Comment venir à bout de cette invasion de mites
J’essayais d’engager la conversation, mais mon père, malade, préférait la télévision. Gonflé par les stéroïdes, son ventre ressemblait à celui d’une femme enceinte. Il y avait encore des mites dans le salon où il ne restait que la télé et le lit d’hôpital. Ne pouvant guérir notre père, nous avons cherché une autre mission.
Il y avait une invasion chez mes parents. Le léger froissement commençait dans les coins au coucher du soleil puis s’intensifiait jusqu’à ce que l’air vibre dans le séjour. «Quel fléau!», hurlait mon père en battant l’air pour chasser les mites depuis son fauteuil à dossier inclinable. Elles créaient un flou pixélisé sur l’écran du téléviseur et transformaient la lampe de lecture derrière sa tête en stroboscope. Je les écrasais entre mes mains et les réduisais en poudre en un tour de magie. Mais rien à faire, elles revenaient.
C’était en novembre 2015 et ma grossesse commençait tout doucement à se voir. Mes voyages de Toronto à Ottawa, où vivaient mes parents, se faisaient plus rares. Deux ans plus tôt, on avait diagnostiqué un cancer du poumon à mon père et les médecins lui avaient donné de six à neuf mois. Dans l’espoir d’améliorer son pronostic, il avait accepté une radiothérapie des poumons et du cerveau, et une chimio. J’essayais de venir le voir au moins une fois par mois, mais dans mon état, et avec tous mes rendez-vous, c’était plus difficile. Comme les médecins lui interdisaient de conduire en raison de ses métastases au cerveau, dès mon arrivée, je me transformais en chauffeur pour ses rendez-vous. Mais l’essentiel de notre temps se passait à la maison.
Les papillons étaient comme nous attirés par le séjour, l’énorme téléviseur faisant office de fanal. Pour mon père, la télé était une présence et il l’allumait comme d’autres la radio. Depuis son diagnostic, il regardait n’importe quoi. Dans les émissions de téléréalité, qui avaient remplacé les films, on évoquait parfois sans prévenir des maladies mortelles. Dès qu’il était question de cancer, on se tortillait jusqu’à ce qu’on trouve un prétexte pour changer de chaîne.
Mais «regarder» n’est peut-être pas le bon mot pour décrire ce que faisait mon père – il fixait le vide ou un point dans le jardin, de l’autre côté de la fenêtre, en jouant avec ses cheveux derrière le crâne qui avaient repoussé bouclés après la chimio, pendant que le téléviseur continuant à radoter comme un voisin bavard. Quand on évoquait l’idée que la méditation pouvait l’aider, il répondait systématiquement: «Je médite.» Et je savais que c’était ce qu’il voulait dire.
De mes visites je n’arrivais à tirer rien de bon: je tentais d’engager des conversations que mon père ne souhaitait pas (par exemple, ne pouvait-il pas se montrer plus patient avec ma mère toujours au bord des larmes?) ou suggérais des sorties pour lesquelles il était trop épuisé. Je le réprimandais sur sa consommation de sucre et lui préparais des smoothies verts qu’il jugeait franchement dégoûtants.
Avec les mites, en revanche, je sentais que j’aurais plus de succès. Que je pouvais faire quelque chose.
Aider son père, une mite à la fois
Cela paraissait simple en effet. Il suffisait de trouver la réserve de nourriture des insectes et de la détruire. Mon plus jeune frère Max, qui vivait au Japon depuis l’année précédente, était alors de passage chez mes parents. Il m’a aidée à vider complètement la cuisine.
«Bon Dieu, maman! Tu as ça depuis combien de temps?», a-t-il demandé devant l’amoncellement de restants de sacs de riz sur le comptoir. Avant qu’on ne lui retire le permis, mon père avait l’habitude de s’arrêter au supermarché presque quotidiennement en rentrant du travail; il achetait les ingrédients pour je ne sais quelle recette un peu élaborée qu’il avait en tête et ne se débarrassait jamais du surplus. Faire un sandwich chez mes parents exigeait de longues séances de fouilles au milieu de pots à moitié vides ou périmés.
Sur le sac au-dessus de la pile, on lisait «À consommer avant 2012». À travers le plastique, les grains de riz semblaient retenus par de longs filaments. Dans le garde-manger, les paquets entamés de farine d’amande et de pois chiches témoignaient de la période sans gluten de mes parents quelques années plus tôt.
«Jette tout», a lancé ma mère en faisant un mouvement de la main vers le garde-manger, tout en faisant tomber dans la poubelle les boîtes de conserve cabossées. Nous avons passé l’aspirateur partout et bien essuyé pour faire briller. Il n’est resté que les pots de riz au lait de mon père et les boissons protéinées qu’on lui recommandait de boire pendant la chimio. Une mite n’avait désormais aucune chance de survie dans ce désert.
Je tentais à l’occasion d’éteindre la télé pour engager une conversation qu’il m’apparaissait important d’avoir avec mon père. Mais il ne voulait pas parler. Il préférait la rumeur sans exigence de l’appareil.
La télévision était de nouveau source de frustrations. Quelques années avant que la maladie ne se déclare, mon père avait fait installer un grand écran plat au mur, branché à un réseau de fils reliés au récepteur et au système audio planqués dans ce qui avait déjà été une «armoire à jouets». L’équipement qui se cachait là me rappelait les premiers ordinateurs et leur empilement imposant de boîtes noires avec des lumières, des boutons et des fils dont personne ne connaissait l’usage et que tout le monde préférait éviter. Quand il y avait un problème, ce qui arrivait souvent (il fallait quatre télécommandes pour que tout s’allume), mes parents appelaient Russell, l’installateur. Mais Russell, qui avait des jumeaux depuis peu, n’arrêtait pas de se défiler. «Dix mille dollars et cette fichue télé ne s’allume même pas», se plaignait mon père en appuyant sur les boutons d’une main et en chassant les mites de l’autre.
«Ils se sont fait avoir», a dit mon frère en hochant la tête.
Le nettoyage de la cuisine étant resté sans effet notable sur la population de mites, nous avons supposé qu’on avait plutôt affaire à des mites des vêtements, bien plus pernicieuses. Je savais à quoi ressemblent leurs œufs. À 13 ans, au camp pendant les vacances, j’avais réquisitionné une vieille chemise de travail boutonnée de mon père pour l’atelier d’art plastique. En voulant l’enfiler un jour, j’ai vu une tache, en réalité un ensemble d’œufs blancs minuscules brodant avec une précision quasi mathématique des petites perles dans le tissu. Prise d’un haut-le-cœur, j’avais planqué la chemise derrière une boîte remplie de fournitures artistiques où elle était restée tout l’été.
À la maison, je n’ai trouvé nulle trace des trous caractéristiques sur les vêtements. Je suis quand même partie à l’assaut de la chambre de mes parents. Le mal pouvait se loger quelque part en silence pendant des mois, voire des années, avant de se manifester ailleurs. J’ai commencé par la penderie et les tiroirs de ma mère. Rien.
J’ai ouvert celle de mon père et n’y ai perçu que le mouvement et le frottement des cravates et des ceintures accrochées au panneau intérieur de la porte. J’adorais me cacher là, seule dans le noir avec l’odeur persistante de sa lotion après-rasage et l’attente délicieuse d’être trouvée. J’ai examiné les chemises de travail qu’il ne portait plus et ses pulls molletonnés bien pliés. Pas de mites ni œufs.
L’importance de ses connaissances familiales
J’ai profité d’une journée où la télé refusait d’allumer pour m’asseoir avec mon père dans le séjour. Je lui ai posé des questions sur le sien. Mon grand-père était resté un mystère; j’avais deux ans quand il est mort. Je savais seulement qu’il avait cessé de boire après un AVC qui l’avait terrassé dans la quarantaine.
«Il était ce que l’on pourrait appeler une personnalité cardiaque, a dit mon père pour satisfaire ma curiosité. Toujours inquiet et faisant des histoires pour ses roses, sa collection de timbres, ses pièces de monnaie.
— Il n’est pas unique, ai-je plaisanté – il n’a pas relevé.
— Il ne s’est jamais entendu avec ton oncle, et ta grand-mère lui reprochait que Derek ait quitté la maison trop tôt. Mais c’était un bon père. Il me défendait toujours.»
Quelques heures plus tard, le téléviseur a fini par obéir à nos commandes. Puis, comme ça, les yeux toujours braqués sur l’écran, il a dit: «Ce que je n’oublierai jamais, c’est la manière dont mon père me nettoyait les oreilles.
— Ah bon ? ai-je rigolé, étonnée. Tu veux dire, avec un coton-tige ? Tous les jours ? J’essayais de limiter mes questions, comme avec un cheval nerveux qu’il ne faut pas effrayer.
— Non, tous les deux mois. Ou semaines. Oui, des cotons-tiges. C’était notre moment d’intimité ; mon temps privilégié avec mon père.»
J’ai continué à rire, mais l’image m’a paru déchirante. Je les imaginais dans les années 1950, dans la cuisine jaune de ma grand-mère, un petit garçon maigrichon avec sa houppe sur la tête, assis sur un tabouret devant mon mystérieux grand-père vêtu pour je ne sais quelle raison de son uniforme de l’armée de l’air comme sur les photos anciennes. Un tableau de Norman Rockwell: Père et fils avec coton-tige. Mon père, les jambes pendantes, cherchant les mots justes pour s’adresser à son père distrait, inquiet.
J’aurais aimé en savoir plus, mais il avait fini. Nous avons regardé la télé.
Ce même mois de janvier, mon père a été hospitalisé pour une craniectomie. Il s’agissait de retirer des tissus morts dans le lobe temporal droit, un effet secondaire de la radiochirurgie. La plupart des traitements qu’il recevait maintenant visaient à corriger les effets des traitements précédents. Aucun ne promettait la guérison, mais cela faisait gagner du temps. Mon père voulait voir le bébé.
La nouvelle cicatrice avait la forme arrondie d’une faucille, mon père disait en plaisantant que sa tête ressemblait à une balle de baseball. Pendant qu’il se reposait dans le salon devant la télé avec le chien sur les genoux, je poursuivais avec mon frère la chasse aux mites.
Nous avons ouvert des placards inutilisés, passé les tiroirs au peigne fin. «Rien à signaler!», hurlait Max du fond de la cave, comme si nous pourchassions un fugitif. Ça faisait du bien de s’activer, même si n’était que pour jeter. Mes parents étaient des thésauriseurs discrets, la maison étant assez grande pour que l’élagage soit indéfiniment reporté. J’ai trouvé les patins que je portais à sept ans, toutes mes œuvres d’art de l’école, des boîtes remplies de lunettes des années 1980, de vieilles Game Boy. Quantité de piles usées et de pots de peinture.
«J’ai trouvé!», ai-je hurlé du haut de l’escalier quand dans la buanderie je suis tombée un sac de croquettes pour chiens déchiré. Je ne voyais toujours pas de mites, mais je ne m’avouais pas vaincue. J’ai jeté le sac et l’ai remplacé par un grand récipient. «Assure-toi de toujours bien le fermer», ai-je insisté auprès de ma mère, comme si je m’adressais à une enfant.
Nous nous sommes rassurés un certain temps en nous persuadant que les mites avaient simplement retardé un peu leur reflux. Mais rapidement il a fallu admettre que rien n’avait changé. J’injuriais les envahisseurs en les écrasant sauvagement, laissant des taches poudreuses marron sur les murs. «C’est un fléau!»
Dans la Bible, Dieu envoie des sauterelles, pas des mites. Je croyais me souvenir qu’il y est fait aussi référence aux teignes, presque toujours pour suggérer le déclin et la destruction, ceux des biens terrestres ou de nos dépouilles. «Quand mon corps tombe en pourriture, comme un vêtement que dévore la teigne», se plaint Job.
Mon père s’était tourné vers Dieu et, un matin, au petit-déjeuner, il nous a annoncé à ma mère et moi, qu’il envisageait de se faire baptiser. La famille n’était pas religieuse. Enfants, à Noël, il nous arrivait d’aller à la messe (on désactivait le son de la Game Boy), mais la famille de mon père était agnostique. Que voulait-il dire maintenant ? J’avais du mal à imaginer ce grand sceptique qui catégorisait tout entre foutaises et balivernes s’immergeant volontairement dans une eau magique.
«Aucun Dieu auquel je pourrais croire ne prête attention à ce genre de propos», a dit ma mère, quelque peu drapée dans son catholicisme non pratiquant. Elle avait été baptisée, confirmée, et tout. Songeur, mon père continuait à mastiquer en regardant par la fenêtre derrière elle. «Eh bien, qui sait? a-t-il fini par dire. Il faut bien assurer ses arrières.»
Ce genre de conversation était ce qui s’approchait le plus d’une réflexion sur la mort. Tacitement, nous étions convenus de ne pas parler directement de choses contrariantes avec notre père, mais même sans lui, nous évoquions rarement la réalité de l’échéance. Comme si le stade 4 n’était pas le dernier. Comme si «palliatif» ne signifiait que le soulagement de la douleur.
Se préparer au pire
Aborder la mort n’était autorisé qu’à travers les échanges contraints que mon père essayait d’avoir avec nous sur les finances, ou le rire de soulagement de ma mère rapportant les propos de l’oncologue. «Vous pouvez encore acheter vos bananes vertes», avait-il dit, comme s’il s’agissait de paroles incroyablement encourageantes, comme si on ignorait que les bananes mûrissent en quelques jours.
Ce même mois de février, lors d’un séjour à Ottawa avec Marc, mon mari, nous avons regardé un polar britannique avec mon père qui gardait les deux télécommandes sur le bras du fauteuil. Ma mère s’était opposée à la désinsectisation quand le technicien avait expliqué qu’il aspergerait la maison de produits chimiques. Aussi, dans le séjour, toutes les surfaces disponibles étaient maintenant recouvertes de pièges à mites dont la partie collante retenait les cadavres. Nous faisions comme si nous avions la situation bien en main alors que la source du problème restait inconnue.
Gonflé par les stéroïdes, le ventre de mon père ressemblait de plus en plus au mien. Ce jour-là, nous avons pris une photo de nous deux assis dans le canapé, chacun avec un ballon de basket sous le tee-shirt. Comme j’avais mal au dos d’avoir roulé des heures, j’ai pensé aux bouillottes chauffantes sèches que ma mère glissait parfois sous sa nuque, celles qui étaient remplies d’avoine.
J’ai bondi du canapé. Ma mère était assise dans la salle à manger, l’ordinateur ouvert sur sa page Facebook, un verre de vin posé sur la table. «Tu as encore ta bouillotte à graines?
— Regarde près de la cafetière», dit-elle en levant les yeux..
Le sac était dans le placard. Je l’ai saisi en espérant un mouvement, une palpitation, un peu de céréales sortant d’un trou révélateur. Mais non, rien.
Max était revenu du Japon aider papa après sa craniectomie. «Nous avons cherché partout», a-t-il avoué un soir. Il avait les yeux rouges et quand, brusquement, il a passé la main dans ses cheveux, j’ai vu qu’il avait quelques fils gris. «Et si elles étaient dans une cloison?» J’avais lu que des gens démontaient leur intérieur à la recherche de la source; sur YouTube, des vidéos en montraient d’autres à moitié fous décrivant des invasions qui avaient commencé dans la cuisine avant de se répandre dans toute la maison. Les murs du salon semblaient bruire d’une énergie malveillante. Une femelle n’aurait pas de mal à se glisser dans une fissure minuscule pour pondre 300 œufs microscopiques. Il serait impossible de tout éradiquer.
Pendant que nous réfléchissions à la possibilité d’envoyer une caméra ou un endoscope médical par un trou dans la cloison, j’ai senti quelque chose de dur, un coude ou un pied, pousser contre mon abdomen et se retourner. Plus tôt cette semaine-là, j’avais passé une échographie et, après un long silence quasi hostile, la technicienne qui prenait les mesures avait tourné l’écran vers moi. J’y avais vu un visage, de grands yeux fixes, une main minuscule posée sur le côté, comme quelqu’un qui aurait regardé derrière une vitre d’auto.
J’ai reçu en mars un appel de ma mère. Après avoir dit pendant deux semaines que tout allait bien, elle reconnaissait que la situation s’aggravait. Mon père se remettait d’une nouvelle séance de radiochirurgie et ne pouvait rester seul en raison du risque de convulsions. Mais il refusait catégoriquement que ma mère engage une aide. Elle était épuisée, et Max, qui était installé chez eux, devait travailler.
Quand il ne regardait pas la télé, mon père ne voulait faire qu’une chose: la liste de ce qu’il fallait réparer, acheter ou organiser. Il continuait à vouloir tout faire lui-même et s’était même fâché lors de mon dernier séjour quand je l’avais «embêté» après l’avoir vu convulser en essayant d’allumer une bûche à allumage instantané dans la cheminée.
«Tu as failli mettre le feu à tes vêtements!» l’avais-je grondé, incapable de retenir mon mécontentement. «Avec toi et ta mère, c’est toujours le drame», avait-il répondu. Après avoir balayé sa manche carbonisée, il avait regagné son fauteuil et la télé.
Il était de retour à l’hôpital à la fin du mois, avec des complications, notamment un œdème cérébral situé dans le lobe frontal. La maladie et les traitements l’avaient fragilisé et il était exclu qu’il retourne à la maison. Il a dû être maîtrisé quand on lui a annoncé qu’il ne pourrait pas sortir.
S’il n’y avait personne avec lui, il appelait ma mère sans interruption, nous allions donc lui rendre visite à tour de rôle. Un jour, je l’ai trouvé assis dans son fauteuil devant son plateau de petit-déjeuner. Comme d’habitude, il m’a accueillie en demandant: «Où est maman?»
Je lui ai donné les clémentines apportées de la maison et me suis assise sur l’autre chaise. Je lui ai expliqué que nous avions de nouveau nettoyé la cuisine et le garde-manger la veille pour se débarrasser des mites avant son retour.
«Bien. Et je sors quand?
— Je ne sais pas, papa.»
Pour le distraire, je lui ai demandé de me suggérer des noms pour le bébé. Il n’a pas répondu. Après un instant, il a lancé: «As-tu hâte que ta fille ait cet âge?» Il gardait les yeux baissés, occupé à enlever la mousse sur sa chemise d’examen.
Je ne savais que répondre. J’y voyais de nouveau une petite ouverture, une chance que j’allais devoir saisir. «Tu parles de mon âge ou du tien?» Il n’a pas répondu. «À quelle heure est ton train? a-t-il plutôt demandé.
— Pas avant quelques heures, ai-je répondu, découragée.
—Eh bien, il ne faut pas le rater», a-t-il ajouté en fuyant mon regard.
Les mites, un signe de bénédiction
Fin avril, l’hôpital se préparait à lui donner la permission de sortir. Il avait refusé les soins palliatifs et voulait rentrer à la maison. Il avait besoin de repos, insistait-il, pour reprendre des forces. J’étais au troisième trimestre de ma grossesse et un problème de placenta m’imposait de passer un scanner toutes les semaines. Il m’était difficile d’aller à Ottawa aussi souvent qu’avant. J’aidais ma mère à organiser les soins palliatifs à domicile tout en préparant la chambre du bébé, mais je restais obsédée par les mites. Mon frère a envoyé un texto annonçant qu’il y en avait toujours dans le salon, qu’on avait vidé de ses meubles à l’exception de la télé, d’un fauteuil et du lit d’hôpital et du système de levage que nous avions loués.
J’ai relu tous les articles sur les invasions de mites, puis il m’est venu une idée. «Vérifier les sources de nourriture improbables qui se trouvent ailleurs que dans la cuisine (la nourriture pour chiens, par exemple, ou les mangeoires pour les oiseaux).» Je revoyais mon père observant les oiseaux par la fenêtre au printemps dernier, et qui remplissait avec zèle les mangeoires disposées dans le jardin à l’arrière de la maison.
J’ai écrit à mon frère. «Où range-t-il les graines pour les oiseaux ?»
Max a cherché un moment, puis a fini par regarder dans l’armoire à jouet. Elle était là, coincée sous l’étagère qui portait les appareils pour la télévision, une grande boîte en fer de la taille d’une petite poubelle, avec un couvercle cabossé qui fermait mal. Je n’y étais pas quand mon frère l’a ouverte, mais je peux facilement imaginer le battement des ailes marron, la délivrance, la bénédiction.
© 2021, Morgan Charles. Tiré de «Plagued» The Fiddlehead (automne 2020)
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