Comment les tests ADN permettent à des familles de se retrouver

En 2018, le Texan Jeff Highsmith a créé une page Facebook au nom de sa famille. Le but en était de retrouver sa sœur, Melissa Suzanne Highsmith enlevée 51 ans plus tôt – à l’âge de 21 mois à peine – à Fort Worth par sa baby-sitter. L’enlèvement non élucidé le plus long de l’histoire du Texas semble-t-il. La famille cherchait désespérément à résoudre l’énigme et voulait suivre toutes les pistes possibles pour y arriver.

Tests ADN: L'illustration pour l'article du magazine "Enfin réunis".Nikki Ernst

En plus de la page Facebook, elle a préparé des tracts avec une photo de Melissa bébé ainsi que des images vieillies par ordinateur indiquant sa vraisemblable apparence actuelle. Naturellement, on était convaincu qu’elle était toujours vivante et on comptait sur ces nouveaux outils qui permettent désormais de retrouver des personnes disparues à partir de l’ADN. La famille a donc acheté les kits de généalogie avec tests ADN sur le site de l’entreprise 23andMe, puis a publié les résultats dans une base de données publique appelée GEDmatch.

Cela ressemblait à une bouteille à la mer, à un vœu un peu fou après des décennies de chagrin, mais le résultat a été concluant. En novembre 2022, les Highsmith ont retrouvé Melissa grâce à une correspondance ADN: la fille de la disparue. En suivant le fil de ces correspondances, en triangulant les liens d’un arbre généalogique bien plus vaste, ils ont finalement été capables de converger vers la femme enlevée 50 ans plus tôt. La réunion familiale a été joyeuse. Pour Melissa, être retrouvée a éveillé le «sentiment le plus merveilleux au monde».

L’extraordinaire histoire de Melissa Highsmith et de sa famille a fait la une des journaux dans le monde entier. Mais ce n’est qu’un exemple du nombre croissant de personnes connectées par des analyses ADN. À Toronto, un frère et une sœur adoptés séparément en Roumanie quand ils étaient bébés, ont été réunis dans la cinquantaine lorsqu’ils ont tous deux réalisé un test ADN pour en apprendre davantage sur leur santé. Ils ont même découvert qu’ils avaient passé une grande partie de leur vie à 30 minutes de route l’un de l’autre. Deux sœurs – une au Royaume-Uni et l’autre aux Pays-Bas – se sont rencontrées pour la première fois en 75 ans après avoir appris, grâce à un test ADN, qu’elles avaient le même père canadien.

Il existe d’innombrables histoires similaires. En Espagne, une base de données ADN a été mise en place pour identifier les «bébés volés» de la dictature de Franco. Des Noirs américains utilisent ces tests pour remonter les lignées familiales bouleversées par l’esclavage. Et des articles au sujet de tragédies récentes – dont le terrible séisme de février 2023 en Syrie et en Turquie – détaillent la façon dont les tests ADN permettent de réunir des enfants et leurs parents.

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Les tests ADN ont plusieurs utilités

La couverture médiatique des progrès des technologies de l’ADN s’est principalement concentrée sur l’identification de meurtriers ou celle de telle victime morte depuis longtemps. Mais ces avancées permettent également de résoudre des cas tout aussi captivants de victimes vivantes ou de personnes disparues. Celui par exemple d’un individu qui, quelque part dans le monde, s’interrogeant sur son identité, ne peut la découvrir que grâce à l’ADN.

Les autorités policières ont intensifié leurs efforts pour utiliser ces ressources, et des entreprises privées ont créé des bases de données permettant l’accès à des outils de collecte d’ADN. Mais on observe surtout une augmentation de citoyens détectives et de généalogistes spécialisés dans les enquêtes génétiques, un phénomène peut-être renforcé par notre curiosité policière, mais qui participe néanmoins à réunir des familles.

Tests ADN: Melissa Highsmith, bébé; et aujourd’hui, après avoir retrouvé sa mère et son père.AVEC LA PERMISSION DE JEFF HIGHSMITH
Melissa Highsmith, bébé; et aujourd’hui, après avoir retrouvé sa mère et son père.

Selon Michael Marciano, directeur de recherche à l’Institut national de criminologie et sécurité nationale de l’université de Syracuse, les techniques d’analyse de l’ADN en sciences judiciaires ont connu des progrès significatifs au cours des dernières décennies. Le premier concerne la capacité à détecter des quantités d’ADN encore plus infimes qu’avant, leur sensibilité.

En pratique, cela signifie qu’on peut désormais identifier l’ADN de celui qui n’a fait que toucher un objet ou une personne. Mais cela signifie également que des échantillons d’ADN mélangé – contenant l’ADN de plus d’un sujet – peuvent aujourd’hui être démêlés. «Soit par exemple un criminel qui, dans une banque, saisit le stylo avec lequel on remplit les formulaires de dépôt, écrit un message avec et le glisse au guichetier, illustre Michael Marciano. Combien d’autres personnes ont fait de même? Leur ADN peut également se trouver sur cet objet.» Pourtant, il est maintenant bien plus facile d’isoler le matériel génétique du criminel.

Le second grand développement concerne l’analyse des résultats. Les logiciels et la puissance des ordinateurs permettent d’élaborer de meilleurs modèles et de produire des statistiques plus exactes. Cela facilite l’interprétation des échantillons collectés.

Cela dit, pour dégager une correspondance, il faut évidemment être en mesure de lier un échantillon à un profil ADN accessible. «La criminalistique est une science de la comparaison, explique Michael Marciano. Disposer d’une empreinte digitale ou d’un profil ADN, mais ne pouvoir les comparer à rien ne permet toujours pas de déterminer à qui ils appartiennent.»

Et c’est là que les bases de données de profils ADN révèlent leur utilité. Parfois, ces bases sont constituées d’échantillons ordonnés par la cour, collectés sur les lieux de délit ou dans des affaires de personnes disparues. Dean Hildebrand dirige un laboratoire de criminalistique à l’Institut de technologie de la Colombie-Britannique. Pendant des décennies il a effectué du travail pour le service de médecine légale du gouvernement provincial: analyse d’ADN de personnes disparues ou de leur famille, de restes humains retrouvés sur les lieux du crime. En d’autres occasions, il analyse des échantillons extraits des affaires personnelles d’une personne disparue – une couverture sans laquelle elle ne pouvait dormir ou des lunettes brisées retrouvées.

«Nous recevons en permanence une avalanche de ce type d’échantillons», déclare Dean Hildebrand. Nombre d’entre eux concernent des affaires toujours irrésolues. Il y a plus de 10 ans, M. Hildebrand a contribué à la mise en place d’une base de données de personnes disparues, afin que les autorités policières puissent comparer les restes de victimes non identifiées avec ces données.

Connaître ses liens familiaux grâce aux tests d’ADN

Mais de plus en plus, les tests ADN n’ont rien à voir avec les forces de l’ordre ou l’idée d’un acte criminel. Depuis plus de 10 ans, des entreprises comme Ancestry.com, 23andMe, FamilyTreeDNA et MyHeritage incitent la population à connaître sa généalogie et ses liens familiaux. L’analyse ADN devient ainsi un jeu de société pour toute la famille. Au début de 2019, selon la MIT Technology Review, plus de 26 millions de personnes avaient ainsi envoyé un échantillon de leur ADN dans l’une des quatre bases de données commerciales portant sur la généalogie et la santé.

Ces sites et la promesse de leurs analyses sont naturellement le résultat de progrès technologiques. Il y a 20 ans, personne n’aurait craché dans un tube qu’il aurait envoyé par la poste à une entreprise dont il aurait reçu un rapport généalogique détaillé. Mais ils sont également le reflet d’un phénomène social : la fascination pour son identité et ses liens familiaux en passant par le matériel génétique.

«Dans une quantité suffisante d’ADN de bonne qualité, on trouve beaucoup de renseignements au sujet d’un individu, mais aussi des informations sur la santé publique», explique Nicole Novroski, professeur adjoint au département d’anthropologie de l’université de Toronto. Après avoir profité de l’essor des bases de données privées, ajoute-t-elle, la population a appris à inscrire son profil ADN dans des bases de données publiques, ce qui permet d’établir de nouvelles connexions.

GEDmatch est l’une de ces bases publiques de données. Elle permet aux utilisateurs d’ajouter leur propre échantillon (ou celui de quelqu’un qu’ils connaissent) et de rechercher des chevauchements génétiques à travers un éventail bien plus large que celui que permet un site unique. «Parfois, les choses ne vont pas plus loin, précise Nicole Novroski. Mais plus le nombre de personnes dans la base de données est élevé, plus la probabilité d’établir un lien augmente, même s’il s’agit d’un lien éloigné. Il appartient ensuite au généalogiste et au détective de rassembler toutes ces informations en grands arbres généalogiques ou de déterminer un lien de parenté.»

Selon Nicole Novroski, le travail des détectives en fauteuil, qui chargent l’échantillon d’une personne connue dans des bases de données et passent en revue les correspondances ADN depuis le confort de leur maison, peut entraîner des conséquences embarrassantes. «C’est incroyablement positif pour résoudre certains cas, précise-t-elle. Mais il arrive qu’on n’aime pas ce qu’on découvre, par exemple une infidélité ou un secret de famille.»

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Retrouver des membres de sa famille grâce aux tests d’ADN

Le nombre de bases de données publiques et privées ayant pour but l’identification génétique ne fait qu’augmenter. En Chine, les autorités disposent d’une base de données réunissant l’ADN de parents d’enfants disparus et l’ADN de tout enfant trouvé par la police. Ce système a été placé sous le feu des projecteurs en 2021 lorsqu’une famille a ainsi retrouvé son fils enlevé 24 ans plus tôt. Le père du fils disparu avait passé des années à quadriller cet immense pays dans sa détermination à retrouver son enfant. Il dormait souvent dehors et voyageait à moto, en transportant des tracts et un drapeau portant le visage de son fils. Sans l’aide de l’ADN, il n’aurait probablement jamais réussi dans sa quête. (Selon les médias chinois, des milliers d’enfants disparus ont été retrouvés grâce à cette base de données.)

Le désir de connexion avec des membres de sa famille, disparus ou encore inconnus, a donné de l’élan à un autre phénomène essentiel: la généalogie génétique d’investigation (GGI), qui rassemble tous les renseignements ADN récemment rendus publics depuis leur entrée sur les sites de généalogie et les combine à d’autres sources de données publiques et privées – comme des profils Facebook, des certificats de mariage et même des copies papier usées d’arbres généalogiques – pour en déduire des relations de parenté et bâtir des réseaux de personnes.

C’est un phénomène social autant que technologique, et une vague de détectives spécialisés dans la GGI travaillent désormais en tandem avec les familles et les forces de l’ordre afin de retrouver des personnes disparues et de résoudre de vieux mystères. Dans l’un des exemples récents les plus célèbres, une détective en généalogie génétique, une avocate en brevets à la retraite titulaire d’un doctorat en biologie du nom de Barbara Rae-Venter, a aidé la police à retrouver la trace du Golden State Killer, un tueur en série californien qui échappait aux autorités depuis des décennies, en ratissant l’ADN de parents éloignés du tueur.

Mais la GGI est aussi utilisée pour aider les familles à retrouver des proches perdus de vue depuis longtemps. En mars 2022, Christa Hastie a décidé d’aider sa mère de 80 ans, Vera, à résoudre une vieille énigme familiale: qu’est-il arrivé à la sœur de Vera, Rosemarie, disparue dans les rues de Montréal par un jour d’hiver en 1954 à l’âge de 14 ans? Pendant six mois, Vera et Christa se sont consacrées à une recherche de la moindre information sur cette disparition. Elles ont rapidement compris que déchiffrer l’ADN était leur meilleure chance de succès.

Christa possédait déjà un profil ADN sur Ancestry, elle l’a donc inscrit sur d’autres grands sites de même nature, comme 23andMe et myHeritage. Elle a également eu recours à l’aide d’un généalogiste d’investigation américain, qui l’a aidée à cibler les correspondances du côté maternel. Ensemble, ils ont trouvé. Selon la correspondance, il pouvait s’agir de la petite-fille de Rosemarie, mais lorsque Christa est entrée en contact avec cette personne, celle-ci a affirmé ne pas connaître Rosemarie.

Comme Vera était née en Allemagne, elle et Christa ont consulté une généalogiste allemande experte en tests ADN. Carolin Becker a entré le nom de famille de la grand-mère de Vera dans la base de données qu’elle avait elle-même assemblée, et son logiciel en a ressorti neuf générations d’ancêtres. «Trente-quatre pages de pattes de mouches», raconte Christa. Carolin Becker a recoupé ces données avec les correspondances des sites d’ADN, en éliminant toutes les personnes n’ayant pas à la fois un lien maternel et paternel avec Vera. Elle a également aidé Christa et Vera à contacter des membres de leur famille perdus de vue depuis longtemps, ajoutant ainsi leur ADN à leur arbre généalogique et consolidant leurs recherches. Finalement, jusqu’au XVIIe siècle, plus de 900 personnes composaient l’arbre généalogique de Christa et Vera. Grâce à DNA Painter, un site proposant des outils de recherche en généalogie génétique, Christa a pu à nouveau confirmer cette correspondance spécifique: la petite-fille de Rosemarie, la personne identifiée plus tôt. Christa l’a contactée à nouveau, cette fois armée de preuves, et Christa et Vera ont pu entrer en contact avec toute la famille de Rosemarie.

Tests ADN: À gauche, Vera, 11 ans, avec sa sœur Rosemarie, 13 ans.AVEC LA PERMISSION DE CHRISTA HASTIE
(À gauche) Vera, 11 ans, avec sa sœur Rosemarie, 13 ans.

Pour ces deux femmes, la vérité était stupéfiante: la vie de Rosemarie ne s’était pas arrêtée à sa disparition, elle avait même eu des enfants et des petits-enfants. Christa et Vera ont appris en septembre 2022 que Rosemarie était décédée des années auparavant. Il n’y aurait pas de retrouvailles, pas d’explication au sujet de sa lointaine disparition. Mais elles savent maintenant qu’elle n’a pas été assassinée et cela a été d’un grand réconfort pour Vera – même si elle ne saura jamais précisément toute la vérité sur ce qui s’est passé.

Leur quête a eu un autre avantage: la GGI les a aidées à dessiner un arbre généalogique bien plus complet, et elles ont pu retrouver ou rencontrer des membres de leur famille avec qui elles restent désormais en contact. Christa et Vera sont ressorties de cette expérience avec un sens élargi de la famille.

«Une technologie très puissante»

Un sens élargi de la famille et un sentiment d’identité renforcé sont exactement la promesse des sites commerciaux d’ADN. Et il est facile d’imaginer un grand nombre d’autres conséquences positives éventuelles. Nous avons maintenant la capacité de réunir des membres d’une même famille séparés par la guerre ou d’autres circonstances. Nous pouvons déterminer avec précision le pays d’origine d’une personne adoptée ou dont les liens biologiques ont été rompus.

Mais imaginez maintenant un autre scénario moins enchanteur: une famille décide d’essayer ces kits ADN comme s’il s’agissait d’une activité amusante, en frottant un écouvillon à l’intérieur de leur joue autour de la table à manger, puis attend avec enthousiasme les résultats – pour découvrir alors, de manière inattendue, que l’un des enfants n’est pas une correspondance biologique. «Plus nous collectons d’informations à partir de notre ADN, plus nous ouvrons cette boîte de Pandore des considérations éthiques, déclare Dean Hildebrand. Car vous pourriez avoir une grosse surprise – certaines sont très heureuses, mais pas d’autres.»

Les conséquences sur la vie privée sont tout aussi étonnantes. Le site GEDmatch, mais il n’est peut-être pas le seul, propose désormais une disposition d’adhésion permettant aux informations que vous chargez d’être consultées par la police et même par le public. Mais l’ADN est partagé par plusieurs membres d’une même famille biologique. Si un membre de votre famille inscrit ses informations génétiques sur l’un de ces sites commerciaux, il vous implique, car son ADN est votre ADN – différent, mais néanmoins lié. Ainsi, toute personne souhaitant donner son sperme de manière anonyme, ou placer son bébé à l’adoption, n’a plus aucune certitude de ne pas être un jour identifié grâce à l’ADN – même si elle n’a jamais fourni d’échantillon.

«Je pense que c’est une technologie très puissante», soutient Dean Hildebrand. Si, ajoute-t-il, seulement 10% de la population entrait ses échantillons d’ADN dans l’une de ces bases de données publiques ou privées, nous serions capables d’identifier chaque être humain sur Terre. Et, comme souvent en matière de technologie en constante évolution, cela s’accompagne d’avantages et d’inconvénients. «Plus nombreux serons-nous à y avoir recours, plus il deviendra difficile à chacun de nous de se cacher. Il sera possible de relier toutes les familles du monde les unes aux autres.»

Pour la famille Highsmith, qui a connu d’heureuses retrouvailles au Texas après des décennies de séparation, l’ADN était le chaînon manquant. «Nous n’avons retrouvé Melissa que grâce à l’ADN, et pas aux efforts de la police ou du FBI, ni aux podcasts, ou même aux enquêtes privées et spéculations de notre propre famille», peut-on lire sur leur page Facebook. «L’ADN A TRIOMPHÉ DE CETTE QUÊTE!»

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Contenu original Selection du Reader’s Digest