L’importance de cette journée
« Depuis la fin du XVIIIe siècle, les manifestations ouvrières, les grèves et même les émeutes ont façonné la plupart des conceptions modernes du travail et des droits qui y sont associés», déclare James Daughton, professeur agrégé d’histoire à l’Université Stanford. «Les manifestations ouvrières sont également importantes parce qu’elles sont directement liées à de nouvelles idées sur les droits politiques. Lorsque les chômeurs manifestaient à Paris en 1848, par exemple, ils revendiquaient le droit d’étendre le débat aux questions de liberté, d’égalité et de suffrage universel.»
Ces démonstrations ouvrières ne restent pas confinées aux livres d’histoire, elles se perpétuent encore de nos jours. «Le mouvement “Occupy Wall Street”, par exemple, n’a peut-être pas changé la nature du travail aux États-Unis, mais il a apporté un nouveau discours et, surtout, des idées dénonçant les privilèges du “un pour cent” dans le discours public», ajoute le Pr Daughton.
En ce 1er mai, nous voulons rappeler quelques-unes des manifestations ouvrières qui ont changé le cours de l’histoire.
Ne manquez pas ces évènements de 2018 qui risquent de modifier les droits du travail.
Le massacre de Haymarket, Chicago
Pourquoi la Fête internationale des travailleurs se déroule-t-elle le 1er mai? Pour le comprendre, il faut remonter aux incidents du Haymarket Square. Le 1er mai 1886, des milliers de travailleurs américains se mettent en grève pour protester contre les mauvaises conditions de travail et exiger une journée de travail de 8 heures. La situation s’enflamme lorsque, le 4 mai, la foule se réunit sur le Haymarket Square de Chicago pour une grande manifestation syndicale.
On a fait appel à la police pour maintenir la paix et tout se déroule bien jusqu’à ce que quelqu’un – on ne saura jamais qui – lance une bombe sur les policiers, tuant l’un d’eux sur le coup. Le chaos qui s’ensuit fera de nombreux morts et blessés parmi les forces de l’ordre et les manifestants.
Cet événement sanglant a renforcé la position des syndicats et marqué le début des manifestations ouvrières modernes. Le 1er mai est devenu un jour férié dans beaucoup de pays. Pas au Canada ni aux États-Unis cependant, où l’on fait une différence entre la fête des Travailleurs (1er mai, non chômée) et fête du travail (premier lundi de septembre, férié).
Au Québec, la tendance est de plus en plus forte parmi les organisations syndicales de manifester la fin de semaine précédant le premier mai.
Consultez aussi ces moments historiques qui ont changé la condition des femmes.
Le Dimanche rouge, Saint-Pétersbourg
La Russie du début du XXe siècle ressemblait beaucoup à l’Europe médiévale, où quelques dirigeants vivant dans un luxe inouï contrôlaient la masse de paysans vivant dans une pauvreté extrême. Bien décidés à ne plus crever de faim ou manger seulement selon le bon désir de l’aristocratie, les gens ont commencé à organiser des groupes de travailleurs.
Le 22 janvier 1905, l’un de ces groupes marche vers le palais d’hiver du tsar Nicolas II pour présenter ses griefs. Les forces impériales ouvrent alors le feu sur les manifestants désarmés. Dans la panique qui s’ensuit, plus de 1000 manifestants sont tués ou blessés. L’indignation suscitée par le massacre du Dimanche rouge est telle qu’elle déclenche la première révolution russe de 1905, laquelle a rapidement mené à la deuxième révolution russe au cours de laquelle la monarchie a été renversée.
On établit dans la foulée une nouvelle forme de gouvernement qui veut mettre au premier plan les droits des travailleurs. Ces manifestations ouvrières ont non seulement bouleversé le cours de l’histoire de la Russie, devenue URSS avec l’avènement du communisme, mais aussi celui de la politique du monde en général.
Jetez un coup d’oeil à ces idées bizarres qui ont permis de changer les choses.
La bataille de Blair Mountain, Virginie-Occidentale
Bien qu’il s’agisse du plus grand soulèvement armé aux États-Unis depuis la guerre de Sécession, la bataille de Blair Mountain n’est pas très connue du public. Pourtant cette série de conflits opposant les mineurs et les industriels du charbon s’est étalée sur près d’une décennie et a marqué une bataille importante pour les droits constitutionnels.
En août 1921, plus de 10 000 mineurs de charbon armés marchent vers le comté de Mingo, en Virginie-Occidentale, pour protester contre le système des gardes miniers. À l’époque, les compagnies minières engageaient des milices armées privées et dirigeaient les opérations minières comme un État policier. Les droits de réunion, de libre expression et autres droits fondamentaux étaient abolis sous peine de renvoi et les syndicats étaient bannis.
Confrontés aux troupes locales, les mineurs ont engagé une bataille qui a fait rage pendant quatre jours et n’a pris fin qu’avec l’arrivée des troupes fédérales. Cet affrontement, désormais connu sous le nom de «Gettysburg du travail», a permis aux manifestants d’obtenir des droits fondamentaux qui ont au bout du compte profité à tous les travailleurs des États-Unis.
La grève générale de General Motors, Flint
La grève générale de General Motors, en décembre 1936, n’était pas une grande protestation en soi. Elle a toutefois eu des effets d’une grande portée et on a dit de cet événement qu’il avait lancé le mouvement ouvrier moderne.
Le 30 décembre, les travailleurs de l’automobile ont commencé un «sit-in» à l’usine de carrosserie numéro un de GM Fisher à Flint, au Michigan, qui allait durer 44 jours. Les travailleurs se battaient pour la reconnaissance de leur syndicat, des salaires plus élevés, de meilleures procédures de sécurité et – incroyable, mais vrai – la permission de parler dans la salle à manger.
Finalement, l’entreprise a cédé sur certains points et le syndicat des travailleurs de l’automobile est devenu une véritable force politique aux États-Unis, ce qui a eu des répercussions à l’échelle mondiale. Ce type de protestation – où l’on occupe les lieux de travail – avait été inspiré par des manifestations européennes similaires. Elle a à son tour inspiré les travailleurs d’autres pays à faire une «grève avec occupation».
La grève du raisin de Delano, Californie
Cesar Chavez est devenu dans les années 1950 un militant des droits civiques en Californie. À partir de 1962, il a fait des droits des travailleurs son cheval de bataille. Le 8 septembre 1965, un groupe de travailleurs philippins de la vigne déclenche une grève à Delano, en Californie, pour protester contre des années de mauvais salaires et de mauvaises conditions de travail.
Le groupe de Chavez s’est joint à eux et a créé le syndicat United Farm Workers, étendant ainsi le boycottage des vins californiens à tout le pays. Les viticulteurs finissent par céder en 1970, accordant aux travailleurs de meilleurs salaires, des avantages et des protections.
Les tactiques de protestation non violente de Chavez – grèves, boycottages, marches et jeûnes – ont inspiré des protestations ouvrières dans le monde entier.
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Les événements de 1968, partout dans le monde
Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, la qualité de vie de certains travailleurs connaît une formidable amélioration grâce à une économie en plein boom. Mais cette croissance laisse aussi sur le carreau beaucoup de laissés pour compte. En 1968, les inégalités sur la planète sont telles que des populations du monde entier – principalement les travailleurs à bas salaires, les étudiants et les personnes défavorisées – descendent dans la rue pour protester contre les inégalités sociales, les conditions de travail et les salaires. Mais aussi pour la protection de l’environnement et contre la course aux armements nucléaires.
Les protestations de 1968 sont reconnues pour avoir alimenté la montée du mouvement des droits civiques de Martin Luther King, Jr., et c’est aussi au cours de cette année que ce héros de la cause noire a été assassiné.
La remise des prix du Temple de la honte (Hall of Shame), Hong-kong
Les manifestations ouvrières sont généralement organisées par les citoyens d’un pays. Mais qui défend les droits des millions de travailleurs domestiques étrangers qui, dépourvus de tout statut légal, sont particulièrement vulnérables aux abus?
Le 15 décembre 2005, les travailleurs domestiques étrangers ont participé à la manifestation des Hall of Shame Awards (les lauréats du Temple de la honte). À Hong Kong, les manifestants ont fait le tour des consulats de divers pays, où ils ont remis des «prix» aux dirigeants des pays qui commettaient les violations des droits de l’homme les plus scandaleuses et les crimes contre les travailleurs.
Les entreprises aux pratiques commerciales violant régulièrement les «droits de l’homme, détruisant l’environnement, encouragent des pratiques fiscales immorales ou la corruption» ont également été récompensées par des prix «Public Eyes». Une tradition qui a pris naissance à Davos, en Suisse, et qui dénonce les dérives d’une globalisation orientée vers les seuls intérêts des multinationales.
Le printemps arabe, un peu partout dans le monde arabe
Le printemps arabe, qui n’était au départ qu’une simple protestation ouvrière, a déclenché des soulèvements dans de nombreux pays arabes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
En 2010, Mohamed Bouazizi, un vendeur de fruits tunisien, s’est immolé par le feu en signe de protestation lorsque la police a menacé de fermer sa petite entreprise parce qu’il ne disposait pas des permis nécessaires. Il est rapidement devenu un symbole pour les travailleurs opprimés de Tunisie, mais aussi dans toute la région et le Moyen-Orient. Les divers mouvements de protestation qui ont eu lieu dans la foulée ont eu des conséquences à l’échelle planétaire qui se font encore sentir aujourd’hui.
Le combat pour un salaire minimum à 15$, États-Unis
Le salaire minimum fédéral aux États-Unis est actuellement de 7,25 $ l’heure et n’a pas augmenté depuis 10 ans, malgré une reprise complète de l’emploi après la Grande Récession. Le 29 novembre 2012, des centaines de travailleurs de la restauration rapide ont quitté leur emploi à New York pour protester contre la faiblesse du salaire minimum. Le combat pour un salaire minimum à 15 $ a donné le coup d’envoi à des rassemblements et à des grèves partout au pays.
Le 15 avril 2015, des dizaines de milliers de travailleurs touchant le salaire minimum et provenant d’un large éventail de domaines ont rejoint ce mouvement de protestation et ont quitté leur emploi, ce qui en fait la plus grande manifestation de travailleurs à bas salaires de l’histoire américaine.
Le mouvement ne s’est pas limité aux États-Unis. Plus de 200 villes dans le monde ont organisé des manifestations similaires pour exiger un salaire minimum décent dans leur pays. Au Canada, le salaire minimum oscille entre 15$ (Alberta) et 11$, Nouvelle-Écosse. Au Québec, il a connu des hausses notables au cours des dernières années, passant de 10,75$ en 2016 à 11,25$ en 2017 et 12$ en 2018. Il s’établira à 12,50$ à partir de la date très symbolique du 1er mai 2019.
Les émeutes d’Heilongjiang LongMay Mine Riots, Chine
En 2016, le gouvernement chinois met en œuvre diverses réformes économiques, dont l’une prévoit de réduire la production de charbon au pays. La mine Heilongjiang LongMay ayant annoncé son intention de licencier 100 000 travailleurs, c’est plus de 10 000 travailleurs qui se mobilisent. Ils n’ont pas été payés depuis six mois et travaillent dans des conditions déplorables. (La mine a été le théâtre d’une terrible explosion en 2009 qui a tué plus de 100 mineurs.) En raison de son ampleur, ce soulèvement est considéré comme l’un des plus grands mouvements ouvriers au monde.
Plus tard dans l’année, le gouvernement a débloqué 15 milliards de dollars pour aider les travailleurs, mais plus d’un demi-million de mineurs chinois sont toujours déplacés dans d’autres régions et sans emploi.
Les manifestations de mai 2017, États-Unis
Les protestations ouvrières se poursuivent en Amérique. Il suffit pour s’en convaincre de penser aux manifestations du 1er mai 2017. Dans tout le pays, des milliers de personnes sont descendues dans la rue à Chicago, Detroit, Las Vegas, Los Angeles, Miami, New York, Philadelphie, San Francisco, Seattle, Washington DC et bien d’autres villes, pour protester contre les politiques du président Donald Trump sur l’immigration et les droits des travailleurs.
Des manifestations ouvrières ont eu lieu le même jour à La Havane, Istanbul, Moscou, Saint-Pétersbourg, Paris, les Philippines, et Tbilissi, en Géorgie, ce qui en fait une affaire mondiale. Ces man ifestations se sont répétées le 1er mai 2018 et sont également prévues en 2019.
Lisez l’histoire de Rivka Augenfeld, une femme qui a consacré sa vie à la défense des droits des immigrants.
Le mouvement des «gilets jaunes», France
Déclenchées en novembre 2018, les manifestations des gilets jaunes se poursuivent. Tout a commencé lorsque les travailleurs français se sont opposés à une hausse des prix de l’essence, mais les protestations ont rapidement débordé ce simple cadre pour devenir un témoignage du ras-le-bol général face aux inégalités.
Les manifestants affirment que les «réformes fiscales» de leur gouvernement ne profitent qu’aux riches et se font au détriment des pauvres. En signe de solidarité, les travailleurs ont revêtu les gilets jaune vif que tous les conducteurs français doivent avoir dans leur voiture en cas d’urgence.
Certaines des manifestations ont donné lieu à de violentes émeutes, à des actes de vandalisme, à des pillages et à des jets de gaz lacrymogène. Et dans certains cas, le gouvernement a déployé l’armée. Ce mouvement a changé le mode de revendication du droit des travailleurs en France, mais aussi dans le monde. Les gilets jaunes sont devenus un symbole puissant, adopté lors de manifestations dans le monde entier, notamment en Australie, en Irak et en Israël.
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