que de politique, bien au contraire. Parmi les cinq mots-clics qu’il utilise le plus, trois ont un rapport avec le hockey !
Car Denis Coderre aime le sport, tous les sports. « Je suis un bon gérant d’estrade », confie-t-il. Il suit ses bien-aimés Canadiens, l’Impact, les Alouettes, et s’est engagé dans l’équipe de football de son fils Alexandre, aujourd’hui âgé de 19 ans. « Je l’ai vu grandir grâce au football. » Il a d’ailleurs pris sa santé en main. Ses journées commencent par une séance de vélo d’intérieur, où il peut écouter l’une des 3 000 chansons que renferment son iPhone, de Lama à Aznavour, en passant par le rock alternatif, Marie-Mai ou Pavarotti. Son petit-déjeuner se compose d’un lait frappé au soja, au tofu et aux fruits. « Je ne mange plus de chips ! » Denis Coderre a fait savoir à tous les Québécois qu’il était au régime. C’est sa seconde perte de poids en public, après celle qu’il avait tentée lorsqu’il était jeune secrétaire d’État au Sport amateur, en 1999, dans le cabinet de Jean Chrétien. « J’avais perdu 50 livres. Je suis comme la météo, je fluctue. » Cette fois il veut donner l’exemple, même s’il le fait d’abord pour lui-même. À 51 ans, il veut prévenir l’hypertension ou un taux de cholestérol trop élevé. « Ces mots donnent des points aux scrabble, mais ce n’est pas bon pour la santé. »
Denis Coderre dort peu, cinq heures par nuit, et plutôt mal jusqu’à tout récemment, lorsqu’on lui a diagnostiqué une apnée du sommeil. Il doit désormais porter un masque respiratoire pour mieux dormir. « Une mauvaise nouvelle pour mon staff, car j’ai encore plus d’énergie ! » Cette grande vigueur lui permet non seulement de travailler de longues heures, « six jours et demi » par semaine, précise-t-il, mais aussi d’apprécier le temps passé avec ses enfants. « Mon fils Alex se couche tard, donc on en profite pour regarder un film ensemble lorsque je rentre à la maison. On se parle beaucoup. » Ce père de deux enfants (il a aussi une fille de 22 ans, Geneviève) est en couple depuis un quart de siècle avec une « femme magnifique », Chantale Renaud, qui travaille pour le manufacturier de soins de beauté et de cosmétiques Marcelle. Denis Coderre parvient à concilier sa lourde tâche et sa vie de famille. « Ils s’y sont habitués », reprend-il, ajoutant en riant que ses enfants ont été conçus entre deux élections partielles.
C’est qu’il fait de la politique depuis des décennies. D’abord membre des jeunes libéraux fédéraux en 1983, il est enfin élu à l’âge de 33 ans dans la circonscription de Bourassa, aux élections fédérales de 1997, après trois défaites d’affilée. Mais il n’a jamais remis en question son métier : la politique. Il n’a aucun regret. L’une de ses plus grandes fiertés ? Avoir remporté pour Montréal, alors qu’il était secrétaire d’État au sport, le siège de l’Association mondiale antidopage. « Je serai politicien toute ma vie, déclare-t-il. Ce n’est pas un métier, c’est une passion. »
Né Joseph Willy (nom de son grand-père) le 25 juillet 1963, à Joliette, Denis Coderre a toujours été « en avant », comme il le répète. Président de classe, ses professeurs lui faisaient prononcer des discours ou réciter des poèmes, et le curé, des épîtres. À l’âge de 10 ans, sa famille quitte Saint-Alphonse-
Rodriguez, dans Lanaudière, pour s’installer dans l’arrondissement Montréal-Nord, où il vit toujours. « C’est un endroit magnifique, dit-il, tricoté serré. Il y a de l’entraide, de la solidarité, tout le monde travaille ensemble. »
Son père, Elphège, menuisier, devient un col bleu à Montréal-Nord. Sa mère, Lucie Baillargeon, est femme au foyer. C’est à elle qu’il lance, à 12 ans : « Je veux être premier ministre ! »
C’est dans ce milieu modeste et multiculturel que Denis Coderre se frottera à la diversité montréalaise. Le maire de Montréal était l’un des plus farouches opposants à la Charte des valeurs du parti Québécois. « Montréal forme une mosaïque exceptionnelle. C’est la capitale du vivre ensemble. » Il a annoncé la tenue, en juin 2015, du premier Sommet du vivre ensemble, en marge de la Conférence de Montréal. Les communautés culturelles enrichissent Mont- réal, croit-il. « Il devance Québec sur les questions d’immigration et de sécurité, affirme Danielle Pilette. Il dit aux fonctionnaires : « moi je connais ça. Pas vous. Et je veux construire des ponts. » » C’est la communauté haïtienne que M. Coderre connaît et apprécie le plus. Devant ses membres, il parsème ses discours de phrases en créole et déclare à qui veut l’entendre qu’il est le premier maire haïtien de Montréal. « J’aime ce pays, ce peuple. Il est résilient. Même si le séisme leur a enlevé un peu le sourire… » En mars 2014, sa toute première mission à l’étranger, comme maire de Montréal, a d’ailleurs été à Port-au-Prince, la capitale d’Haïti.
Muni de l’instinct politique de Jean Chrétien
La vive réaction de Denis Coderre au dossier de la Société du parc des îles n’est pas anodine. Sitôt qu’il hume de près ou de loin l’odeur de la corruption ou de malversations, il perd le sourire. En juillet 2004, il est mis à l’écart du cabinet en raison de ses liens avec Claude Boulay, impliqué dans le scandale des commandites à titre de président du Groupe Everest. M. Coderre n’a jamais été accusé de quoi que ce soit, mais l’association lui a fait mal. En 1997, alors qu’il se séparait de sa femme, il dormait sur le canapé de la famille Boulay, au sous-sol de leur résidence de l’Île-des-Sœurs. « Je ne veux plus en parler. On a tout dit là-dessus », dit-il, le regard sombre, toute bonne humeur soudainement évaporée. Boulay est un chum. On m’en a mis beaucoup sur le dos. Mais quand tu te tiens droit, tu n’as pas de trouble. »
Il considère d’ailleurs que son meilleur coup, depuis qu’il est maire, est la nomination de son inspecteur général, « son paratonnerre contre la corruption », comme le dit Danielle Pilette. « On va arrêter de dire que Montréal est corrompu », ajoute le maire.
« Montréal n’est plus la même ville depuis qu’il est en poste, déclare Richard Bergeron. Le travail avait déjà été entamé avant son arrivée à la mairie, mais on peut dire qu’il est déterminé à l’achever. » Denis Coderre a mis en place un certain nombre de contrôles, confie Danielle Pilette, « mais Montréal demeure fragile et vulnérable sous l’angle de l’intégrité ». Gouverner sans que sortent quelques affaires douteuses de son flanc gauche sera sans doute sa tâche la plus ardue. « Il sent que c’est son talon d’Achille, dit Mme Pilette. Car la machine est loin d’être parfaite. Et il ne peut pas régler cela facilement. »
Denis Coderre veut faire de Montréal le fer de lance du Québec, une ville internationale, ouverte et prospère. Elle aura, en 2015, le statut de métropole, et les pouvoirs qui vont avec. « On définit le monde par les villes, déclare M. Coderre. Et on est en train de s’en donner une. On devient incontournable. » Il voulait, dès son arrivée, changer la « chip » des Montréalais, « cesser la flagellation ». « Avec mon ami Régis, on représente un contrepoids politique. On travaille et on parle d’une même voix. » Le respect vient avec les actions, disait-il en entrevue, il y a cinq ans. Va-t-il livrer la marchandise ? « Avec l’arrivée de Coderre, indépendamment de ce qui va se passer, il y a une façon de faire qui a changé, affirme Lorraine Pagé. Il a rompu avec l’inertie. »
À ses débuts, on le comparait au fougueux et populiste Jean-Claude Malépart. Aujourd’hui, on lui prête le même instinct politique hors du commun que Jean Chrétien. Mais puisqu’il est maire de Montréal, il préfère s’identifier à Jean Drapeau. « J’admire sa force. Il prenait des décisions. Avec lui, ça allait par là. » Il balaie les rumeurs qui le renvoient en politique fédérale, voire provinciale. « C’est fini, Ottawa. Ici, c’est ma place.
Je suis extraordinairement heureux comme maire. J’ai trouvé ma niche. » Tant que les Montréalais lui accorderont leur confiance, il sera à leur côté. « Mais la popularité est éphémère », rappelle le maire de Montréal, en se levant pour se rendre à un autre de ses soupers d’affaires.