La condamnation d’une mère: l’histoire de Kathleen Folbigg
À la suite de la mort en bas âge de ses quatre enfants, Kathleen Folbigg est inculpée de meurtre par un tribunal. Vingt ans plus tard, la science lève enfin le voile sur l’affaire.
Un après-midi d’août 2018, la professeure d’immunologie Carola Vinuesa se trouvait dans son bureau de l’école de recherche médicale John Curtain à Canberra, en Australie, quand elle a reçu un appel qui allait changer sa vie (et en sauver une autre) en la plongeant dans l’univers fascinant et complexe de la génétique.
David Wallace – ancien étudiant à John Curtain à qui elle n’avait pas parlé depuis des années – l’appelait pour lui présenter une situation à la fois choquante et intrigante. Une Australienne du nom de Kathleen Folbigg avait été condamnée à une longue peine d’emprisonnement pour les meurtres de ses quatre enfants, tous en bas âge, commis sur une période de 10 ans. Si beaucoup disaient abhorrer les gestes posés par Kathleen Folbigg, d’autres doutaient de sa culpabilité.
En raison du manque de preuves utilisées pour condamner la femme, David Wallace se demandait si les recherches de la professeure ne pourraient pas faire la lumière sur la cause exacte de la mort des enfants.
Au cours des cinq années suivantes, Carola Vinuesa et une équipe internationale de scientifiques travailleront à répondre à cette question. Leurs conclusions vont bouleverser le système judiciaire australien, soulever des interrogations au sujet du traitement réservé aux mères accusées d’avoir assassiné leurs enfants et mettre en lumière le mauvais usage des preuves scientifiques.
L’histoire de Kathleen Folbigg
Kathleen Folbigg voit le jour à Balmain, une banlieue de Sydney, en Australie, le 14 juin 1967. Dès sa plus tendre enfance, Kathleen Megan Britton connaît une existence marquée par les tragédies, l’instabilité et la folie. En décembre 1968, son père, Thomas Britton, poignarde sa mère à mort au cours d’une querelle, puis passe 15 ans derrière les barreaux avant d’être déporté vers son Angleterre natale. La jeune Kathleen se retrouve chez la sœur de sa mère à l’ouest de Sydney.
Tout espoir de vivre une enfance heureuse est anéanti. Sa tante, connue dans les dossiers de la cour comme «Mme Platt», se plaint au printemps 1970 aux services de protection de l’enfance que la fillette est agressive, impolie, malpropre et préoccupée par la masturbation – et que les efforts requis pour prendre soin de sa nièce mettent son mariage en péril. Elle dit ne plus vouloir d’elle. Kathleen n’a même pas trois ans.
Des médecins déterminent que l’enfant a probablement été abusée par son père. On découvre également chez elle un QI inhabituellement bas, en grande partie imputable à sa nature agitée et renfermée. En septembre 1970, on la place en famille d’accueil chez Deirdre et Neville Marlborough, qui habitent Newcastle, à 120 km au nord de Sydney.
Au départ, Kathleen s’attache à sa nouvelle famille et fonctionne bien à l’école, mais l’héritage de son début de vie catastrophique finira par prendre le dessus: prise en flagrant délit de vol à l’étalage, elle abandonne l’école très jeune et entretient une relation conflictuelle avec Deirdre. À 17 ans, elle quitte la maison et emménage chez la famille d’une amie.
Un an plus tard, dans une boîte de nuit de Newcastle, elle rencontre Craig Folbigg, un conducteur de chariot élévateur de 23 ans. Grand, les cheveux bruns et le sourire facile, à la fois charmant et bavard, Craig semble être le sauveur de Kathleen. Ensemble, ils pourraient fonder la famille dont elle a toujours voulu. Ils se marient en 1987 – elle n’a alors que 20 ans – et louent un appartement à Georgetown en banlieue de Newcastle. Kathleen se trouve un emploi de serveuse dans un restaurant indien.
Issu d’une fratrie de huit frères et sœurs, Craig désire une grosse famille, et le couple attend bientôt un enfant. Enchantée, Kathleen surprotège l’enfant à naître: Craig n’a plus le droit de fumer à l’intérieur et elle-même s’alimente mieux. À la naissance de Caleb en février 1989, la jeune femme se dit comblée; après toutes ces années de bouleversements, elle a un mari, une maison et un bébé.
Le 20 février 1989, le malheur frappe lorsque Kathleen trouve Caleb, âgé de 19 jours seulement, mort dans son berceau. Une autopsie conclura au syndrome de la mort subite du nourrisson comme cause du décès.
Bien que dévastée, Kathleen ne se décourage pas et retombe bientôt enceinte. Lorsque Patrick naît en juin 1990, il subit une batterie de tests, dont un de sommeil. Les résultats s’avèrent normaux, mais Kathleen craint encore pour la vie de son fils.
Et elle avait raison de s’inquiéter: le 18 octobre, Patrick, alors âgé de 4 mois, présente un problème soudain, généralement associé à un manque d’oxygène, qui met sa vie en danger. L’événement laisse des séquelles – lésions cérébrales, déficience visuelle et convulsions – pour lesquelles Patrick sera hospitalisé à maintes reprises.
Prendre soin de son bébé handicapé devient l’unique préoccupation de Kathleen. Elle pense à lui constamment ou l’a toujours dans les bras. En février 1991, il meurt aussi. La cause du décès? Une asphyxie causée par l’obstruction des voies respiratoires en lien avec ses crises convulsives.
Se sentant responsable de la mort de ses deux enfants, Kathleen sombre dans une profonde dépression. Elle décide que Craig et elle ont besoin de changer de vie s’ils veulent conjurer le mauvais sort qui s’abat sur leur famille. Ils vendent leur maison et déménagent à Thornton, au nord de Newcastle. Craig devient vendeur de voitures alors que Kathleen se trouve du travail chez un détaillant de produits pour bébés, un emploi qui répond à son désir déchirant d’avoir une famille.
Sarah naît le 14 octobre 1992. Elle subit également de nombreux tests, lesquels ne révèlent rien d’anormal. Sarah semble se développer normalement, mais Kathleen devient obsédée par la possibilité de la perdre, ce qui met de la pression sur le couple.
Un soir, Craig voit Kathleen «grogner» après Sarah, qui a maintenant 10 mois, alors qu’elle tente de l’endormir. Elle lui remet l’enfant en lui disant de s’en occuper. Le lendemain, le 30 août 1993, Sarah meurt. L’autopsie conclura au syndrome de la mort subite du nourrisson comme cause du décès.
Qu’est-ce qui peut bien expliquer cette terrible malchance? À la suite de la mort de Sarah, Craig s’enfonce dans une profonde dépression. Dans l’espoir de voir la chance tourner, ils s’achètent une maison à Cardiff, à l’extrémité ouest de Newcastle, près de la famille de Craig.
Le couple, qui commence à craquer sous la pression, se sépare à plusieurs reprises, mais il se ressoude chaque fois – soit en raison d’un véritable amour mutuel ou du lien créé par les drames répétés. Ils déménagent encore, cette fois à proximité de Hunter Valley, et décident d’avoir un autre enfant.
La naissance de Laura
Laura naît le 7 août 1997, près de quatre ans après la mort de Sarah. Bien que ce soit aussi un bébé en santé, elle fait l’objet d’examens plus approfondis, dont une batterie de tests sanguins, métaboliques et biochimiques. Pendant 12 mois, son suivi cardiorespiratoire n’indique aucun problème avec ses fonctions cardiaque et respiratoire. Comme le premier anniversaire de Laura approche, Kathleen organise une grande fête. Elle a finalement un bébé en bonne santé, et son anxiété diminue. La vie qu’elle avait désirée prend enfin forme après trois faux départs déchirants.
Le couple bat cependant encore de l’aile. Kathleen se montre une mère dévouée, mais Craig s’inquiète de ses éclats de colère. Un soir, à la fin de février 1999, il remarque la tension entre Kathleen et Laura, alors âgée de près de 18 mois. «Oh, elle m’en veut, lui dit Kathleen. C’est probablement à cause de ce que je lui ai fait hier soir. J’ai perdu le contrôle avec elle.»
Au déjeuner le matin du 1er mars, Kathleen essaie en vain de faire manger ses céréales à Laura. Elle la sort de sa chaise haute, la dépose par terre et lui dit d’aller voir son «putain de père». Lorsque Craig quitte la maison pour le travail, Laura est en train de regarder la télévision.
Dans l’avant-midi, Kathleen appelle Craig pour s’excuser de s’être emportée, puis amène Laura lui rendre visite pendant sa pause du matin. Laura s’endort dans la voiture sur le chemin du retour, et Kathleen la transporte dans son lit. Laura meurt plus tard ce jour-là. Cette fois, l’autopsie n’est pas concluante, bien qu’elle révèle que Laura souffrait de myocardite, une inflammation du cœur.
La police impliquée
Dans l’après-midi du 1er mars 1999, peu après que Laura est déclarée le quatrième enfant de la famille mort en 10 ans, un policier va rencontrer le couple à l’hôpital. Les morts subites des quatre enfants, apparemment tous en santé à la naissance, suggéraient quelque chose de sinistre n’ayant rien d’une coïncidence malheureuse aux yeux de la police. Kathleen pouvait-elle les avoir tués?
Alors que les enquêteurs intensifient leurs efforts en fouillant la maison des Folbigg, le couple éprouve de nouveau des difficultés. Encore sous la mire de la police, Craig et Kathleen se séparent définitivement en juin 2000. Le 19 avril 2001, Kathleen est arrêtée et accusée de quatre meurtres. Elle plaide non coupable à tous les chefs d’accusation.
Le procès devant jury débute au printemps 2003 à la Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud, à Sydney. Sur les photos prises durant le procès, Kathleen apparaît telle une somnambule, le teint pâle, les paupières lourdes.
La poursuite posait un regard froid sur la mort des enfants: Kathleen Folbigg aurait asphyxié chacun d’eux. Les preuves circonstancielles semblaient accablantes: chaque enfant jouissait apparemment d’une bonne santé avant de mourir dans son propre lit, et Kathleen était la dernière personne à les avoir vus vivants et aussi qui les avait trouvés morts.
Après la séparation définitive du couple, Craig avait trouvé les journaux intimes de sa femme et dira plus tard au jury que ce qu’il y avait lu «lui donnait envie de vomir». Les avocats de la Couronne se sont servis de ces journaux pour alléguer que Kathleen Folbigg avait tendance à «stresser et à s’impatienter ainsi qu’à perdre le contrôle avec chacun de ses quatre enfants». On l’a accusée d’être frustrée, impatiente et même cruelle envers ses enfants.
Selon les procureurs, plus de 200 inscriptions dans ses journaux démontraient qu’elle n’aimait aucun de ses enfants et qu’elle n’avait pas créé de lien avec eux. Que la maternité l’avait rendue stressée et pleine de ressentiment au point de commettre le pire.
- 3 juin 1990: C’est la date où Patrick Allen David Folbigg est né. J’avais des sentiments partagés ce jour-là à savoir si j’allais réussir en tant que mère ou si j’allais devenir stressée comme je l’ai été la dernière fois. Caleb et Patrick me manquent souvent, seulement parce que ça change tellement ta vie et peut-être parce que je ne suis pas une personne qui aime le changement, alors nous verrons.
- 9 novembre 1997: Avec Sarah, tout ce que je voulais c’était qu’elle arrête de parler, et un jour elle l’a fait.
- 28 janvier 1998: Je me sens comme la pire mère du monde, j’ai peur que Laura me quitte maintenant comme Sarah l’a fait. Je savais que j’étais parfois colérique et cruelle envers elle et elle est partie, avec un peu d’aide. Je ne veux plus jamais que ça se reproduise. Je semble réellement avoir un lien avec Laura. Ça ne peut plus se produire. J’ai honte de moi. Je ne peux pas en parler à Craig parce qu’il aurait peur de me laisser seule avec elle.
Le verdict de Kathleen Folbigg
Les procureurs ont fait valoir qu’une mère éplorée n’écrirait pas ces choses. Même si les résultats entourant la mort des enfants n’étaient pas concluants, on a présenté les journaux intimes comme des preuves évidentes que Kathleen Folbigg était une mère inapte. Et n’y aurait-il pas qu’un pas entre l’inaptitude et la violence?
Kathleen Folbigg n’était pas la première femme condamnée pour avoir tué ses enfants dans des circonstances similaires. Nombre de ces cas ont été influencés par Roy Meadow, un pédiatre britannique ayant développé une théorie reconnue comme la «loi de Meadow» selon laquelle une mort subite d’enfant dans une famille constitue une tragédie, deux morts sèment le doute et trois sont des meurtres à moins de la preuve du contraire. Pathologiste pédiatrique à Toronto et expert en matière de poursuites judiciaires dans des procès criminels de personnes accusées de maltraiter leurs enfants, Charles Smith utilisait une approche similaire. Les deux experts avaient inversé la tradition du droit coutumier de la présomption d’innocence.
Bien qu’on ait depuis discrédité les deux hommes et que de nombreuses personnes qu’ils avaient contribué à faire condamner aient été innocentées par la suite, les torts causés étaient immenses. Par exemple, Sally Clark, une avocate britannique, avait été condamnée pour avoir tué ses deux fils en bas âge en 1999. Une révision ultérieure du cas a révélé que Roy Meadow avait dénaturé les preuves statistiques à son procès et qu’un pathologiste avait omis de divulguer des preuves indiquant une mort naturelle. La libération de Sally Clark en 2003 a mené à la révision de centaines de cas au Royaume-Uni, et plusieurs autres mères ont ainsi vu leur condamnation annulée.
La présomption de culpabilité aura cependant influencé des cas similaires. Le 21 mai 2003, Kathleen Folbigg est reconnue coupable de trois chefs d’accusation de meurtre, d’un chef d’accusation d’homicide involontaire et d’un chef d’accusation de coups et blessures. En octobre de la même année, elle écope d’une peine de 40 ans de prison sans possibilité de libération conditionnelle avant 30 ans. Elle a 35 ans lorsqu’elle est incarcérée au centre de détention pour femmes Silverwater à Sydney. En appel, sa sentence sera finalement réduite à 30 ans d’emprisonnement sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.
Vouloir innocenter son amie à tout prix
L’arrestation de Kathleen Folbigg a galvanisé Tracy Chapman, une amie d’enfance. En suivant son procès, Tracy a acquis la certitude que Kathleen ne serait pas reconnue coupable. Peu après sa condamnation, elle a repris contact avec elle. Tracy a téléphoné aux avocats et lu toutes les transcriptions en tentant désespérément de trouver une façon de faire innocenter son amie.
Les deux femmes communiquaient principalement en s’écrivant de longues lettres, dans lesquelles Kathleen décrivait son quotidien en détention. Le plus frappant, selon Tracy, était que son amie – qu’elle décrivait comme une amoureuse des animaux avec un formidable sens de l’humour – n’avait rien perdu de sa compassion ou de sa décence malgré la triste réalité qu’elle devait endurer. «Elle possédait un profond sens moral, expliqua-t-elle, et je la soutenais pour empêcher le système carcéral de le lui enlever.»
D’autres personnes ont également commencé à mettre en doute la culpabilité de Kathleen Folbigg. Emma Cunliffe, une Australienne doctorante en droit à l’Université de la Colombie-Britannique, faisait partie des premiers dissidents. Elle s’est penchée sur le cas de Kathleen dans une optique féministe, à partir d’un consensus émergeant parmi certains spécialistes à savoir que les enquêteurs et les procureurs étaient enclins à nourrir un raisonnement discriminatoire envers les femmes – particulièrement à l’égard des mères accusées d’avoir blessé ou tué leurs enfants.
En examinant les dossiers du procès, Emma Cunliffe fut troublée par le fait que tant de gens impliqués dans ce cas étaient persuadés de la culpabilité de Kathleen malgré l’absence de preuves d’homicide. Elle considérait aussi comme préjudiciable et trompeuse l’utilisation de ses journaux intimes.
«Le plaidoyer de la Couronne voulait que les morts inexpliquées de quatre enfants d’une même famille, conjuguées aux écrits dans les journaux intimes et aux preuves de la tendance de Mme Folbigg à la frustration, suffisaient à prouver hors de tout doute raisonnable que Kathleen Folbigg avait tué chacun de ses enfants», a écrit Emma Cunliffe dans l’Australian Feminist Law Journal en 2007.
En 2011, une revue spécialisée a demandé à Stephen Cordner d’étudier le livre d’Emma Cunliffe Murder, Medicine and Motherhood portant sur le cas. Médecin légiste à Melbourne, Stephen Cordner avait suivi un cas similaire à partir de 2007 dans l’État australien de Victoria. Carol Matthey, une mère âgée de 27 ans habitant la ville de Geelong, avait été accusée du meurtre de ses quatre enfants. La Couronne alléguait que chacun d’eux avait été asphyxié délibérément et que Carol Matthey montrait «peu d’égard» envers ses enfants qu’elle utilisait comme des pions dans sa relation avec son partenaire. Les accusations avaient finalement été abandonnées en raison des preuves insuffisantes.
De plus en plus de doutes
En examinant les conclusions d’Emma Cunliffe, Stephen Cordner est frappé par les similitudes entre les deux cas – et le sentiment qu’il y avait quelque chose de parfaitement injuste dans la condamnation de Kathleen Folbigg. S’adressant au centre juridique de l’université Newcastle qui s’occupait bénévolement du cas de Mme Folbigg, il a dit vouloir étudier la condamnation. Dans son compte rendu de 100 pages, M. Cordner écrit que les rapports pathologiques n’apportaient aucune preuve pouvant étayer la conclusion selon laquelle les enfants avaient été assassinés.
Il y indique également que la poursuite s’était servie des journaux intimes de Kathleen Folbigg pour la dépeindre comme une mère frustrée encline à s’emporter de façon incontrôlable, alors que les enfants ne présentaient aucune trace de blessures. Par exemple, sous la pression de l’asphyxie, les dents de Laura auraient dû laisser une marque à l’intérieur de sa bouche. Comment une mère à ce point violente pouvait-elle tuer ses enfants avec autant de douceur?
Au fil des années, d’autres experts médicaux et judiciaires ont soulevé des doutes concernant la condamnation de Kathleen Folbigg. La campagne pour l’innocenter a pris un tournant décisif en 2018 lorsque Carola Vinuesa est entrée en scène. David Wallace, l’ancien étudiant de l’école de médecine devenu avocat en litige commercial, avait suivi l’affaire avec un malaise croissant face au manque de preuves. Il a demandé à la professeure Vinuesa s’il était possible que le séquençage du génome complet – le processus pour déterminer le profil ADN complet d’un individu – pourrait faire la lumière sur la mort des enfants Folbigg.
La Dre Vinuesa a accepté de se pencher sur le cas. Elle a d’abord demandé à une collègue de rendre visite à Kathleen en prison et de procéder à un prélèvement buccal. En séquençant l’ADN de la détenue, la professeure a découvert que celle-ci présentait une mutation extrêmement rare du gène CALM2-G114R, associée aux arythmies et à la mort cardiaques. Kathleen Folbigg aurait-elle transmis cette mutation potentiellement mortelle à ses enfants?
Pour obtenir un portrait plus complet du bagage génétique des enfants, elle a voulu également séquencer l’ADN de Craig Folbigg. Il a refusé d’en fournir un échantillon en maintenant que son ex-femme était coupable et qu’il refusait de faire partie des efforts pour l’innocenter.
L’avocat de Kathleen Folbigg a présenté les résultats d’Emma Cunliffe, de Stephen Cordner et de Carola Vinuesa à Mark Speakman, le procureur général de l’État de la Nouvelle-Galles du Sud et, en août 2018, il a annoncé l’ouverture d’une enquête. L’année suivante, Reginald Blanch, un ancien juge en chef de la Cour fédérale, a produit un rapport de plus de 500 pages avec force détails sur la vie de Kathleen Folbigg ainsi que sur les conclusions et les preuves présentées à son procès. Les sympathisants à sa cause se sont dits renversés par son verdict: «Je n’ai trouvé aucun vice ou erreur de procédure dans le déroulement du procès qui me permettrait d’avoir un doute raisonnable quant à la culpabilité de Mme Folbigg», écrit Reginald Blanch.
Incarcérée depuis 16 ans à ce moment-là, Kathleen Folbigg avait toujours clamé son innocence. Rien ne semblait pouvoir être fait pour la disculper. Le rapport «donnait l’impression que la porte venait de se refermer», a commenté Stephen Cordner.
Poursuivant ses recherches, la Dre Carola Vinuesa prend contact avec le généticien de renommée mondiale Peter Schwartz à l’Institut auxologique de Milan. Par une remarquable coïncidence, il vient d’écrire sur un cas similaire où deux enfants de la même fratrie présentaient la même mutation que Kathleen Folbigg sur l’un des autres gènes CALM. L’un des enfants était mort alors que l’autre avait fait un arrêt cardiaque, mais y avait survécu.
Peter Schwartz fait alors appel à des collègues au Danemark. Mette Nyegaard, professeure de biomédecine à l’université Aarhus, et Michael Toft Overgaard, professeur de biosciences à l’université Aalborg, avaient fait une découverte semblable sept ans auparavant: des membres d’une famille suédoise avec des antécédents de mort cardiaque subite présentaient une mutation extrêmement rare sur un autre gène du groupe CALM associé à une mort subite dans l’enfance. Les deux cas soutenaient la théorie voulant que la mort des enfants Folbigg n’était pas nécessairement le résultat d’actes criminels.
La Dre Vinuesa comprend que les enquêteurs ont conclu au meurtre des enfants Folbigg parce que leurs chances de mourir de causes naturelles étaient infinitésimales. Mais lorsque ces décès sont reliés à un facteur génétique, la donne change considérablement. «La probabilité est de 1 chance sur 16 plutôt que de 1 sur 73 millions», selon elle.
Elle se met alors à réunir l’ADN de Caleb, de Patrick, de Sarah et de Laura en allant chercher des échantillons datant de dizaines d’années, prélevés à la naissance des enfants ou pendant leur autopsie. Ses analyses révèlent que la mutation CALM2 avait été transmise à Sarah et à Laura. Caleb et Patrick, pour leur part, partageaient une autre mutation extrêmement rare sur le gène BSN, relié celui-là aux crises d’épilepsie mortelles.
La rumeur concernant des preuves de plus en plus nombreuses que les quatre enfants Folbigg étaient morts de causes naturelles se répand. Quelque 90 éminents scientifiques – dont des lauréats du prix Nobel et le président de l’Académie des sciences de l’Australie – signent, en 2021, une pétition pour ouvrir une nouvelle enquête sur la condamnation de Kathleen Folbigg.
De son côté, Peter Yates, un ancien banquier d’affaires ayant siégé au sein des conseils d’administration des plus importantes institutions du pays, entend la Dre Vinuesa parler de ce cas. Il se convertit immédiatement à sa cause et devient ce qu’il appelle «le président de facto de l’équipe Folbigg». Faisant pression sur les politiciens et engageant une firme de relations publiques pour changer la perception du public concernant Kathleen, il la fait passer de tueuse en série à mère endeuillée condamnée injustement.
La couverture médiatique atteint des sommets: Kathleen Folbigg avait déjà fait les manchettes à titre de «pire tueuse en série d’Australie», maintenant son incarcération est dépeinte comme une terrible erreur judiciaire.
En mai 2022, en réaction à l’énorme pression venant du public et de la communauté scientifique, la gouverneure de la Nouvelle-Galles du Sud, Margaret Beazley, ordonne la tenue d’une seconde enquête sur la recommandation du procureur général Michael Daley. Un an plus tard, le responsable de l’enquête, le juge à la retraite Thomas Bathurst, conclut qu’il existe un doute raisonnable quant à la culpabilité de Kathleen Folbigg. La gouverneure lui accorde un pardon total et ordonne qu’elle soit libérée.
Elle sort de prison le 5 juin 2023, âgée de 55 ans. Elle aura passé 20 ans en détention.
La vie après la détention
Elle vit sa première soirée de liberté dans la ferme de Tracy Chapman, à manger de la pizza et à boire de la liqueur de café Kahlua et du Coca-Cola. «Nous n’avons pas tellement parlé, explique Tracy. Il y avait une sorte de profondeur dans le silence.» Pendant toutes ces années, leur amitié avait été empreinte d’un seul et même but: faire sortir Kathleen de prison. Maintenant, elles pouvaient enfin se reposer.
En novembre 2023, le rapport final de la seconde enquête a recommandé l’annulation des condamnations de Kathleen Folbigg et, le mois suivant, la Cour d’appel en matière pénale de la Nouvelle-Galles du Sud les a formellement annulées.
Pour beaucoup de sympathisants, sa condamnation injustifiée a soulevé des questions sur le nombre d’autres femmes innocentes qui croupissent peut-être en prison en raison de données scientifiques erronées et de la mauvaise interprétation de leurs gestes.
«Nous avons encore beaucoup de travail à faire», selon Stephen Cordner, qui a récemment publié le livre Wrongful Convictions in Australia: Addressing Issues in the Criminal Justice System. Des experts judiciaires ont demandé au gouvernement australien de nommer un comité indépendant pour étudier les condamnations injustifiées.
Essuyant des larmes, Kathleen Folbigg s’est adressée aux médias après l’annulation de ses condamnations: «J’espère que personne d’autre n’aura jamais à souffrir comme j’ai souffert.»
«Mes enfants sont ici avec moi aujourd’hui, et je les garderai dans mon cœur jusqu’à la fin de mes jours.»
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